Notre nouvelle chronique vous propose de partager les réflexions de cinq enseignant·es ordinaires travaillant en milieu urbain, mais avec des parcours, des expériences et des spécialisations différentes. « Nous avons décidé de nous réunir régulièrement pour nous entretenir sur notre rapport à ce qui fait le cœur de notre métier : les enfants d’abord, mais aussi les empêchements, les pressions, les collègues, les apprentissages et les savoirs, les conditions d’exercice, et tout ce qui fait que nous nous levons chaque jour avec plaisir, avec plein de doutes et de questionnements aussi » nous disent-ils. Ce partage est un partage terrain, sans filtre, au plus près de ce que nous ressentons. Peut-être qu’il saura faire résonance avec ce que vous vivez vous aussi, lecteurs et lectrices du Café pédagogique.
– Daphné : Je ressens une certaine pression dans l’idée de les suivre et de le terminer, tout en sachant que ce n’est pas possible. C’est une obligation institutionnelle et je vois bien que ça ne tient pas. Si nous voulons suivre le rythme, nous sommes obligés de mettre des choses de côté. J’ai du mal avec ça.
– Denis : Pour moi, le programme, c’est comme un ennemi, parce que je pense que beaucoup d’enseignants se protègent derrière le « j’ai le programme à faire/à finir », avec en plus ce qu’on nous a mis dans la tête sur le caractère fondamental du programme. C’est un ennemi pour moi, maître G, car quand je propose de libérer un peu de temps pour du transversal, pour des activités autour du savoir-être, beaucoup se retranchent derrière le programme, et donc un manque de temps. Le programme empêche le bon programme, en quelque sorte. Quand j’étais enseignant en classe, je n’étais pas trop axé sur le programme, même si les connaissais. Je mettais l’accent sur les domaines où je me sentais le plus à l’aise.
– Cyrille : Un peu pareil pour moi. Pour moi, les programmes, c’est une blague. A chaque gouvernement, ils remplacent des choses, ils en ajoutent, en enlèvent, les changent très souvent. Si nous devions suivre les programmes, nous ne dormirions pas. C’est l’exemple du programme de Sciences en Cycle 3 où ils ont beaucoup rajouté sans rien retirer. D’un autre côté, je suis content d’être dans une profession où je n’ai pas un supérieur hiérarchique qui est au-dessus de mon épaule tous les jours. Je m’autorise aussi à mettre des points du programme de côté, ce qui me permet d’en approfondir d’autres. La priorité, c’est le sens, pas de « faire » le programme coûte que coûte, même si ça va trop vite pour la majorité des élèves.
– Denis : Comme j’essaie de privilégier la vie de la classe, avec des enfants qui peuvent beaucoup proposer, il y a des thèmes et centres d’intérêt qui émergent que je ne me vois mettre de côté, sous prétexte que ce n’est pas au programme. Surtout que c’est du vivant qui laissera bien plus son empreinte dans la classe.
– Daphné : J’objecterai quand même que certains parents connaissent parfois bien les programmes et pourraient nous reprocher de ne pas les avoir suivis dans les règles.
– Cyrille : Ça dépend des écoles.
– Aude : C’est bien qu’on ait cette pression des parents, car ça nous met dans la nécessité d’un dialogue avec eux pour leur expliquer nos choix.
– Daphné : Mais il y a tout un travail que les parents ne voient pas, des temps sur l’ardoise, des temps d’expression, etc. Ça, je l’explique en réunion de parents.
– Denis : C’est un moyen de prévenir des objections.
– Aude : Ce qu’on met sur l’ENT, avec les blogs des classes, m’interroge beaucoup, car souvent, ce qui y est relaté, ce sont les sorties, comme s’il n’y avait que cela à relater aux parents. Et quand tu ne fais pas beaucoup de sorties, c’est comme si tu ne faisais rien. Aussi, sur l’ENT, je montre aussi beaucoup de moments d’apprentissages de classe en photos. Par ailleurs, de mon côté, je suis plus sensible aux progressions didactiques et pédagogiques qu’au programme.
Cyrille : Mon devoir est d’être fidèle aux enfants et à leurs besoins avant tout.
Daphné : Pour éviter de reprendre le programme de CE1, alors que nous sommes en CM1, sur des notions de base comme la phrase ou le verbe, au début de l’année, je demande aux élèves de me dire tout ce qu’ils savent sur tel ou tel sujet. Il y a ceux qui écrivent une page entière et ceux qui sont bloqués. Après, nous rassemblons, et au final, la leçon est là. Ça permet de revoir rapidement.
Aude : C’est intéressant de repartir sur ce qu’ils ont vu avant, pour montrer qu’ils ont des bases, que nous allons les consolider et nous appuyer là-dessus et redonner du sens à ces apprentissages.
Cyrille : Il ne faut pas aussi oublier le travail en équipe pour établir les programmes, par exemple en Histoire.
Mini-conclusion provisoire
Denis : Ma priorité reste la vie de la classe.
Aude : Moi, ma priorité, ce sont les savoirs. C’est jouissif pour les enfants d’apprendre. Ça ancre durablement.
Cyrille : Je m’interroge sur l’idée des « fondamentaux » et sur leur volume horaire. Évidemment que Lire, Écrire, Compter est fondamental, mais selon moi, c’est de manière détourné qu’il faut les aborder. En faisant des sciences ou de l’EPS, on peut travailler ces fondamentaux avec beaucoup plus de sens.