Dans ce texte, Laurent Reynaud interroge la démocratie à l’école. A l’occasion des élections des délégué.s à venir, il invite à une réflexion sur le vote à l’école, ses objectifs pédagogiques et l’apprentissage démocratique : « Et si le recours au vote en classe éloignait les élèves de la culture démocratique ? » lance-t-il.
A peine rentrés à l’école pour apprendre, les élèves sont appelés à voter. Papiers à la main, ils se plient donc à l’exercice du vote formel lors des élections des délégués de classe, des éco-délégués et des représentants d’élèves de l’établissement. Parfois, le vote est plus informel. Il se réalise alors à mains levées pendant le cours : « qui est pour déplacer l’évaluation à mardi ? ». C’est un fait, les élèves votent à l’école mais à quoi cela sert-il vraiment ? L’école c’est avant tout un lieu où les élèves apprennent, s’ils votent en classe c’est donc bien pour apprendre quelque chose. Dès lors, la réflexion se précise : qu’apprennent les élèves lorsqu’ils sont appelés au vote ? La réponse semble si évidente qu’elle se résume à une assertion consensuelle : « la démocratie, ça s’apprend ! ». Le vote permettrait donc d’apprendre aux élèves le fonctionnement démocratique. Certes, mais la démocratie ne se réduit pas à un fonctionnement technique, c’est aussi une culture. Le fait de voter en classe aide-t-il réellement les élèves à s’approprier cette culture ? Et si c’était tout l’inverse ? Et si le recours au vote en classe éloignait les élèves de la culture démocratique ?
Folklore stérile ou rituel utile
Observons une heure de vie de classe lors de l’élection de délégués. Tout est prévu : déclaration des professions de foi à haute voix, petits bulletins de vote pré-imprimés, urne transparente parfois prêtée par la vie scolaire. On se croirait dans un véritable bureau de vote. Faut-il voir là une pièce de théâtre, distillant l’art de faux semblant, ou une répétition du rituel citoyen, permettant de l’apprendre ? Le début de l’heure aide à trancher la question. La séance commence : « qui souhaite se présenter à cette élection de délégué ?« . Les regards se dispersent en s’enfuyant par la fenêtre ou en se réfugiant vers le sol. Les corps s’enfoncent dans les chaises. Le professeur tente de lancer une dynamique : “allez des volontaires, s’il vous plaît, on va pas y passer la nuit !”. Un ou deux bras finissent par se lever. Ouf, l’élection aura bien lieu ! Mais à quoi bon ? L’enjeu des élections de délégués ne mobilise pas vraiment. Cela se confirme lors du dépouillement, il faut souvent composer avec les blagues écrites sur les bulletins, et lors des professions de foi, notamment avec les traditionnels “Je serai là pour vous défendre !”. Ces dérives illustrent une interprétation erronée de l’enjeu et témoignent d’une perception relevant davantage du spectacle que d’un temps citoyen. Souvent la séance se poursuit par l’élection des éco-délégués, même constat : “mais monsieur ça sert à quoi les éco-délégués?”. La réponse est peut-être claire pour certains établissements qui ont construit un véritable projet lié aux éco-délégués mais ce n’est pas toujours le cas. Et puis combien même, les enjeux écologiques et citoyens sont-ils à réserver à deux élèves élus par classe ? Quel est alors l’intérêt de cette délégation de responsabilité ?
Pour autant, lors de ces élections, tous les élèves écrivent des prénoms sur leur bulletin et les rôles de scrutateurs sont pris d’assaut, souvent pour accéder au privilège d’écrire sur le tableau. Si l’enjeu des élections peine à mobiliser les élèves, l’exercice du rituel semble par contre les motiver davantage. En pédagogie, la tâche n’est bien souvent qu’un prétexte. Ce qui compte c’est bien l’objectif d’apprentissage que vise l’activité. Dans ce cas précis, quel est donc l’objectif éducatif du vote ? On peut poser l’hypothèse que dans cette situation c’est bien le cérémonial, en lui-même, qui comporte un enjeu d’apprentissage. Avec lui, les élèves découvrent les coulisses d’un vote. Pour certains, cela n’est pas si anodin. En effet, si tous ont déjà entendu parler du vote et des élections, peu d’entre eux se sont déjà rendus dans un bureau de vote. Certains n’accompagnent pas leurs parents voter, d’autres encore n’ont tout simplement pas de parents qui se déplacent pour voter, certains par conviction ou par désintérêt, d’autres encore car ils n’ont pas le droit de vote. En tant que jeune citoyen, il doit alors être impressionnant, voire paralysant, de se rendre au bureau de vote pour la première fois sans savoir à quoi s’attendre. Le folklore du vote organisé dans la salle de classe permettrait donc a minima d’apprendre le fonctionnement du vote. Est-ce suffisant ?
Fabrique élitiste ou formation citoyenne
Bien sûr, on objectera facilement à la description de l’heure de vie de classe ci-dessus qu’elle n’est pas généralisable. En effet, il y a aussi des classes où l’élection des délégués anime davantage les élèves, notamment quand il y a plus que deux personnes qui se présentent. C’est paradoxalement dans ce cas idéal que le rôle éducatif du vote interroge le plus. Face à un grand nombre de volontaires pour expérimenter la représentation, le vote condamne au choix de deux élèves. Les chanceux élus apprennent alors la représentation collective et se forment à l’engagement citoyen. Ils apprennent d’autant plus qu’ils l’éprouvent régulièrement car ce sont souvent les mêmes élèves qui occupent cette fonction d’une année sur l’autre, du collège au lycée. Il serait intéressant de documenter l’origine sociale de ces élèves. Qu’apprennent les autres ? On ne le sait pas vraiment. On peut tout de même poser l’hypothèse raisonnable qu’ils apprennent à déléguer les responsabilités à une élite de camarades qui sait déjà faire, sans se soucier de la suite car le mandat n’est plus remis en jeu dans l’année. Cela pose-t-il problème ? Le pragmatique répondra qu’il faut bien choisir et que les élèves doivent aussi apprendre l’aspect arbitraire de la représentativité. L’ambitieux objectera que l’école doit œuvrer à faire apprendre au plus grand nombre pour préférer l’excellence à l’élitisme. Le pédagogue se questionnera : comment faire concrètement en classe ?
Lorsque l’abbé Sieyès défendait le système de démocratie représentative pendant la révolution française, il invoquait deux arguments majeurs. Son utilité pour gérer un territoire avec une population très nombreuse où tout le monde ne pouvait pas siéger dans une seule assemblée et la prise en compte du manque d’instruction de la plupart des citoyens pour se consacrer à la vie politique. Ces arguments ne se justifient sans doute pas à l’échelle d’une classe puisque le nombre d’élèves n’est pas un obstacle à la participation de tous, et parce que l’intérêt pour les élèves est précisément celui d’apprendre la vie politique et non de déléguer cet apprentissage à des représentants mieux formés. En remontant plus loin, aux origines antiques de la démocratie athénienne, des pistes concrètes se dessinent à l’échelle de la classe. Pour Aristote[1] : “Tous doivent commander à chacun, et chacun à tous, alternativement […] Nul ne doit exercer deux fois la même charge, ou du moins fort rarement.”. Peut-être que l’on pourrait donc envisager que des délégués ne jouent ce rôle qu’une unique fois dans leur scolarité. Et puis, pourquoi se contenter d’une élection annuelle ? Deux ou trois élections par an permettraient de faire d’une pierre deux coups. D’une part, faire tourner les rôles pour permettre à un plus grand nombre de se former à l’engagement citoyen. D’autre part, d’habituer les élèves à rendre compte de leurs actions en tant qu’élus à la fin d’une mandature. Des pistes pédagogiques sont disponibles dans cet article des Cahiers pédagogiques : “Quand l’élection des délégués ne mobilise plus”.
Minorité constructive ou minorité écartée
Quand on pense au vote à l’école, on pense assez souvent aux élections mais on oublie aussi son utilisation informelle en classe. Notamment pour se sortir d’une situation apparemment insoluble. Par exemple, lorsqu’on annonce en fin de cours une évaluation à la prochaine séance : « Monsieur, ce jour-là on a déjà deux évaluations, on peut décaler à mercredi prochain, s’il vous plaît ? », « C’est mieux lundi, Monsieur, car ça sera plus frais dans nos têtes », « Non, mais pas du tout, mercredi ça nous laisse plus de temps pour réviser ! ». Les élèves finissent par voter à main levée. C’est décidé : l’évaluation aura lieu mercredi. Le vote conduit donc à imposer le choix d’une majorité sur toutes les minorités, ce qui peut poser de nombreux problèmes, notamment dans les petites structures comme celle de la classe.
Dans la mesure où il concerne un effectif réduit, ce processus de décision peut être perçu comme injuste au regard des élèves et cliver au lieu d’unir. Un changement de paradigme éducatif consisterait alors à envisager le vote non plus comme un simple processus d’arbitrage, mais davantage comme une occasion pour faire évoluer les points de vue de chacun en apprenant à travailler l’argumentation. Dès lors, la minorité n’est pas exclue par le vote mais davantage incluse dans la délibération collective car elle pousse à faire évoluer des propositions. Par exemple, un vote consultatif peut avoir lieu pour connaître les élèves en désaccord avant de leur donner la parole pour qu’ils puissent exprimer leurs avis et leurs souhaits. Il s’agit ensuite d’organiser les conditions pour permettre une recherche de compromis à l’échelle de la classe. C’est beau mais c’est long ! Faut-il pour autant se résigner ? Pour tenir compte de cette contrainte, les prises de décision collectives pourraient être différées sur des temps dédiés dans la semaine avec une organisation ritualisée comme celle des conseils d’élèves, sur quelques créneaux d’EMC par an par exemple.
A l’école, il n’y a pas que les élèves qui votent. Les personnels de la communauté éducative sont aussi appelés aux urnes pour élire leurs représentants au conseil d’administration. Il arrive qu’il n’y ait qu’une liste qui se présente. Parfois, plusieurs listes se retrouvent en rivalité. Là aussi, le recours au vote interroge. Il permet de choisir des sensibilités, des personnalités voire des copains, au risque d’exclure des points de vue et d’attiser les tensions. “C’est aussi ça la démocratie” pourrait-on dire. Pourtant, d’autres modalités sont possibles, par exemple banaliser deux heures à l’échelle de l’établissement en fixant la finalité d’une liste commune tout en laissant libre le choix des modalités de discussion et de décision. Cette pratique peut permettre d’éviter la cristallisation des points de vue entre deux pôles nécessairement caricaturaux. La démocratie n’est pas un fonctionnement sclérosé qui condamne à reproduire les mêmes pratiques devenues réflexes. C’est peut-être tout l’inverse. La démocratie est une culture dynamique et vivante qui ne cesse de se réinventer pour ne jamais s’éteindre dans la routine. C’est bien cette culture qu’il est possible de faire vivre à l’école pour que tous les élèves apprennent progressivement l’engagement citoyen. Peut-être que cela commence par l’abandon du recours automatique au vote à l’école. A tester.
Laurent Reynaud
Quelques pistes pédagogiques :
Article des Cahiers Pédagogiques : Quand l’éléction des délégués ne mobilisent plus
Ouvrage de pratiques : Faire collectif pour apprendre
[1] Aristote, Politique, §1317b et suivantes (livre VII)
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