Dans cette tribune, Yannick Trigance revient sur l’éducation prioritaire, qui n’a de priorité aujourd’hui que l’adjectif. Et pourtant, un élève sur 5 est scolarisé dans un établissement d’éducation prioritaire rappelle-t-il, tout comme la nécessaire « politique globale pour les quartiers en difficulté », santé, logement, culture, accès aux services publics. Pour lui, les leviers existent, « des outils qui dans la lutte contre les inégalités permettraient de rétablir la promesse républicaine, non pas celle de l’égalité des chances mais bel et bien celle du droit à la réussite de tous les élèves ».
Parmi les dossiers remisés au fond des placards de la rue de Grenelle, celui de l’éducation prioritaire occupe une place conséquente depuis 2017 avec la succession de ministres qui se sont bien gardés de remettre sur la table des discussions la révision de cette politique publique, levier pourtant essentiel dans la lutte contre les inégalités.
Une politique d’éducation prioritaire pour contrebalancer l’effet des inégalités
Initialement destinée à renforcer les moyens attribués au service public de l’éducation dans des territoires et établissements scolaires les plus en difficultés, cette politique d’éducation prioritaire visait également à contrebalancer l’effet des inégalités sociales et culturelles face aux écarts grandissant entre les écoles et établissements concentrant des élèves issus de milieux sociaux favorisés et ceux concentrant des élèves issus de milieux sociaux défavorisés. Cet objectif fut traduit par une formule pour le moins maladroite : « donner plus à ceux qui ont moins », l’enjeu n’étant pas de donner des moyens de compensation mais des moyens pour permettre aux élèves de ces quartiers de réussir leur scolarité.
Fondé en 1981 sur une labellisation des écoles et collèges dans des zones dites « prioritaires », ce dispositif, n’en déplaise aux conservateurs de tous bords, a permis de limiter l’aggravation du taux d’échec scolaire dans ces territoires.
Éducation prioritaire et mixité
Révisée en 2013-2014 avec l’inscription d’objectifs précis – dont celui de la mixité sociale – dans l’article L.111-1 du Code de l’éducation –, l’éducation prioritaire se devait notamment de réduire de 10% les écarts entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux scolarisés hors éducation prioritaire concernant la maîtrise des compétences de base en français et en mathématiques. Dix années plus tard, convenons que ce dispositif n’apparaît plus comme « prioritaire » aux yeux des responsables politiques qui, au plus haut niveau de l’Etat, s’ingénient systématiquement à en repousser la révision et donc la modification.
1 élève sur 5 scolarisé en éducation prioritaire
Et pourtant : à la rentrée 2023, un collégien sur cinq était scolarisé en éducation prioritaire – 7.3% dans un collège réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+) et 14.2% dans un collège d’éducation prioritaire (REP)- avec un surcoût financier évalué à 22% par élève de REP+ et à 14% pour un élève de REP. Si ces montants -1,9 Mds d’euros de budget en 2023, budget qui n’a pas augmenté depuis 2017 et qui représente seulement 2,4% de la dépense publique de l’éducation en France- peuvent amener les opposants habituels à décrier l’efficacité de cette politique publique au regard de l’évolution de la situation, il convient d’abord et avant tout de définir politiquement les décisions à prendre pour, enfin, reconsidérer et réorienter ce dispositif et mieux coller ainsi à la réalité des territoires.
Ceci nous amène à réaffirmer que la politique d’éducation prioritaire reste indissociable d’une politique globale pour les quartiers en difficulté : or, si l’Ecole peut beaucoup, elle ne peut tout régler et constitue plus que jamais le miroir de l’environnement dans lequel elle évolue : les problématiques de logement, de santé, d’accès au sport, à la culture, et plus généralement aux services publics, ne sont pas neutres dans le processus de réussite éducative, loin s’en faut.
Une politique territoriale
Par ailleurs la politique de l’éducation prioritaire reste aujourd’hui encore une politique essentiellement territoriale avec des conséquences parfois problématiques. Elle bénéficie en effet à seulement 30% des élèves défavorisés vivant sur les territoires des réseaux prioritaires : quid alors des 70% d’élèves défavorisés en dehors de ces réseaux ?
Quid également des établissements situés juste au-dessus des seuils et qui ne disposent donc pas d’aide spécifique alors que leurs publics scolaires sont souvent en difficultés ? Qu’en est-il des lycées aujourd’hui en dehors des dispositifs ?
Une évaluation de l’existant conduirait à la réalisation d’un bilan et par conséquent au réexamen de la carte de l’éducation prioritaire seul à même d’envisager des modifications rendues nécessaires face à l’évolution des situations dans certains territoires. Elle permettrait notamment de mettre en avant le formidable travail réalisé dans ces territoires par les équipes éducatives très fortement engagées pour faire progresser leurs élèves tout en atténuant le frein que peut constituer ce label « éducation prioritaire » dans la recherche d’une indispensable mixité sociale. Enfin, elle conduirait à activer les leviers permettant d’atteindre l’objectif premier de l’éducation prioritaire, à savoir la lutte contre l’échec scolaire des enfants majoritairement issus des milieux populaires.
Des leviers
Ces leviers bien connus viennent opportunément d’être rappelés par le Collectif Langevin Wallon dans un ouvrage intitulé L’éducation prioritaire : une politique féconde pour le système éducatif. Ajustement de la carte de l’éducation prioritaire au plus près des réalités sociales et scolaires, refondation pédagogique sur la base du référentiel de l’éducation prioritaire –document recensant les pratiques qui favorisent la réussite des élèves-, explicitation des compétences pour assurer la maitrise du socle commun, mise en place d’une école de la coopération et de la bienveillance, scolarisation des enfants de moins de trois ans, dispositif »plus de maîtres que de classes », accueil, accompagnement, soutien et formation des équipes éducatives, renforcement du pilotage et de l’animation des réseaux ….
Autant d’outils qui dans la lutte contre les inégalités permettraient de rétablir la promesse républicaine, non pas celle de l’égalité des chances mais bel et bien celle du droit à la réussite de tous les élèves.
C’est désormais aux politiques de s’emparer de ce sujet : il n’est que temps.
Yannick Trigance
