Dans cette tribune, Yannick Trigance analyse le numéro d’équilibriste auquel doit se plier Nicole Belloubet face à un Premier ministre qui a du mal à accepter les défaites. Si la ministre de l’éducation « gagne » sur les groupes de niveau/besoin, il lui reste toujours « à reconsidérer -pour mieux les supprimer- le redoublement, l’uniforme à l’école et les classes « prépa lycées » destinées à faire barrage aux collégiens qui n’obtiennent pas leur brevet ».
Un numéro d’équilibriste consistant à ne pas désavouer son premier ministre Gabriel Attal tout en s’évertuant à mettre fin au mécontentement grandissant de la communauté éducative face au retour des groupes de « niveaux » : tel est l’objectif de la nouvelle ministre de l’éducation nationale Nicole Belloubet pour sortir d’un « bourbier » dans lequel s’est notamment enlisée Amélie Oudéa-Castera qui invoquait sans vergogne « une évolution rendue nécessaire par la dégradation des résultats ».
Première étape sur ce chemin de rédemption : l’importance des termes utilisés. Dès son arrivée le 8 février dernier, la nouvelle ministre a bien pris soin de ne jamais utiliser le terme de groupe de « niveaux » vécu à juste titre comme un système de ségrégation, de tri social dont toutes les études ont montré qu’ils contribuent à renforcer les inégalités, l’entre soi et le sentiment d’échec pour les élèves les plus en difficultés sans pour autant faire progresser les « bons » élèves regroupés entre eux.
En veillant à ne parler que de groupe de « besoins », de groupe « interclasse » ou encore d’« hétérogénéité restreinte », la ministre s’attache à désamorcer une contestation chaque jour plus prononcée tout en veillant à ne pas contredire le discours injonctif asséné pendant des semaines par Gabriel Attal et réaffirmé il y a quelques jours encore.
Au-delà de la seule question lexicale, la ministre veille à se montrer respectueuse de l’autonomie pédagogique des équipes dans la mise en place de ce dispositif qui devrait démarrer pour les classes de 6ème et 5ème à la rentrée scolaire de septembre prochain.
En donnant « la possibilité à titre dérogatoire sous la responsabilité des chefs d’établissement, de préserver des temps de mathématiques et de français en classe complète sur des temps distribués dans l’année, peut-être avant les conseils de classe » et en conditionnant cette dérogation à la production « d’un écrit synthétique pour l’organisation qu’ils ont retenue » avec des groupes de 15 élèves qui constituent un « repère » mais pas une « contrainte », la ministre tente de rassurer les enseignants qui depuis 2017 subissent sans discontinuer des injonctions pédagogiques ministérielles.
Mais nul n’est dupe : il est une réalité qui, de fait, rend grandement impossible la mise en place de ce dispositif tel qu’annoncé, quand bien même le premier ministre, pour ne pas perdre la face, s’est empressé de contredire la nouvelle ministre de l’éducation en réaffirmant dans les médias la mise en place de groupes de niveaux.
Les crédits nécessaires, les 2330 postes à créer ou à redéployer ne sont en effet pas au rendez-vous des promesses annoncées en décembre dernier par Gabriel Attal qui pourtant a emporté avec lui à Matignon « la cause de l’école, mère de toutes les batailles ».
Pire encore : sauf à sacrifier des dispositifs existant ou des options qui fonctionnent très bien dans la grande majorité des cas et qui permettent un tant soit peu aux collèges publics de maintenir une « attractivité » décisive pour une mixité sociale plus que fragilisée, les dotations qui viennent d’être attribuées aux collèges ne permettent pas de couvrir les besoins nécessaires à la mise en place de ces groupes de « niveaux ».
Particulièrement soucieux de trouver des solutions correspondant aux attentes et aux besoins de leurs élèves, les chefs d’établissements et leurs équipes échapperont difficilement au montage de véritables « usines à gaz » pour tenter d’élaborer des réponses pédagogiques.
Mais quel que soit le type de remédiation ou de dispositif, la problématique de fond demeure : les établissements manquent cruellement de moyens humains et les enseignants de temps de concertation pour garantir un traitement efficient de la difficulté scolaire et pour permettre à chaque élève d’aller au maximum de ses possibilités et potentialités.
Et si au final, symbole d’une école passéiste et conservatrice, le fameux « choc des savoirs » perd –au moins dans l’affichage et la sémantique – l’un de ses piliers, il reste néanmoins à Madame Belloubet à reconsidérer -pour mieux les supprimer- le redoublement, l’uniforme à l’école et les classes « prépa lycées » destinées à faire barrage aux collégiens qui n’obtiennent pas leur brevet.
Encore un effort Madame la Ministre…
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France