Les chefs d’établissement sont depuis peu les garants de la continuité pédagogique en cas d’absence d’un enseignant. Le remplacement de courte durée est devenu une priorité nationale. Derrière les dispositions ministérielles et l’apparente autosatisfaction affichée par les autorités éducatives se cachent les réalités de terrain. Celles-ci révèlent des défaillances de service public, lorsque des postes ne sont pas pourvus, et une crispation grandissante chez les acteurs de l’éducation.
Le fléau national des absences
En France, c’est bien connu, les enseignants sont toujours absents. Ces absences sont un véritable fléau et c’est tout naturellement que l’amélioration du remplacement de courte durée (RCD) est devenue, depuis la rentrée 2023, une priorité nationale. Car malgré le Décret n° 2005-1035 du 26 août 2005 relatif au remplacement de courte durée des personnels enseignants dans les établissements d’enseignement du second degré, complété par la Note de service n° 2005-130 du 30 août 2005 puis par la Note de service n° 2010-140 du 20 septembre 2010 relative à l’amélioration du dispositif de remplacement des personnels enseignants, rien ne bouge. Non seulement les enseignants sont toujours absents mais les chefs d’établissements ne parviennent pas à assurer leur remplacement. Cela va changer.
Testé à la rentrée 2023, le dispositif national du RCD est maintenant bien rodé, selon une logique purement descendante de prescriptions-injonctions propre au fonctionnement du système éducatif français.
Un Décret pour garantir la continuité pédagogique
Tout d’abord, pour marquer la priorité, les dispositions ont été édictées au plus haut niveau réglementaire. Le Décret n° 2024-244 du 19 mars 2024 « relatif à la compétence du chef d’établissement pour l’organisation de la continuité pédagogique au sein des établissements dont la responsabilité et la charge incombent entièrement au ministre chargé de l’éducation nationale » vient compléter le Code de l’éducation en stipulant que les chefs d’établissements, en tant que représentants de l’Etat, veillent au bon déroulement des enseignements, de l’information, de l’orientation et du contrôle des connaissances des élèves « ainsi qu’à l’organisation de la continuité pédagogique en cas d’absence d’un enseignant ». C’est la grande nouveauté introduite par ce décret d’une ligne.
Un guide de 58 pages
Ce Décret est complété par un Guide de 58 pages (temps de lecture : 4 heures) à l’usage des chefs d’établissement. Assorti de plusieurs fiches pratiques et d’une douzaine d’annexes, ce guide présente de façon très détaillée les modalités de mise en place du remplacement de courte durée. C’est ainsi que, grâce à la fiche 1.1, les chefs d’établissements apprennent à identifier tous les moyens disponibles pour couvrir les RCD et agir sur les absences au sein de l’établissement. Grâce à l’annexe 3, ils disposent d’un arbre décisionnel pour optimiser le RCD. Ils peuvent ainsi prendre de meilleures décisions. En cas d’absence d’un enseignant pour convenance personnelle, ils savent maintenant qu’il faut prioritairement privilégier la permutation de créneau avec un autre collègue ou, à défaut, organiser le rattrapage par l’enseignant lui-même sur un autre créneau. Nul doute qu’avec ce guide, les chefs d’établissement vont monter en compétences, ce qui est souhaitable pour eux : avec les nouvelles modalités d’évaluation par objectifs, beaucoup vont devoir justifier de leurs progrès en matière de RCD.
Des moyens horaires sous forme de Pacte
A la rentrée 2023, des moyens horaires supplémentaires avaient été dédiés au RCD sous forme de Pacte (la partie conditionnelle de la hausse de salaires des enseignants). Le nombre d’heures de Pacte utilisées pour le RCD est ainsi devenu l’indicateur quantitatif d’amélioration du remplacement des absences permettant d’afficher la plus grande « efficacité » de la politique éducative. Cependant, avec les contraintes budgétaires actuelles, il n’est plus question de largesses horaires. A la rentrée 2024, le Pacte n’est globalement reconduit qu’à hauteur de ce qui avait été consommé en 2023 avec une priorité affichée pour le RCD qui doit mobiliser la moitié des moyens. Dans le même temps, les moyens donnés sous forme d’heures supplémentaires effectives (HSE) sont fortement réduits. Certaines académies ont même pris l’initiative de supprimer totalement les HSE de remplacement de courte durée.
La grande incompréhension
Que penser de toutes ces dispositions ? Le guide prescriptif de 58 pages, signé par la nouvelle Directrice générale de l’enseignement scolaire, nommée au moment de la démission du gouvernement, donne un signal clair : celui de l’hyper-bureaucratisation. Face aux velléités de refonte du mode de gouvernance du système éducatif, le message est tout aussi clair : il n’est pas question de remettre en cause le caractère prescriptif. La tendance affichée est celle de l’accentuation du caractère normatif descendant. Pour les acteurs de terrain, c’est la grande incompréhension. Comment en arrive-t-on à recourir à des procédés de management qui reposent sur la culpabilisation ? Car non, en France, il n’y pas de problèmes d’absences de courte durée. Les enseignants français ne sont pas plus absents que leurs homologues étrangers ou que les salariés des entreprises privées. Faire une intense communication à propos du « problème » des remplacements de courte durée est stigmatisant. Dans un contexte où l’opinion publique se laisse facilement influencer, cette campagne de communication laisse à penser que le ministère ne soutient pas ses fonctionnaires.
Autre sujet majeur d’incompréhension : la continuité pédagogique. Avec les années covid, les enseignants ont appris à garantir la continuité pédagogique de leurs enseignements. Même en leur absence, les élèves continuent à apprendre, en autonomie, au travers des supports mobilisant des démarches individuelles ou collectives. Ainsi, tout au long de l’année, les enseignants fournissent aux élèves des contenus permettant d’assurer la continuité pédagogique afin de pallier une éventuelle absence. Le ministère a-t-il connaissance de ces dispositions qui sont venues enrichir les projets d’établissement des collèges et des lycées ? La lecture du guide sur le RCD laisse penser que non. Car le ministère semble avoir une toute autre acception de la continuité pédagogique. Pour certains observateurs, la longue énumération des possibilités de remplacement et des ressources institutionnelles mobilisables contenues dans le guide font davantage penser à de la « garderie ». Très concrètement, la réflexion du ministère ne porte pas tant sur la façon dont les apprentissages disciplinaires vont se poursuivre en l’absence d’un enseignant mais sur la façon dont on va pouvoir mettre quelqu’un (un autre enseignant, un assistant d’éducation) face aux élèves pour les occuper (avec un autre enseignement ou un accès aux plateformes numériques nationales). De façon sous-jacente, il y a là une conception bien particulière de l’enseignement qui ne semble pas reconnaître que les élèves peuvent être en partie autonomes et que les apprentissages peuvent se faire de manière collaborative lorsqu’il s’agit de travailler ensemble sur des projets communs.
Pour les enseignants comme pour les chefs d’établissement, la grande incompréhension ne vient pas d’eux mais des autorités éducatives qui ne semblent pas connaître les réalités de terrain. Le modèle vertical descendant à la française ne leur permet pas d’appréhender la complexité des contextes d’établissement scolaire. Il en résulte des prescriptions descendantes uniformes, peu adaptées aux situations concrètes, dont le caractère normatif devient infantilisant pour ceux qui doivent les appliquer.
La réalité de terrain : des postes non pourvus
Pour beaucoup d’établissements situés en milieu rural, la réalité de terrain, ce sont des postes non pourvus. Après la pénurie de médecins, les habitants des campagnes commencent à expérimenter le manque d’enseignants, ce qui augmente leur sentiment de déclassement et le vote contestataire extrême qui l’accompagne. Pour les acteurs locaux, soucieux du service public, la problématique des postes non pourvus – qui génère un nombre d’heures de cours non effectuées sans commune mesure avec les absences des enseignants – devrait être une priorité nationale. Cela supposerait de renforcer l’attractivité du métier, comme le font d’autres pays : revoir les conditions d’exercice de la profession en accordant plus de considération et plus d’autonomie aux enseignants, revenir à une rémunération décente et repenser les modalités de recrutement. Mais pallier les défaillances de service public liées à ces postes non pourvus n’est absolument pas une priorité. Cela ne semble pas poser de problème pour le ministère : sa communication reste focalisée sur d’autres sujets selon les habituels procédés de diversion mobilisés par tous les communicants. A cet égard, le remplacement de courte durée semble être l’arbre communicationnel que les autorités éducatives agitent pour cacher la forêt des postes non pourvus. Pouvons-nous continuer ainsi ? Pour beaucoup, il devient urgent de pourvoir effectivement tous les postes et de mettre un terme à ces défaillances de service public. Un aspect qui s’ajoute à la longue liste des sujets dont devra s’emparer le nouveau gouvernement pour réparer le service public d’éducation.
Stéphane Germain
Décret n° 2024-244 du 19 mars 2024 relatif à la compétence du chef d’établissement pour l’organisation de la continuité pédagogique au sein des établissements dont la responsabilité et la charge incombent entièrement au ministre chargé de l’éducation nationale
Guide du RCD à l’usage des chefs d’établissement