En 2024, la passion française pour les Jeux Olympiques se serait-elle diffusée jusqu’en cours de français ? Inscrire « Le lièvre et la tortue » aux JO, amener les élèves à commenter leur course ainsi que celles de figures de la mythologie antique : c’est le projet mené en cycle 3 par Handravane Vongxay, professeure au collège Georges Lapierre à Lormont dans l’académie de Bordeaux. Les activités s’avèrent fort engageantes et enrichissantes : écoute de commentateurs et commentatrices célèbres, approche des différences entre langues écrite et orale, travail de compréhension et de réécriture de mythes célèbres, enregistrement webradio des performances orales, réalisation de Unes de magazines … Le travail, témoigne l’enseignante, développe « les compétences littéraires, orales et numériques des élèves tout en renforçant leur esprit critique face aux médias ». Et de quoi susciter la ferveur des élèves dans leurs apprentissages ?
En quoi le commentaire sportif vous semble-t-il un support intéressant pour le travail scolaire de l’écrit et de l’oral ?
Le commentaire sportif est un type de texte que les élèves connaissent bien pour l’avoir dans l’oreille lorsqu’ils regardent la télévision ou qu’ils assistent à une compétition. Ils en ont une certaine maîtrise car ils commentent abondamment eux-mêmes les performances de façon naturelle et spontanée, et ce, même lors d’évaluations scolaires si bien qu’on doit parfois les (re)cadrer à ce sujet. Avec l’actualité des JO, il apparaissait donc amusant d’en faire l’objet d’une étude littéraire et linguistique afin de les amener à mettre à distance les lieux communs et les attendus de ce type de discours médiatique dont ils allaient être abreuvés pendant les épreuves approchant. La démarche a donc consisté à s’appuyer sur de l’oral (écoute de commentateurs célèbres) pour les faire produire des écrits qu’ils devaient ensuite performer et interpréter à nouveau oralement grâce au studio radio du collège afin d’aiguiser un regard critique sur leur travail tant oral qu’écrit, à mesure d’autocorrections au fil de l’eau qui leur permettaient de remédier aux erreurs de syntaxe, de ton, de prononciation, d’interprétation des rôles… J’y ai ajouté un point de culture dans le travail de lecture de textes patrimoniaux sur les grandes courses de la littérature que les élèves ont abordé avec une curiosité d’autant plus vive qu’ils avaient connaissance des objectifs de transposition en commentaire sportif. Cela a permis de faire un pont entre culture académique et culture populaire si bien que dans un double mouvement de la séquence, l’une se rendait accessible et l’autre y trouvait une certaine validité, ce qui a pu lever des freins pour certains élèves.
Comment avez-vous aidé les élèves à découvrir les spécificités du commentaire sportif ?
Le commentaire sportif a été abordé en classe par le biais de vidéos portant sur des grands exploits, en focalisant sur des victoires marquantes et touchant tous types de sports : sports collectifs, courses, natation etc. En effet, c’est lors de ces climax, que l’art du commentateur donne sa pleine mesure : tournures emphatiques, phrases exclamatives ou nominales, hyperboles et métaphores laudatives, gestion du souffle et du rythme, dramatisation du résultat du match, art du dialogue entre les commentateurs avec jeux de reprise, utilisation du vocabulaire spécifique, gestion des niveaux de langage. Pour repérer ces éléments, les élèves ont travaillé sur la base d’un questionnaire et d’une mise en commun afin d’établir des invariants qui allaient leur servir de recette pour l’élaboration de leur propres commentaires.
Une des activités a permis d’aborder les différences entre les langues écrite et orale : comment avez-vous procédé ? avec quels profits ?
Les transcriptions littérales de commentaires sportifs oraux en textes imprimés ont permis aux élèves de repérer les tournures syntaxiques, parfois fautives, les tics de langage, les déformations de mots (allongement excessif de syllabes, coupures…), les répétitions fréquentes ou hésitation propres à l’oralité mais impropres à l’écrit. Ils se sont rendus compte d’une forme « illisibilité » de ce type de texte dès lors qu’il est donné tel quel à l’écrit car en l’absence d’ancrage référentiel, les déictiques par exemple, pouvaient être source de confusion. En comparaison, cela a permis de travailler cohésion et cohérence textuelle du langage écrit. Par extension, les élèves réalisent qu’on n’écrit pas comme on parle.
Les élèves ont été amenés à écrire, dire, enregistrer les commentaires sportifs de différents mythes ou fables : quelles ont été les modalités de travail pour ces savoureuses créations ?
Nous sommes partis d’une réécriture de la fable « Le Lièvre et la Tortue » de La Fontaine en commentaire sportif issu du magazine Astrapi. De là, les élèves se sont entraînés à la dire en interprétant les rôles de commentateurs, puis, nous sommes passés à des récits longs de mythes antiques (Atalante, Phaéton, Pélops, Daphné et Apollon) qu’il a fallu réduire à l’essentiel en passant par l’exercice de la biffure. Les élèves ont pu comparer leurs versions réduites et/ ou se mettre d’accord sur les éléments à comprendre. Puis, ils devaient enregistrer leur lecture afin de repérer leurs défauts et apporter des améliorations après s’être distribués des parties à lire. Grâce à Audacity et à des sites qui donnent accès à des sons et bruitages libres de droits, ils se sont ensuite accordés sur les endroits où un habillage sonore pouvait agrémenter leur lecture. Ce travail permet d’entrer à fond dans la compréhension et la dramatisation d’un récit. En complément, de cet aspect lecture/compréhension et travail de fluence, les élèves ont aussi enregistré leur production de commentaires sportifs issue de leur transposition des différents mythes. Nous sommes là dans la réécriture parodique qui réinvestit le langage oral et le répérage d’éléments référentiels littéraires amusants à détourner.
Vous avez aussi mené un travail sur les unes de journaux et sur les réseaux sociaux : en quoi a-t-il consisté ?
Dans le cadre d’une initiation EMI, nous avons présenté très succinctement les éléments indispensables d’une Une de magazine après une victoire ou une défaite sportive. Les élèves avaient à proposer des unes pour les héros des mythes vus dans la séquence en reprenant les codes d’un titre percutant et laudatif qui permet de revoir la phrase nominale et exclamative. Pour les élèves de sixième, c’était aussi une occasion d’une séance en salle informatique pour manipuler le clavier, les insertions d’images et le travail sur les différentes polices de caractères (cf. Pix). Par ailleurs, à l’aide d’un canevas fictif d’une page instagram, les élèves devaient compléter à l’aide d’un dessin les vignettes (photos) de ce qu’ils imaginaient sur le compte d’un des personnages vus dans la séquence. C’est une autre manière de vérifier leur compréhension du récit en passant non pas par un questionnaire de lecture mais par l’illustration. À cela, s’ajoute le travail sur les commentaires à publier sous les photos qui retranscrivent les impressions des « followers » fictifs. Cela a été l’occasion d’une séance de prévention concernant la haine en ligne et sur les réseaux sociaux. Si les élèves endossaient le rôle de « rageux/haters », les commentaires devaient bien entendu respecter les limites de la bienséance. Ce travail a constitué une entrée dans la compréhension par l’écrit court (un phrase ou deux, un hashtag qui résume, des références claires aux situations du texte, aux caractères et aux sentiments supposés des personnages…).
Au final, quel bilan tirez-vous de cet olympique projet pédagogique ?
Ce projet a permis aux élèves de progresser dans la lecture et compréhension de textes longs, dans la maîtrise de l’oral et de l’écrit par le biais d’un travail collaboratif et d’évaluations entre pairs pour aboutir à une forme finale dont ils voulaient être fiers. L’engagement dans la tâche a été constant et la répétition des protocoles d’entrée dans les textes leur a permis de progresser au fur et à mesure. L’enregistrement a aussi constitué un élément sécurisant en leur permettant de recommencer en cas d’erreur, cette fois, non plus perçue comme un échec définitif, mais comme une étape à franchir, nécessaire pour faire mieux, comme dans le sport.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation sur le site Lettres de l’académie de Bordeaux
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