Comment être d’origine immigrée affecte le métier de professeur des écoles ? Aksel Kilic, chercheure associée au CERLIS et au LIRTES, publie dans les Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, les résultats de 17 entretiens avec des professeurs des écoles issus de l’immigration. "Notre texte pose l’hypothèse qu’être issu de l’immigration peut, dans certains cas, constituer un stigmate en produisant un écart par rapport au stéréotype professionnel qui rassemble les caractéristiques les plus répandues parmi les membres du groupe professionnel en termes de sexe, d’origine sociale et d’appartenance à la population majoritaire". A travers ces exemples, c’est l’évolution des stéréotypes sur les enseignants qui est données à voir, une évolution qui n’est pas sans générer des frottements.
Le PE entre figure historique et réalités du terrain
Le stéréotype pour un professeur des écoles c’est d’être "Une femme, la trentaine, qui a de jeunes enfants, qui essaie de concilier sa vie professionnelle et sa vie familiale. Par ses parents, issue de la classe moyenne. Blanche", comme témoigne Riad, un professeur des écoles interrogé par Aksel Kilic. Que se passe t-il quand le professeur des écoles ne correspond pas au stéréotype ? Que disent parents et collègues ? En quoi cela affecte-il l’entrée et l’exercice du métier ?
"L’objet traité est peu étudié, sans doute parce que l’enseignement est une profession fondée sur les principes de l’universalisme républicain et de l’égalité, neutre et « indifférente aux différences » comme l’école dans son ensemble…. Les enseignants sont donc censés être libérés de leurs particularismes, indifférents aux différences de leurs élèves, et acteurs dans ce projet de formation des futurs citoyens. Théoriquement, cela est d’autant plus renforcé pour les professeurs des écoles qu’ils sont héritiers de l’instituteur républicain, figure historique de ce projet national", rappelle A Kilic. Elle rappelle aussi que d’autres pays ont abordé cete question, comme la Grande Bretagne.
Des enseignants stigmatisés par le racisme ambiant
Partant de ses 17 entretiens, A Kilic donne à voir les "stigmates" que peuvent porter ces professeurs des écoles qui ne sont pas comme ils devraient être. Sur les 17 d’ailleurs, 6 ne s’estiment ni stigmatisés, ni ethnicisés. Par contre Juliette, franco camerounaise et PE en maternelle raconte que quand elle est avec son Atsem "blanche", des parents croient qu’elle est l’Atsem. Mais ce n’est pas tout : "une maman est allée se renseigner pour savoir si Juliette parlait français".
Pour Hasna, d’origine maghrébine, le stigmate c’est que des collègues mettent en doute ses compétences. "Cette remise en cause de leurs capacités à exercer le métier peut prendre la forme d’une surveillance accrue du travail réalisé ou du sentiment d’être déclassé, moins légitime qu’un autre collègue. Dans les deux cas, l’enseignant remet en cause ses compétences, et alors il vit une espèce de choc professionnel".
Chargés du "sale boulot"…
Au-delà de ces relents racistes, ces professeurs des écoles issus de l’immigration se voient souvent confier du "sale boulot" au motif de leurs origines. Ainsi c’est eux qu’on vient chercher pour installer l’ordre scolaire auprès d’enfants d’origine immigrée. Ou encore pour régler des problèmes de cantine quand ils sont supposés être de religion musulmane. "Nos matériaux dépeignent des enseignants issus de l’immigration reconnus compétents auprès des publics d’élèves également issus de l’immigration comme s’ils détenaient une autorité “naturelle”", écrit A Kilic.
Une réflexion sur les stéréotypes professionnels
"Notre article ouvre ainsi une réflexion sur un processus de segmentation professionnelle, c’est-à-dire sur l’existence de segments ou groupements au sein d’une même profession autour d’identités, de valeurs et d’intérêts multiples", écrit A Kilic. "Cette segmentation, parfois subie, d’autres fois assumée par les enseignants issus de l’immigration, les place comme des experts de l’ethnicité aux yeux de leurs collègues. Nous pouvons lire dans ces processus à l’œuvre une ethnicisation des rapports professionnels et une division « morale » du travail, des dirty works pouvant alors leur être confiés dans certaines situations, par exemple des rôles de médiation avec les familles ou la prise en charge d’élèves difficiles. La focale sur l’expérience des enseignants issus de l’immigration met en lumière la difficulté professionnelle potentielle que peut représenter la relation avec les familles issues de l’immigration. Mais il s’agit aussi de montrer comment, parallèlement à l’évolution des publics scolaires, la figure du professeur des écoles déborde ses anciens stéréotypes pour se renouveler, non sans dilemmes et tensions".
C’est cette image des dilemmes et tensions des stéréotypes que l’on retiendra. Il est des départements où de nombreux maitres et maitresses sont issus de l’immigration. Où il est banal d’être professeur des écoles et issu d’une minorité. Et où la République parle par leur voix. Les stéréotypes suivront.
François Jarraud