Dans cette tribune, Yannick Trigance, conseiller régional éducation, revient sur les « urgences » qui attendent l’école en cette rentrée. Il dénonce les annonces présidentielles en matière d’École qu’il estime « en total décalage avec le vécu quotidien des équipes éducatives, des élèves et de leurs familles ».
Au-delà des grandes déclarations de principe du type « garantir que chaque élève, chaque jour de l’année, aura un professeur face à lui », le nouveau ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Gabriel ATTAL comme le Président de la République – véritable « Président de l’éducation » – se heurtent à une implacable réalité : ce ne sont pas moins de 3000 postes qui restent vacants à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Avec 18,8% des places non pourvues aux concours 2023 de professeur des écoles et 16,6% pour ceux du second degré, on voit mal comment la sempiternelle promesse présidentielle et ministérielle pourrait être tenue. Des académies comme celles de Créteil, Versailles, Mayotte ou encore la Guyane restent très fortement déficitaires dans le premier degré, de nombreuses matières manquent d’enseignants dans quasiment toutes les filières du second degré – lettres classiques, allemand, mathématiques mais aussi en sciences industrielles de l’ingénieur, en génie mécanique…-.
Autant dire que les recrutements par « job dating » et les contractuels – sans formation – vont irrémédiablement continuer à augmenter.
Si cette situation n’est pas récente, elle s’est pour autant très largement dégradée sous l’effet de la politique éducative néo-libérale appliquée depuis 2017 par le président de la République et ses ministres de l’Éducation nationale successifs.
Le fameux « choc d’attractivité » tant invoqué par le gouvernement n’a décidément pas eu lieu, les dispositifs « socle » et « pacte » s’étant d’abord et avant tout traduits par un « travailler plus pour gagner plus » aggravé par le reniement de la promesse présidentielle d’une augmentation de 10% de tous les enseignants sans charge de travail supplémentaire.
Ni la déclaration du président de la République le 23 août – « nous avons engagé une revalorisation historique des enseignants » – ni celle du nouveau ministre de l’éducation se félicitant quelques jours plus tôt que « les revalorisations et le pacte enseignant, c’est 4 milliards d’euros en plus » ne changeront la réalité : concrètement, la hausse des salaires des enseignants sera seulement de 5,5% au mois de septembre prochain et 70% des enseignants bénéficieront d’une augmentation limitée à 95 euros, soit une hausse inférieure à 4%.
Les annonces présidentielles et ministérielles sans aucune concertation – reprise de l’école le 20 août pour certains élèves – et parfois même mensongères comme celle sur la scolarisation des enfants de deux ans qui dans les faits ne cesse de reculer ou sur le « retour » de la chronologie des programmes d’histoire – qui existe déjà ! – sont en total décalage avec le vécu quotidien des équipes éducatives, des élèves et de leurs familles.
Elles jettent de surcroît le discrédit sur l’enseignement public et favorisent pour une grande part la fuite vers l’enseignement privé : comment par exemple régler la question des remplacements sous le seul prisme de la « présence d’un adulte face à des élèves » ? Imagine-t-on les mêmes propos tenus par exemple dans le domaine de la santé ? Un « adulte » face à chaque malade ?
Peut-on également considérer sérieusement, comme l’indique le décret publié le 9 août dernier, que la question des remplacements de courte durée dans le second degré sera traitée grâce à des assistant·e·s d’éducation –par ailleurs déjà très occupé·e·s – qui « superviseront des séquences pédagogiques » au moyen « d’outils numériques » ?
Le président de la République et son ministre n’ont aucune excuse : avec une baisse jusqu’en 2027 de la démographie scolaire de 5,6% dans le 1er degré et du 1,38% dans le second degré, soit près de 500 000 élèves de moins, ils ont la formidable opportunité de renforcer le taux d’encadrement et d’améliorer ainsi les conditions de travail des élèves comme des enseignants, élément déterminant des conditions d’apprentissages.
C’est tout l’enjeu de la période à venir : faire de l’école publique une véritable priorité politique en replaçant l’éducation au cœur de notre société. C’est une question d’égalité mais plus encore, c’est une question de cohésion nationale et d’exigence pour notre avenir commun.
Et plutôt que de grandes tirades sur l’autorité, l’autonomie ou encore les enseignements fondamentaux , le macronisme devrait s’atteler aux véritables urgences pour notre école.
Un enseignant formé et rémunéré à la hauteur de ses missions dans chaque classe, des effectifs limités à 20 élèves par classe pour bien apprendre, des enseignants réellement remplacés dès leur premier jour d’absence et sans interruption, des subventions publiques conditionnés à l’engagement effectif des écoles en faveur de la réussite des élèves quel que soit leur milieu social et scolaire pour une réelle mixité, un accompagnement rapide et ciblé dès les premiers signes de décrochage scolaire pour tendre vers le « zéro décrocheur », des enseignants spécialisés pour traiter la grande difficulté, des accompagnants pour les élèves en situation de handicap, un lycée professionnel qui ne place pas nos jeunes sous tutelle patronale au détriment des enseignements généraux …
Notre école publique ne peut plus attendre : ce qui se joue au quotidien dans les classes, c’est l’avenir de notre jeunesse et donc l’avenir de notre pays.
Plutôt que d’une « école du futur », ce dont nous avons besoin, c’est d’une « école du présent », dotée des moyens qui garantissent le droit à la réussite de tous nos jeunes, une école de l’égalité réelle, une école de la fraternité et de l’émancipation.
Une école publique de tous pour tous, qui ne laisse personne au bord du chemin, quel que soit l’endroit où l’on vit et le milieu d’où l’on vient.
Une école publique respectée, reconnue et reconsidérée à l’aune de ce qu’elle incarne : le socle de notre République.
Il y a « urgences ».
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France
Secrétaire national PS école, collège, lycée