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Du 26 au 30, des enseignants innovants venus du monde entier sont réunis au Cap en Afrique du Sud.
Comment se dire adieu?

Inscrire le mot fin sur le fronton d’un blog n’est jamais acte facile après une jolie aventure. Et pour celle-ci encore plus que pour tout autre, une belle histoire dans une ville dont les rues et les visages sont empreints de l’histoire avec un grand H.

 

Confidence pour confidence, la lutte anti apartheid fut mon premier engagement militant avec en fond sonore Peter Gabriel et Johnny Clegg. Alors visiter Robben Isalnd là où les prisonniers ont transformé leur enfermement en acte de libération aura été d’une rare intensité, guidée par un ancien détenu au milieu d’un groupe cosmopolite uni par la même émotion.

On ne peut dire adieu non plus à de magnifiques paysages, cascade de nuages glissant sur Table Mountain, Pic du Diable surgissant à l’angle de la rue et la lumière si douce et si intense éclairant le bleu de l’Océan, le blanc du sable et les façades multicolores. Comment oublier le district 66, un quartier no man’s land au milieu de la ville, stigmate de l’atrocité d’un régime raciste ?

Et puis il y a toutes ces rencontres, des enseignants du monde entier, des passants dans la rue et les quelques mots échangés, cette longue poignée de main avec un marchand noir qui en disait long sur le caractère inédit d’un dialogue blanche-noir, en  toute égalité, entre êtres humains tout simplement, ce regard profond d’une enseignante indienne avec qui l’échange par les mots, faute de langage commun s’avérait impossible, cette danse spontanée sur le rythme des chants des délégations nord africaines, ces retrouvailles chaleureuses avec mes amis sud africains croisés en d’autres lieux, d’autres contrées. Il y eut aussi ces moments partagés avec une délégation française dont les regards pluriels ont alimenté ma réflexion.

 

Instants de grâce et transgressions instantanées. Sur un coin de leur stand, David Cordina et Laurence Juin ouvrent leurs comptes twitter à Brigitte Jauffrey et Anne-Marie Bardi pour leur faire découvrir les vertus pédagogiques des réseaux sociaux. Un peu plus tard, lors du diner, Brigitte nous racontera comment elle œuvre depuis le rectorat d’Aix Marseille pour développer les usages des Tice sous le regard attentif de Régis Bracq, principal adjoint dans la même académie. Un carrefour improbable et inespéré entre enseignants de base, cadres de l’éducation et sphère décisionnaire. Là est aussi la vertu de telles rencontres, gommer les frontières, transformer les regards.

Question qui pour moi est devenue accessoire : Microsoft allait il avaler tout cru les systèmes éducatifs de la Terre entière ? Avec de si lourds sabots, cela me semble mal parti. Il suffisait de regarder les airs goguenards ou excédés lorsque les célébrations des enseignants ces héros devenaient trop pesantes. Il suffisait de regarder les sièges vides, de plus en plus nombreux au fil des heures, les déserteurs se faisant une joie par ailleurs d’échanger dans des lieux moins formatés.

Alors pourquoi question devenue accessoire ? La réponse semble d’évidence. Comment une entreprise privée peut elle s’engouffrer aussi facilement dans la brèche laissée ouverte par l’immobilisme des systèmes publics ? L’Afrique du Sud mise beaucoup sur l’éducation pour que la nation arc-en-ciel prenne corps et s’installe dans la durée. L’éducation devrait être une cause internationale, l’avenir se fonde ici. C’est là sans nul doute que nos indignations devraient se manifester, dans cette désertion de la puissance publique.

Pour vivre à plein ce type d’expérience, il vaut mieux laisser son cynisme au poste de douane, ne pas rire de ces effusions, de cette célébration de l’innovation pédagogique. Combien de projets nous sembleront sans cela anecdotiques, insignifiants ? Pourtant, en regardant de plus près le contexte, la question de départ, la construction de la réponse, on trouvera de l’ingéniosité, de la générosité et le principal sans doute, le souci d’inclure et d’accompagner vers une porte ouverte sur l’avenir. Car l’autre question en suspend à laquelle je ne sais que répondre est celle de l’innovation. L’innovation est elle simplement ce qui permet d’apporter un changement dans l’école, son environnement ? Oui sans doute alors peu importe la technologie, la pédagogie s’avère primordiale.

Et puis, il y a ce triste constat. Bon nombre de projets présentés au forum mondial ont des cousins, des parents en France. Un certain nombre d’enseignants français innovent au quotidien, le forum de Dax en a encore témoigné en mars dernier. Il existe peu d’écho, peu de reconnaissance dans l’institution, comme si la créativité devait éclore en parallèle. Combien de liens ai-je ainsi tissés, en étant simplement là pour écouter et retranscrire dans les pages du Café des projets ignorés ou parfois freinés par une hiérarchie plus soucieuse de contenir des élans créatifs dans des cadres formatés que d’accompagner les initiatives en phase avec la nécessité, le besoin de changement.

Car, l’éducation est à un carrefour international où chaque pays se doit de construire l’école version XXIe siècle. Environnement, santé, égalité des chances, les changements nécessaires dans nos représentations et nos comportements passent bien évidemment par l’éducation. Bon nombre de projets présentés à Cape Town avaient ce souci là : travailler sur la prise de conscience et la traduction dans les actes en s’appuyant sur les Tice pour sensibiliser, motiver, faire faire. L’émergence des réseaux sociaux devrait faciliter ce mouvement en offrant l’opportunité aux apprenants, quels qu’ils soient de prendre le pouvoir sur leurs apprentissages.

Enseigner en mode web 2.0, rechercher dans les potentialités et les questionnements actuels les voies d’une éducation pour demain, innover en éducation est ce un acte militant ? Sans doute puisqu’il se place à contre courant de ce que l’institution et la politique éducatives imposent en France.

Sur la terre Sud Africaine, au bout du bout de l’Afrique, dans un pays où les mots résilience, réconciliation, construction ont pris un sens décuplé, cette version de l’éducation sur un mode innovant et inclusif est une évidence.

Alors, comment se dire adieu ? En se disant simplement « see you soon », à tout de suite, à bientôt, en conservant intacte et précieuse, cette dose d’énergie puisée à la source africaine, en gardant à l’idée, lorsque l’heure nationale s’assombrit que l’internationale de l’innovation éducative existe bel et bien.

See you soon.

Palmarès

On l’aurait presque oublié, le forum des enseignants innovants est aussi une compétition où les projets sont scrutés et soupesés par un jury. Les prix sont répartis en quatre catégories : l’innovation dans la collaboration, l’innovation dans les pratiques, l’innovation dans les contenus et l’innovation pou la communauté. Un prix du public vient compléter le palmarès. La compétition se déroule en deux temps. Pendant une journée, les enseignants présentent leur projet sur leur stand. Des juges, experts en éducation, passent poser des questions. Ils ont auparavant reçu les présentations des projets de façon à préparer l’entretien et à se faire une première idée.

A l’issue de la journée, les semi-finalistes sont sélectionnés. Les heureux élus apprennent la nouvelle en voyant un caméléon en perles accroché sur leur stand. Côté français, aucun projet n'est retenu, ils sont pourtant connus et reconnus dans l’hexagone. Peut être est ce la difficulté à priori à reproduire ailleurs l’expérience de Florence Aulanier ou le dictionnaire des p@reils qui a prévalu. Quant à celui de David Cordina et Laurence Juin, un autre projet utilisant twitter a été retenu. Les mystères de la compétition, dans le clan français on préfère s’en amuser en s'octroyant le syndrome de l’Eurovision.

Mais pour d’autres concurrents comme Fatou Diouf ou Kamal Essouafi, la déception est grande. Ils misaient beaucoup sur un prix pour obtenir à leur retour une reconnaissance de leur travail et des moyens pour le développer. Des candidats récidivistes pourraient leur expliquer qu’être là est déjà une bonne carte de visite comme Peter De Lisle qui après la deuxième tentative est retenu parmi les finalistes.

Une deuxième présentation auprès du jury permettra de sélectionner les gagnants pour aboutir au palmarès final qui sera annoncé lors du gala final, un cérémonial digne des awards avec toutefois une touche sud africaine.

Au final, le palmarès englobe tous les continents, Pays du Sud et Pays du Nord, diplomatique, œcuménique ? Certains choix amènent des débats. Des projets que nous aimions ne sont pas là, d’autres que nous supportions sont présents. Peu importe, la compétition semble artificielle, déplacée pour des projets si différents. Le palmarès est l’occasion de fêter l’innovation, tout simplement, celle des autres et par ricochet, les siennes.

Innovation dans la communuaté

Premier prix: Samuel Avornyo (Ghana), “Agroalimentaire rural”:

Deuxième prix: Barry Corrigan (Irlande du Nord): “Devoirs à la maison- engager les parents.

Troisième prix Simone Timms (Australie): “Il faut une communauté pour élever les enfants.

Innovation en Collaboration

Premier prix: Martin Ryum and Mette Hauch (Danemark), “Apprentissage de pair à pair.

Deuxième prix: Jan Webb (Royaume Uni.), “Travailler dans une classe sans murs.

Deuxième prix: Ian Fogarty (Canada), “Xenotransplant Debate”:.

Troisième prix: Anna Karlsson (Suède), “ICT Enriched Learning”

Innovation dans les contenus

Premier prix: Pat Yongpradit (U.S.), “Le jeu pour promouvoir l’inclusion des femmes dans la technologies.

Deuxième prix: Adriana Silva de Oliveira (Brazil), “L’ecole sur un nuage, utilization des Tice et d’Internet pour l’apprentissage”:

Troisième prix: Peter de Lisle (South Africa), “Biodiversité »

Choix des enseignants :

Premier prix: Tareq Mahjoub, Tareq Mahmoud, Shahzlan Al Saffar, Omar Ashour, Futooh Khareetah and Majdi Daoud (Arabic region), “S’accepter les uns, les autres »

Deuxième prix: Preesheila Bheem singh Ujoodha (Ile Maurice), “Habitudes alimentaires saines et bien-être ».

Troisième prix: Ricardo Espino González (Mexique), “Electronic Logbook.

L'école innovante

Cette année, le forum des enseignants innovants accueillait les écoles innovantes ; 80 en tout, réparties en deux catégories : les « innovative mentor schools » (écoles déjà dans le programme) et les « innovative pathfinder school » qui entrent dans le programme.

 

Le programme des écoles innovantes existe déjà depuis quelques années concrétisé au départ par deux écoles à Taïwan et à Philadelphie. Il essaime et se structure en réseau. Des mentors, experts en innovation pédagogique et en Tice, faciliteront la diffusion des bonnes pratiques entre les deux types d’écoles et accompagneront les unes et les autres pour  développer leur projet. Serge Pouts-Lajus, mentor  pour une grande partie de la zone francophone débute son rôle à Cape Town. La mise en réseau passe aussi par de tels évènements rassemblant des représentants des écoles. Tout au long du forum, des conférences et des ateliers sont prévues. Les écoles innovantes exposent leurs projets tout comme les enseignants innovants mais hors de toute compétition.

Côté français, deux écoles étaient présentes, toutes deux avec un projet fort différent. Régis Bracq est principal adjoint du Collège François Raspail de Carpentras. Il est venu en compagnie de Romain Desplanches, jeune enseignant en sciences physiques. Car pour Régis, l’innovation passe en premier lieu par les pratiques éducatives. Dans son collège, situé en quartier difficile, sujet à des accès de violence et miné par les problèmes socio-économiques de son environnement, il y a nécessité d’innover, de capter l’attention des élèves, de prendre en compte leurs difficultés pour les inclure dans l’école plutôt que de les voir sombrer. C’est ainsi que depuis cette année, des évaluations sont proposées en début d’année pour cerner les difficultés de chacun. Des groupes de remédiation par discipline et intégrant plusieurs classes sont ensuite proposées. Au collège Raspail, les innovations font florès, une quasi tradition animée par une équipe éducative impliquée dans son établissement. Pour accompagner et structurer l’innovation, Régis propose un véritable management de projet avec l’écriture du projet d’établissement à partir d’un diagnostic, un découpage en grands axes et en actions, attribuées ensuite aux enseignants en fonction de leurs compétences et de leurs envies détectées lors de l’entretien annuel. A chaque action, des critères de réussite sont affectées permettant ainsi un suivi. Pour Régis, suivre les actions permet aussi de repérer des difficultés rencontrées par l’enseignant et de l’aider à les résoudre puisqu’action et critères de suivi ont été définis et validés avec lui. Pour obtenir des financements supplémentaires et intégrer des réseaux d’établissement favorisant l’échange, le collège Raspail participe à des projets européens et nationaux. Il a été retenu pour le projet « innovative school » il y a peu misant là sur l’obtention d’outils permettant d’améliorer les projets.

Autre projet français, l’Ilot 104, ainsi nommé du fait de son emplacement dans le forum. Gilles Blanchard et Gilles Zuretti sont venus représenter ce projet qui est encore à l’état d’idée et qui n’a pas encore de nom. Le programme innovative school intègre différents types de projets, aboutis ou à l’ébauche, l’expérience  des uns devant enrichir l’avancement des autres. L’importance est dans l’innovation, la technologie et dans la vision systémique du projet, englobant toutes les dimensions de l’apprentissage et les effets de son environnement avec une prise en compte des questions de santé, de nutrition, de développement durable et même dans certains cas de sécurité et de violence scolaire. Les écoles innovantes se doivent aussi d’être numériques. Le projet « Ilot 104 » concerne une école primaire qui sera fondée à Montreuil en utilisant au mieux les nouvelles techniques de construction inspirée du développement durable (autonomie énergétique, terrasses et toitures végétalisées, respect des normes HQE, etc.). Ecole verte, elle sera aussi numérique. Le projet en est à son démarrage. Les partenaires sont multiples : mairie, inspection, parents, enseignants, etc. Dans ce type de projet, Microsoft s’invite comme un partenaire capable d’accompagner sur le volet numérique. La posture n’est pas simple et demande une clarté du langage. Certes, dans d’autres pays comme l’Angleterre, les partenaires industriels sont associés à la conception de nouveaux établissements aux côtés d’une communauté éducative englobant les parents. Cette association heurte encore les esprits en France dans un pays attaché au service public de l’éducation. Pour s’insérer dans ce type de projet, les représentants de Microsoft doivent œuvrer de diplomatie et prouver des intentions exemptes de velléités colonisatrices.

L’incursion de Microsoft dans le système éducatif est elle plus simple ailleurs ? Pas sur non plus, le changement de posture de la firme de Redmond n’est pas toujours perçu. On attend d’elle du matériel alors que ce qu’elle désire c’est offrir des services.

Deux établissements tunisiens présentaient eux aussi leur école innovante. Tous deux se sont lancés dans l’innovation, de façon modeste selon leurs représentants. La pédagogie précédant la technologie le qualificatif de « modeste » correspond principalement à une vitrine technologique peu développée. Le lycée Bourguiba de Tunis et le collège de Manzeh ont tous les deux la particularité d’accueillir des élèves de bon niveau après sélection.

Au lycée Bourguiba, l’équipe souhaite pousser les élèves à coopérer, à s’entraider pour amoindrir l’esprit de compétition et le stress qui en découle. Pas de souci de violence, d’incivilité dans le lycée nous précise son proviseur Mr Lelhajsadock, mais un mal être latent lié à la peur de l’échec ou plutôt de ne pas être le meilleur le tout dans une concurrence qui tend à devenir malsaine. Des cellules d’écoute sont organisées pour favoriser l’expression du malaise et la recherche de solution. Un forum a été mis en place et permet de poser des questions de façon anonyme. Ici, c’est l’entraide qui est stimulée. Un élève peut se retrouver dans la question, un autre proposer une solution, l’anonymat protégeant de l’aveu de faiblesse. Un espace médiathèque est en cours d’aménagement avec des accès Internet pour aller facilement sur le forum. Les travaux de groupe sont rendus obligatoires pour réaliser des documents, des actions en commun. Les actions associatives et solidaires sont particulièrement encouragées. La production commune en art plastique permet elle de réaliser ensemble ce qui ne pourra être attribué à chaque individu, de montrer les vertus créatives du collectif. Six enseignants portent et animent le projet qui a pour objectif d’alléger la compétition au profit de la coopération.

 

Le collège de Manzeh a déjà vu son esprit d’innovation récompensé par différents prix. L’école est récente. Elle propose à ses élèves des activités artistiques (théâtre, musique), associatives et sportives. Créé il ya trois ans seulement, elle a intégré les nouvelles technologies pour stimuler l’émergence d’une réelle communauté éducative incluant les parents. L’école produit une radio et un journal, utilise Facebook pour communiquer. Les Tice sont utilisés dans les classes avec notamment des projets s’appuyant sur Didapages. Le principe est d’utiliser à plein les moyens disponibles ; moyens encore trop faibles au regard de l’objectif pédagogique poursuivi notamment en matière de créativité et d’autonomie. Par exemple, le nombre d’ordinateurs est insuffisant pour palier au manque d’équipement personnel chez les élèves et les enseignants.

De leur venue à Cape Town, les quatre établissements attendaient des échanges. Ils ont parfois été freinées dans leur volonté par la barrière de la langue : difficile de participer aux ateliers et de retirer des idées des conférences lorsque seul l’anglais est utilisé. Au-delà de Cape Town, il est difficile de cerner leur intérêt à entrer dans la démarche : recherche de méthodes, de matériels, de soutien sur la face technique de l’école numérique ?

Dans le cas des écoles françaises comme tunisiennes, que les projets visent l’inclusion ou la socialisation, Microsoft devra moduler son discours à dominante anglo-saxonne pour pourvoir apparaitre dans les écoles francophones comme un véritable partenaire. Des enseignants innovants à l’école innovante, il y a un grand pas, celui qui va de l’acteur au système, systèmes éducatifs locaux et sphère de l’éducation internationale. En souhaitant reliant les uns aux autres, en s’affirmant comme un accompagnateur de projet, un partenaire du changement, Microsoft tente de franchir ce pas de géant. Selon les pays, gageons qu’il sera plus ou moins accepté, souhaité, accueilli. Microsoft apparaitra comme un acteur de premier plan ou comme un partenaire assis au fond de la pièce. Il sera intéressant d’observer ces tentatives.

Au pays de Madiba

Cape Town vit sous l’effigie de Nelson Mandela, comme toute l’Afrique du Sud, certainement plus ici qu’ailleurs. Au large du front de mer pimpant et joyeux, des plages au sable blanc, à l’ombre de la magnifique Table Mountain, Robben Island rappelle aux visiteurs les heures les plus sombres de l’histoire du pays et de l’humanité. Ile maudite, léproserie, cousine de l’Ile de Gorée, prison inviolable pour les détenus noirs, Robben Island est devenue un sanctuaire que l’on visite en car, une boule au ventre. Les murs reflètent toute l’horreur d’un régime qui emprisonnait ceux qui simplement refusaient de porter leur carte de circulation. Aucune issue pour eux, sur ce confetti entouré d’eau froide infestée de requins, juste la possibilité d’une évasion par l’espoir et le projet politique, ce que certains d’entre eux firent. Visiter Robben Island c’est aussi un peu aller à la rencontre de ces hommes et de celui qui amena le projet jusqu’à son terme, allant même au-delà, en incluant la communauté blanche dans ce projet. Mandela, Madiba selon son nom de combattant, est présent dans toute la ville, sur les tee-shirts et dans les esprits.

La nation arc en ciel est elle pourtant la nation idéale ? Vue depuis Cape Town, on répondra par la négative. La ville est aussi marquée par les inégalités entre des lieux paradisiaques, au bord de l’Océan, avec accès privé vers la plage au sable blanc et belle architecture et les Townschips en couronne autour de la ville. La coupe du monde a accéléré la rénovation de Cape Town, donnant un coup de neuf aux différents quartiers du centre ville et du front de mer. L’aéroport n’a rien à envier aux autres plateformes internationales. La ville est pimpante mais porte encore les stigmates des inégalités et de la pauvreté. Le chomage est estimé entre 25 et 40% de la population, une population jeune, frappée par le Sida.

L’insécurité est également palpable. A l’hôtel, un message nous enjoint d’être prudents, de ne pas circuler seuls surtout le soir. Des insignes de protections sont présents sur beaucoup de façades. Le danger est réél pourtant, lorsque l’on se promène, ce sont la beauté des lieux et la sociabilité des habitants qui dominent. Au marché des artisans, à Green Market, là où logiquement les touristes devraient subir des arnaques, l’atmosphère est plutôt à la décontraction. Les marchandages se font sur mode léger. Les vendeurs discutent facilement, nous racontent des anecdotes sur la ville ou la Coupe du Monde. L’un deux explique que des français lui ont acheté un maillot de Thierry Henry pour le brûler ensuite devant son stand et marquer leur colère contre le comportement de l’équipe de France. Les vendeurs ne sont pas tous sud africains, certains viennent d’autres parties de l’Afrique Noire. A l’hôtel aussi nous rencontrons des serveurs congolais. La plupart nous disent qu’ils ne souhaitent pas rester ici, qu’ils sont juste venus pour travailler, mettre de l’argent de côté pour pouvoir repartir chez eux. Dans une échoppe, un nigérien nous explique que le pays est magnifique mais qu’il s’y sent mal accueilli par les blancs, avec l’impression qu’à leurs yeux il est forcément criminel parce que noir. J’ai parlé de cet échange avec plusieurs sud africains blancs présents au forum, ils paraissaient plutôt étonnés. Pour eux, la prise de conscience est générale sur la nécessité de renforcer l’égalité des chances et de gommer le racisme des relatons sociales. Chaque jour me disent ils la douloureuse histoire de l’apartheid est mentionnée d’une façon ou une autre dans les médias ou par les politiques. Certes, et même si les choses évoluent doucement, les blancs, soit 10 % de la population, ont encore en main les rênes de l’économie sud-africaine.

Diviser la société sud africaine en noirs et blancs est d’ailleurs fort simplificateur. L’Afrique du Sud est une véritable mosaïque où se parlent 11 langues officielles. Sur 45 millions d’habitants, on dénombre 38 millions d’africains, 4,4 millions de blancs, 4,2 millions de métis et 1,2 millions d’indiens ou d’asiatiques. Dans la province de Cape Town, trois langues sont parlées l’afrikaner, le isiXhosa et l’anglais au sein d’une population comptant 4,8 millions d’habitants.

Le système éducatif doit prendre en compte cette diversité et veiller à ce que l’école soit accessible pour tous. Les Provinces  sont responsables de l’enseignement général et complémentaire dans les écoles, le secondaire et la formation pour adultes. Parmi les priorités nationales, l’accès à une éducation de qualité pour les communautés pauvres vient en première position. A Robben Island, les prisonniers utilisaient les temps communs, de travail notamment, pour s’instruire entre eux et construire un projet politique. L’éducation a été pour eux un moyen de libérer leur esprit, rien d’étonnant à ce qu’elle devienne une pierre importante dans la construction de la nation arc en ciel.

Du Bronx à Hout Bay

La première interview que j’ai réalisée en anglais était celle de Reza Bardien, le responsable des programmes « partners in learning » d’Afrique du Sud. Nous étions à Philadelphie, pour le deuxième forum des enseignants innovants. Depuis, mon anglais a, je l’espère, progressé. Alors, je me suis lancée, j’ai interviewé Anthony Salcito, le vice-président mondial de Microsoft Education.

J’interroge peu d’ordinaire les responsables de Microsoft, ne pouvant miser sur mon anglais pour attendrir la langue de bois. Aperçu dans l’avion qui nous amenait d’Amsterdam au Cap voyageant en classe économique, observé concentré, à l’écoute des élèves et des enseignants, lors de la visite des écoles sud-africaines, ce patron là ne m’a pas semblé banal.

Quinze minutes m’étaient accordées comme à chacun des journalistes qui souhaitaient le rencontrer. Alors, j’ai préparé consciencieusement trois questions, trois points sur lesquels je souhaitais son avis. Tout d’abord, je voulais qu’il me parle de la visite que nous avions faite ensemble dans les écoles sud-africaines puis lui demander ce qu’était pour lui l’innovation pédagogique et la place de Microsoft dans l’accompagnement du système vers plus d’innovation. Enfin, en cerise sur le gâteau, je comptais l’entraîner sur un terrain plus personnel.

Anthony Salcito m’a accueillie avec gentillesse, a écouté patiemment mes questions balbutiantes et a répondu en prenant le temps pour que je le comprenne. J’ai enregistré les réponses pour pouvoir ensuite les traduire posément. La rencontre a été chaleureuse et j’ai poussé un grand ouf une fois la porte refermée, l’exercice était pour moi une grande nouveauté.

 

Le discours de Microsoft a parfois un côté religieux, presque messianique, basé sur des valeurs et une vision fortement anglo-saxonne. Les enseignants sont des héros, des leaders, la collaboration, la créativité sont les moyens de développer les compétences du XXIe siècle. Marketing ou sincérité, lorsque la firme Microsoft déborde de la technologie pour aller vers la pédagogie, le discours prend un tour incantatoire que l’on ne sait à quoi attribuer, véritable stratégie de communication maladroite ou réelle croyance dans ces valeurs. Un entretien avec Anthony Salcito ne suffira sans doute pas à choisir l’une ou l’autre de ces explications mais j’espérais qu’il me donne un éclairage même léger.

Anthony Salcito a grandi dans le Bronx et a réussi à s’échapper, s’en sortir grâce selon lui à la technologie. Il a aimé apprendre, il a, m’a t’-il dit, rencontré des enseignants formidables mais ce qui lui a permis de s’évader de son environnement, de découvrir d’autres univers, c’est la découverte des nouvelles technologies. C’est ce qu’il pense aussi pour les élèves de l’école de Hout Bay. En utilisant les nouvelles technologies dans le cadre de leur scolarité, ils accèdent à des compétences qui leur seront utiles pour évoluer professionnellement et à d’autres mondes, d’autres univers que le leur parfois difficile au quotidien.

Anthony Salcito aime son métier car il a le sentiment de contribuer à améliorer l’éducation, à faire de son parcours personnel non pas un exemple unique mais une voie possible pour changer de condition.

Mais dans sa vision de l’innovation, la technologie est elle la principale composante ? Pour lui, non, c’est un moyen d’initier des changements de porter des changements dans la pédagogie. La technologie est potentiellement innovante, des produits arrivent sans cesse sur le marché mais pour la pédagogie, il faut impulser le mouvement et les Tice constituent un moteur efficace.

 

Microsoft passe à un niveau supérieur dans l’accompagnement du changement. Ciblé vers les professeurs, le programme des enseignants innovants, dont le forum est la cérémonie annuelle, est désormais complété par le projet des écoles innovantes. La première école a été ouverte à Philadelphie il ya cinq ans. Anthony Salcito a supervisé ce projet qui englobe l’aspect design et architecture, l’organisation pédagogique et la prise en compte de l’environnement et des problèmes locaux. A Philadelphie par exemple, l’école propose des actions pour lutter contre l’obésité et la violence scolaire. A Cape Town, des projets d’écoles innovantes étaient présentés, dont deux français.

Cette évolution est plus ou moins aisée selon les pays et les systèmes scolaires. La légitimité de Microsoft pour accompagner les changements de systèmes, au niveau de l’établissement, fera l’objet de débats en particulier en France. A ma question sur cette légitimité, Anthony Salcito me répond par une stratégie de dialogue. Pour lui, les relations entre Microsoft et les écoles, les enseignants français ont évolué ces dernières années, des projets ont été menés dans les différents niveaux du système, de la maternelle à l’université. La volonté de la firme n’est pas de s’imposer, de se substituer à l’éducation nationale pour initier les changements mais de proposer une aide, de se placer comme un partenaire. Le dialogue est pour lui la clé.

Particularité de son parcours ou intelligence stratégique, les deux sans doute, le discours d’Anthony Salcito est débarrassé de tous les côtés qui nous dérangent, nous français et francophones, et au de là tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans les valeurs du modèle anglo-saxon. L’enfant du Bronx n’est jamais loin du regard d’Anthony Salcito. L’éducation est pour lui comme pour la plupart d’entre nous le moyen premier de donner à chacun la chance d’évoluer, voilà une valeur partagée.

Une belle personne

Le forum des enseignants innovants, en conviant des profs du monde entier réserve de jolies rencontres avec des êtres que nul par ailleurs on ne côtoierait. Hier, à l’heure où les candidats repliaient leur poster, rangeaient leurs cadeaux et les cartes de visites récoltés dans la boîte à souvenir, j’ai rencontré une enseignante hors norme, une belle personne, Krishna Sharma.

Krishna enseigne dans une école primaire de l’Inde, à Vidisha, l’école de son enfance. Krishna avait pourtant suivi au départ une autre voie, décrochant un diplôme d’avocate. Mais enseigner est pour elle une réelle vocation, surtout dans sa ville natale où l’éducation lui parait la meilleure des solutions pour faire évoluer les choses, améliorer les conditions de vie des enfants et donc des familles.

Krishna a repris le chemin de son école avec comme idée en tête de retenir les enfants dans la classe, eux qui y viennent juste pour le minimum, attirés à l’extérieur par l’ennui ou la nécessité. Pour les retenir et leur donner envie d’apprendre, elle décidé de réaménager sa classe et de doter chaque élève d’un portable, de quitter le tableau noir et permettre à chacun d’apprendre à son rythme. Idée simple et pas originale partout dans le monde où les nouvelles technologies sont accessibles mais là, à l’école publique de Vidisha il n’y a pas d’électricité et pas d’ordinateurs. Pour acheter des portables, Krishna a contracté un crédit sur une durée de quinze ans. Pour recharger les portables, elle se rend deux fois par jour à la supérette.

Ce type d’initiatives n’est pas isolé. J’ai déjà relaté des expériences au Burkina Faso ou au Sénégal où l’enseignant s’engageait personnellement, y compris financièrement pour permettre à ses élèves d’apprendre dans les conditions du XXIe siècle. Lors des conférences du forum, il a été répété à plusieurs reprises que les enseignants innovants étaient des héros. Certes, mais enseigner au Nord ou enseigner au Sud, c’est peut être le même métier mais dans des conditions totalement différentes. Dans ce cas, je préfère parler d’engagement plutôt que d’héroisme, qui lui sous entend une approche individuelle allégeant le système d’une partie de ses responsabilités.

L’initiative de Krishna porte ses fruits. Les élèves ne fuient plus l’école mais reste pour apprendre, une inclusion réussie dans le système scolaire. Son projet n’a pas remporté de prix, n’a pas été salué par le jury. Et pourtant, il est réellement innovant dans le sens où il change les choses dans l’environnement de l’école.

Krishna Sharma parle très peu anglais et ne lira sûrement pas cet article. J’aurais aimé pourtant et j’ai une pensée pour elle, à l’heure où je plie les bagages, et une pensée aussi pour tous ces enseignants croisés ou inconnus qui changent les choses en douceur et avec détermination.

South african raï

Nous avons commencé à les entendre lors du diner réunissant l’ensemble des délégations francophones. Puis ils se sont multipliés, diffusés. Les chants arabes ont étendu la bande son du forum des enseignants innovants jusqu’aux bords de la Méditerranée.

 

Les chanteurs, tunisiens, libanais, jordaniens, saoudiens et égyptiens unissent leurs voix le temps d’une ou plusieurs chansons, mais pas seulement. Ils se sont rencontrés lors du dernier forum des enseignants innovants panafricains à Tunis début octobre et mettent en œuvre depuis un projet commun autour de la différence.

Lors du forum de Tunis, ils ont visité ensemble la ville de Sidi Boussaid, une ville où différentes communautés se côtoient et vivent ensemble avec une grande tolérance. L’exercice qui leur était demandé consistait à imaginer ensemble un projet inspiré de cette visite et de le présenter aux autres enseignants présents à Tunis. Leur projet, traitant la différence sur un mode collaboratif, a remporté les suffrages. Ils ont donc décidé de le mettre en œuvre rapidement pour le présenter à Cape Town plutôt que de venir en Afrique du Sud avec leurs projets personnels.

En un mois, chaque enseignant associé a travaillé avec ses classes pour développer des actions. Mejdi Daouda, enseignant de musique en Tunisie, a dans un premier temps demandé à ses élèves de caractériser les types de différence et les exclusions qui en découlent à l’aide de documents et de données statistiques. Ils ont ensuite choisi de s’intéresser plus précisément au handicap. Ils ont composé une chanson, l’ont interprétée, enregistrée et ont réalisé un clip. Les égyptiens ont traduit la chanson de l’arabe à l’anglais et ont réalisé un logo. Les libanais ont travaillé sur l’acrostiche du mot « Diversity ». Un wiki a été créé pour partager les informations.

Ce projet, rapide et collaboratif, a remporté les suffrages du public. Lors de la remise des prix, je vous laisse imaginer l’ambiance tout en chants et en rythmes qui a submergé la salle.

Jour de grève

Jour de grève en France, si loin de l’Afrique du Sud, de Cape Town printanière, de l’innovation pédagogique cosmopolite, et pourtant.

A l’heure des pauses café, des repas partagés, la question revient, gimmick des relations internationales informelles « comment va la France ». Que l’on manifeste contre les retraites soulève souvent une certaine incompréhension, mais que toutes les générations se mobilisent ensemble pour protester contre les pratiques gouvernementales résonne de façon positive. L’expulsion des roms a eu de l’echo un peu partout dans le monde et puis, l’inquiétude sur l’évolution de notre planète est partagée.

Alors oui, figurez vous que les grèves françaises ont bonne presse ici. Grâce à elles, au coup d’éponge qu’elles glissent sur l’ardoise footbalistique, nous sommes redevenus des gens tout à fait fréquentables.

Exhibition

Nous sommes rentrés hier dans le vif du sujet, la présentation des projets. Sur leur stand, les enseignants présentent, en un poster et en quelques phrases en anglais, une langue que tous ne maitrisent pas, des mois de travail, de réflexion, de réalisations. Trois juges passent pour évaluer leur projet et le sélectionner éventuellement pour la suite de la compétition.

 

Selon les pays, les motivations sont différentes, gagner ou simplement montrer, intéresser, échanger, prendre des contacts. L’aspect compétition nous semble à nous français étrange et dérangeant au premier abord. Ensuite, immergés dans l’atmosphère bouillonnante, l’exercice devient amusant, une méthode accélérée pour travailler son anglais.

Pour une bloggeuse, la présentation des projets est un véritable défi. Quels enseignants interroger, quelle idée décrire ? Les stands rivalisent d’imagination pour attirer mon regard mais je fuis les présentations stéréotypées, formatées par une furieuse envie de correspondre aux critères attendus par les juges et par Microsoft. Beaucoup mettent en avant les outils utilisés alors que je recherche la pédagogie et surtout la problématique, le questionnement qui a initié le projet. Ce qui m’intéresse c’est de comprendre comment et pourquoi un enseignant met au point une innovation, à quoi a-t-il été confronté, qu’est ce qui l’a motivé à sortir des sentiers battus et à consacrer des heures et des heures pour créer quelque chose de nouveau. A vrai dire, je me moque un peu de l’innovation, mot derrière lequel j’ai du mal à mettre une définition. Alors, je cherche quoi dans ces allées bruyantes ? Et bien beaucoup d’imagination et des récits d’enseignants.

 

Alors, je rends visite à des projets que j’ai déjà aperçus, que je connais par échanges électroniques interposés. Fatou Diouf, enseignante sénégalaise, a travaillé avec ses classes de 4e et de 3e pour sensibiliser les populations sur les dangers de la malaria. Ses élèves se sont documentés. Ils  ont étudié en biologie les origines de la maladie, les moustiques anophèles, les moyens de la prévenir, de la guérir. En mathématiques, ils ont établi des statistiques, construit des graphiques avec un tableur pour comparer l’importance de la maladie par zone géographique. Ils ont contacté les organismes de santé pour collecter des informations. Ils ont correspondu avec d’autres écoles pour enrichir leur dossier de façon collaborative. Puis, ils ont réalisé des outils de communication, vidéos et images pour mener une véritable opération de sensibilisation des populations avec le soutien du district.

Le projet de Fatou Diouf est il innovant ? Peu importe. Il inclut tous les mots clés d’un projet innovant pour le forum : travail collaboratif, ouverture vers la communauté, pluridisciplinarité, nouvelles technologies. Peu importe vraiment. Derrière la présentation de Fatou, on perçoit tout le travail mené simplement pour avoir les outils, trouver les ordinateurs, donner à ses élèves les moyens d’apprendre à utiliser les outils numériques. Elle a contacté des organismes comme USAID pour obtenir ces moyens. La préoccupation première, lutter contre la malaria et la réponse trouvée, celle de l’éducation et de la sensibilisation, sont totalement, illustrent parfaitement l’importance de l’éducation.

 

Kamal Essouafi a développé un outil numérique en astronomie. A partir d’une banque de données et d’images collectées auprès d’instituts, son DVD permet de visionner les systèmes, les planètes, les mouvements. L’élève est guidé par une aide audio. Il peut réaliser des quizz, exporter les données pour les réexploiter. Il possède un exemplaire du DVD qu’il peut emmener chez lui ou consulter dans un cybercafé.

Le guide de l’astronomie réalisé par Kamal Essouafi est esthétique et facile à utiliser, à mon sens une belle réussite technique. Est-ce une innovation ? Là aussi peu importe. Ce que souhaite Kamal c’est partager sa passion pour les étoiles avec les élèves, leur donner la possibilité de connaître les secrets des planètes au-delà des cours, de nourrir leur curiosité astronomique. Sans formation informatique de base, il a appris le développement multimédia. Il a pu s’appuyer sur le programme Genie mis en place par le gouvernement marocain pour développer l’usage des Tice. Son école de l’enseignement primaire, située dans une zone de montagne, est équipée d’ordinateurs. Son outil sera utilisé par d’autres écoles situées dans son district et sans doute dans des districts avoisinants. Il soulève déjà l’intérêt de la presse marocaine, Kamal Essaoufi l’a présenté il y a quatre jours lors d’une conférence.

Alors, une innovation le guide de l’astronomie ? A mon sens oui, il amène de nouvelles pratiques, une nouvelle approche de la science dans l’école marocaine et favorise l’acquisition de compétences numériques.

Autre contexte, autre pays mais même continent, Peter de Lisle, enseignant sud africain s’intéresse au thème de la biodiversité. Il demande à ses élèves de 14 ans d’imaginer des animaux capables de s’adapter à un environnement donné. Chaque élève créé son animal sur Photoshop, explique ses choix morphologiques en se documentant dans la base de connaissances rassemblées sur une plateforme moodle et raconte ensuite l’histoire de sa créature. Le travail est évalué selon une grille prenant en compte les différentes compétences mobilisées. Connaissances en biologie, en géographie, manipulation de l’ordinateur, techniques d’expression, Peter fait visiter à ses élèves nombre de disciplines pour aboutir à un travail créatif. Le tylophane imaginé par un élève a des ailes en argent pour que brillantes sous la lune, elles attirent les insectes qui le nourrissent.

Peter De Lisle est un habitué de l’innovation. Il avait proposé il y a trois ans un projet sur le pluriculturalisme et la tolérance, projet convaincant mais qui n’avait pas retenu l’intérêt du jury. Ses ingrédients de base sont la créativité, la pluridisciplinarité et le numérique. Peter cherche les moyens d’intéresser les élèves à une question vive, de les motiver à aller plus loin, ici à comprendre les enjeux de la biodiversité, l’impact des changements climatiques sur les animaux, la nécessité pour eux, et parfois l’impossibilité de s’adapter. Ce projet est le dernier qu’il mènera car l’an prochain, il deviendra accompagnateur, « mentor », pour aider les enseignants de son école à concevoir et mettre en œuvre des innovations pédagogiques.

Une de ces trois innovations retiendra t’elle l’attention du jury ? J’aimerais dire peu importe mais ce serait pur mensonge. Pour chacun d’entre eux, la reconnaissance de leur travail est d’importance.

Afrique du Sud, terre de contrastes

Peut on deviner, appréhender un pays en visitant ses écoles ? Sans doute non mais un peu tout de même. En nous invitant à visiter deux écoles, aux réalités différentes, nos hôtes sud-africains ont ouvert grand les portes de la réalité de leur pays.

A Cape Town, c’est le printemps, un printemps ensoleillé, rayonnant, verdoyant dans un paysage mêlant océan, montagnes et vignes, un décor de rêves dans lequel nous cheminons pour rejoindre les deux écoles que nous visiterons. Nous traversons des quartiers résidentiels où les maisons sont estampillése du souci sécuritaire. La première école, Saint Cyprian School se situe à l’ombre de Table Mountain, la montagne qui surplombe Cape Town.

 

Le lieu est magnifique. Nous sommes accueillis par des jeunes filles en uniforme bleu à grande majorité blanche. Des enseignantes nous accompagnent pour découvrir les différents niveaux, de la maternelle au collège, les différents lieux aussi. Le sport, l’enseignement artistique, les sciences, en particulier l’astronomie avec un superbe télescope sont développés ici.

Les salles sont équipées de tableaux interactifs, le centre de documentation est douillet, les locaux rénovés respectent les normes environnementales. Bref, nous sommes dans une école modèle destinée aux jeunes filles à l’avenir prometteur. Dans la chapelle, une chorale nous attend. Dehors, des élèves en groupe, assises sur la pelouse ou sur des bancs à l’ombre prennent leur lunch.

L’atmosphère fleure bon l’afrikanneer mais nous ne sommes plus sous le règne de l’appertheid. Quelques visages noirs sont présents dans l’assemblée des élèves, preuve que les choses bougent en Afrique du Sud.

Le contraste est saisissant avec la deuxième école, celle de Houtbay. Ici pas de café, de jus de fruit et de petits gateaux pour nous accueillir mais un principal enthousiaste, avide de nous faire partager sa passion pour l’enseignement.

Le rôle de l’éducation est d’importance ici, le plus sur moyen d’évoluer, de sortir de ce quartier pauvre. Mais comment impliquer parents et élèves lorsque le porte monnaie (et le ventre parfois) sont vides ? Ici les ordinateurs sont vieux, les salles n’ont rien de pimpant alors on mise sur la pédagogie. Ici, tous les visages sont noirs et les classes sont mixtes. Sur les murs, des slogans nous rappellent que le Sida fait rage ; autre visage, autre réalité de l’Afrique du Sud qui offre à l’éducation une place centrale. Pour nous dire au revoir, des élèves nous chantent spontanément l’hymne national, la main sur le cœur et le fou rire au bord des lèvres. Une des élèves chante faux, a du mal à accorder sa voix sur celle des autres. Eux ont les larmes aux yeux de rire, certains d’entre nous ont les larmes aux yeux d’émotion, un moment de partage empreint de grâce.

Entre Saint Cyprian School et Houtbay, le fossé est grand, les enjeux de l’école sont totalement différents. D’un côté, on éduque pour permettre aux élèves de marcher dans la trace de leurs aînés, dans l’autre on ouvre les portes vers un avenir plus sûr. Les deux se rejoignent pourtant, dans le souci de construire une véritable nation arc en ciel, de faire évoluer le pays vers une stabilité économique et politique. A St Cyprian School, on apprend aussi l’ouverture et la tolérance. Les deux écoles participent à un programme mondial autour du développement durable, une collaboration sur le thème de l’arbre.

Les deux écoles reflètent la diversité de l’Afrique du Sud : un pays africain marqué par la main mise afrikaner. La population Sud Africaine est composée d’environ 50 millions de personnes parmi lesquelles 10% de blancs, 80% de noirs, 8% de métis et 2 % d’asiatiques. Le chômage atteint 25% de la population, certains l’estiment à environ 40%. Le pouvoir économique est encore fortement blanc bien que les choses évoluent là aussi. Et c’est sur l’éducation que la nation compte pour que l’équilibre s’instaure et favorise l’émergence d’une économie prospère pour tous.

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