Réalisateur belgo-marocain, Jawad Rhalib, revendique une démarche artistique engagée, soucieuse de valoriser le respect d’autrui, la liberté d’expression et la primauté de la culture et de l’éducation sur les préjugés et l’obscurantisme. Son expérience du journalisme puis ses va-et-vient entre le documentaire social (« El Ejida, la loi du profit », « Les Damnés de la mer », « Au temps où les arabes dansaient ») et les fictions caustiques de cinéma (« 7, rue de la Folie », « Insoumise », « Boomerang ») manifestent souci de réalisme et critique sans concession des dysfonctionnements politiques, économiques et de la montée des intolérances religieuses qui fracturent nos sociétés.
Une fiction dérangeante, fruit d’une longue maturation
A partir d’un long travail de recueil de témoignages et de recherches de terrain, il peaufine sur plusieurs années (scenario coécrit avec David Lambert et Chloé Léonil) le portrait fervent d’Amal (Lubna Azabal, interprète saisissante), jeune professeure de lettres dans un lycée de Bruxelles, prônant des méthodes pédagogiques audacieuses, fondées sur la liberté de s’exprimer et de penser chez les élèves. Le fondement d’un enseignement aux prises avec les préjugés et l’hostilité de certains jeunes et de leurs familles. Au point de mettre au jour la domination de l’obscurantisme religieux. C’est le début d’un engrenage, digne d’un thriller, conduisant la combattante solitaire (ou presque), -mollement soutenue par sa hiérarchie frileuse et des collègues vulnérables-, à affronter des périls grandissants : du harcèlement d’une élève homosexuelle par ses congénères criant à l’indécence, de l’usage malsain des réseaux sociaux, des menaces de mort et autres manifestations de haine à l’encontre d’une professeure habitée par l’amour des arts et de la littérature, persuadée du pouvoir émancipateur de la transmission.
L’emprise de l’extrémisme religieux, la force d’un esprit libre
Amal, courageuse et solitaire (même si subsiste la tendresse inquiète de son compagnon), doit faire face au malaise d’une classe aux divisions exacerbées, au point que la violence et les affrontements physiques n’en sont pas toujours exclus ; le filmage –étayé par des ajustements du script au fil du tournage- révèle les contradictions en chacun des adolescents qui se cherchent, des préjugés liés au sexe et au genre, des interdits religieux contraignants aux doutes quant à leur bienfondé, de la souffrance de la harcelée (moquée aussi pour ses tatouages et son habillement différent) à la rancœur accumulée par d’autres victimes de discriminations.
Amal doit aussi tenir compte d’une spécificité de l’Ecole publique en Belgique. Même si une réforme (les cours devenant optionnels) devrait entrer en vigueur à la rentrée scolaire 2024, pour l’heure les cours de religions sont obligatoires et intégrés au cursus et dans chaque école les élèves choisissent la religion qu’ils souhaitent approfondir. Aucun membre du corps enseignant n’a le droit de voir ce qu’il se passe. La jeune professeure sans peur s’oppose ouvertement au professeur de religion très influent, Nabil (Fabrizio Rongione), et imam converti, également influent dans l’environnement social de l’établissement.
Pourtant la flamme d’Amal ne s’éteint pas. Même si une partie des élèves s’offusque de l’étude et de la lecture en classe d’une œuvre du poète arabe Abu Nawas, auteur du VIIIème siècle, célébrant la liberté sexuelle au grand dam de parents brandissant une liste de ‘livres interdits d’enseignement’ selon une interprétation extrémiste de leur religion, elle ouvre encore le champ des possibles au-delà des programmes de littérature en Français également étudiés, au nom de la beauté d’une culture d’origine, apte à ouvrir les esprits prisonniers d’un dogmatisme mortifère.
Avec « Amal-Un esprit libre », film ‘choc’ sur les écrans français le 17 avril prochain, le cinéaste frappe un grand coup, convaincu de la capacité du cinéma à susciter le débat, réveiller les consciences, ‘contribuer à changer les choses’.
L’héroïne mise en scène par Jawad Rhalib adresse avec enthousiasme cette injonction à ses élèves au début de leur aventure collective : ‘ Lisez, posez-vous des questions, développez votre esprit critique et vous serez libres’.
Au terme d’un combat à haut risque et à l’issue incertaine, Amal continue à relever le défi de l’éducation avec panache.
Parution dans le cadre d’un partenariat