« Les trois chapitres allégés sont porteurs de questionnements qui nous paraissent essentiels : école, crise financière, justice sociale ». L’Apses, l’association des professeurs de Sciences Economiques et Sociales, dénonce les allègements de programme de SES en Terminale, tant sur le fond que sur la méthode. L’Apses représente 40% des enseignants de la discipline. A la rentrée 2023, 132 627 élèves avaient choisi cette spécialité, soit 34,7% des élèves de terminale de la voie générale. Il s’agit de la deuxième spécialité la plus choisie après les mathématiques. Raphaëlle Marx, professeure de SES à Paris et co-secrétaire générale de l’Apses répond aux questions du Café pédagogique sur les raisons des désaccords. Elle précise les enjeux pour les SES.
L’Apses demandait l’allègement des programmes depuis 2019. Les programmes des SES ont été allégés par le ministère cette rentrée. Quel est donc le problème ?
En juin 2024, un allègement de programmes a été annoncé pour la classe de Terminale. Les programmes de Seconde et Première restent identiques. En terminale, trois chapitres sont supprimés : sur l’École, sur la justice sociale et le chapitre sur la crise financière. Cet allègement ne correspondait pas à l’allègement demandé par les professeurs de SES depuis 2019. L’allègement est quand même un soulagement. Il y a eu un flou pendant l’été mais là une note de service va paraître au BO. Cette note de service stipule qu’à compter de la session 2025, les trois chapitres ne sont plus évaluables. Mais ils restent encore dans le programme.
Nous demandons l’ouverture d’une concertation pour d’autres aménagements qui reflètent davantage notre expertise professionnelle et nos souhaits.
Sur quoi portaient vos souhaits d’allègement ?
Le programme de SES comporte 12 chapitres. Au mois de juin, au sein de l’association, nous avons fait un travail pour proposer des allègements d’urgence. On préconisait un travail d’allègement d’objectifs d’apprentissage, pas des suppressions de chapitres. A la pratique, on peut trouver certains objectifs très techniques, difficiles à traiter en classe, mal articulés avec le reste du chapitre ou des redondances. Il y a aussi des objectifs qui posent problème sur le fond, notamment sur les questions écologiques avec l’innovation comme solution aux limites écologiques de la croissance. Avec l’Apses, on avait demandé à la fois la suppression de certains objectifs d’apprentissage à l’intérieur de chaque chapitre et la fusion de certains chapitres pour réduire le nombre de chapitres. Par exemple, on aurait pu fusionner les chapitres Ecole et Mobilité sociale. Or, ce qui va sa passer cette année, c’est la suppression pure et simple du chapitre sur l’Ecole. On pensait aussi qu’il était possible de fusionner le chapitre sur le travail et l’emploi avec le chapitre sur le chômage dans une perspective pluridisciplinaire. On acte que cette année, ce sont trois chapitres en moins, que c’est un soulagement mais la question est « et après ? »
Que demandez-vous aujourd’hui alors ?
On demande un groupe de travail. L’Apses continue de demander la réécriture des progammes de Seconde, Première et Terminale pour qu’ils soient mieux articulés les uns avec les autres et qu’ils soient plus en prise avec un certain nombre de questions vives, qui aujourd’hui ne nous semblent pas bien traitées dans les programmes.
Quelles questions vives ?
Par exemple, on a fait tout un travail sur la question écologique à l’Apses. Il nous semble que les programmes ne prennent pas la mesure des avancées en sciences sociales sur cette question. Ils continuent de présenter la croissance comme horizon. Cela nous semble manquer d’articulation générale : l’écologie amène à repenser l’ensemble des problématiques que nous enseignons déjà, la justice sociale, la croissance économique… C’est une entrée par laquelle nous aimerions que les programmes soient repensés à plus long terme.
Quels sont les chapitres supprimés ? Comment interpréter ces choix ?
Les trois chapitres allégés sont porteurs de questionnements qui nous paraissent essentiels : école, crise financière, justice sociale. C’est le seul moment où les élèves entendent parler de services publics, d’impôts, de redistribution. Le chapitre sur l’école parle de inégalités scolaires, et donc apporte un regard critique sur le système éducatif et les inégalités. Le chapitre sur les crises financières aborde les questionnements macro-économiques dans une perspective historique. Enlever ces chapitres conduit à appauvrir les questionnements des élèves, ce n’est pas anodin. Alléger est toujours compliqué mais il s’agit là de chapitres porteurs d’une réflexion sur des questions de société avec une dimension critique et pluridisciplinaire. Pour nous, cela pose problème du point de vue de la formation du citoyen comme du pluralisme des approches sociales.
Quelles perspectives avez-vous aujourd’hui ?
La Dgesco nous a reçus le 10 septembre et nous a confirmé la publication de la note de service au BO. Comme toute note de service, elle est potentiellement modifiable pour les sessions postérieures à 2025. Nous avons demandé un travail de concertation. A ce stade, la porte n’est donc pas complètement fermée. Nous sommes en attente du nouveau ministre, de son cabinet pour éventuellement engager le travail, qui sera dans leur perspective, un travail d’allègement. Ils ne pensent pas aujourd’hui saisir le Conseil supérieur des programmes. Nous souhaitons engager rapidement et de manière concertée un travail de réécriture des programmes de SES.
Propos recueillis par Djéhanne Gani