Pour Nicolas Cadène, la laïcité « est un principe qui emporte des valeurs, et cette nuance n’est pas sans importance face à l’idéologisation du concept ». Nicolas Cadène est juriste de formation et haut fonctionnaire. Il a aussi été rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité entre 2013 et 2021 et est le cofondateur de la Vigie de la laïcité. Il répond à quelques questions du Café pédagogique sur la laïcité à l’occasion de la journée nationale de la laïcité.
Comment définir la laïcité à l’école, en précisant les spécificités dans le cadre scolaire ?
La laïcité à l’école est ce qui permet d’y garantir l’égalité de tous les élèves, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Tous doivent être accueillis de la même manière et y recevoir les mêmes enseignements. Dans ce cadre, les enseignants, parce qu’ils exercent le service public neutre et impartial de l’éducation nationale, sont soumis à un strict devoir de neutralité dans leur comportement comme dans leur apparence (ils ne peuvent porter aucun signe religieux ou convictionnel, même discret). La laïcité assure ainsi aux élèves l’accès à une culture commune et partagée. Elle permet l’exercice de leur liberté d’expression dans la limite du bon fonctionnement de l’école et de la liberté d’autrui, dans une phase de construction de leur identité. C’est en se fondant sur ce principe qu’il leur est demandé depuis 2004 de ne manifester une éventuelle appartenance religieuse que par des signes discrets, et non par des signes « ostensibles », c’est-à-dire visibles de tous et qui ne peuvent pas être portés communément par n’importe qui.
Comment éduquer à la laïcité à l’école ? Le cadre laïque participe-t-il à cette éducation ?
Comme le rappelle l’article 12 de la Charte de la laïcité, co-rédigée notamment par d’anciens membres de l’Observatoire de la laïcité et des fonctionnaires du ministère de l’Education nationale, les enseignements sont laïques, ce qui garantit aux élèves l’ouverture la plus objective possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs. Aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Bien sûr, expliquer efficacement la laïcité suppose des mises en situation concrètes. Il s’agit, comme le disait Ferry, de « préparer dans l’enfant le futur citoyen ». Alors qu’avant la réinstauration de l’EMC, l’instruction civique se limitait le plus souvent à une présentation « verticale » des institutions publiques et des droits civiques, l’EMC doit permettre, par l’interaction, la construction d’une culture morale et civique, de présenter les principes de la République, en particulier la laïcité, et transmettre un socle de valeurs communes. Cela passe par des jeux de rôle, des saynètes, etc. Il est en ce sens regrettable que la réforme de l’EMC en 2019 (à la demande de Jean-Michel Blanquer) ait abouti à un enseignement plus vertical et moins interactif. Car l’EMC doit développer le sens moral et l’esprit critique et permettre à l’élève d’apprendre à adopter un comportement réfléchi. Il prépare à l’exercice de la citoyenneté et sensibilise à la responsabilité individuelle et collective. L’EMC est un enseignement pour permettre de se construire dans la confrontation à l’autre, de penser par soi-même et contre soi. Il permet aussi de librement adhérer ou non à une croyance ou une conviction, en favorisant la conquête de l’autonomie intellectuelle et en donnant des outils sans imposer.
Former à la laïcité pour éduquer à la laïcité : quelles formations aujourd’hui pour les personnels sont à disposition?
L’Observatoire de la laïcité ayant été supprimé il y a quelques années, c’est à l’exécutif – désormais censuré, attendons de connaître le nouveau gouvernement – qu’il faut poser cette question. Cependant, et heureusement, certaines des formations mises en place par l’Observatoire existent toujours, comme le plan « Valeurs de la République et laïcité », piloté au niveau national par l’ANCT et à destination des acteurs associatifs et des agents de l’État. La formation en ligne, de 2 à 3 heures, sur Mentor, s’inspire largement des travaux de l’Observatoire. Pour les agents des collectivités locales, les formations que l’Observatoire avait réalisées avec le CNFPT se déclinent toujours. Mais l’on constate une instrumentalisation de la laïcité y compris à ce niveau, avec des sensibilisations délivrées par des intervenants qui ne sont pas de vrais experts et qui sont d’abord des idéologues, comme pour le dernier colloque sur le sujet de la région Ile-de-France. Au sein de l’Éducation nationale, les ministres ont voulu mettre en place leur propre formation sur M@gistère et en présentiel. Beaucoup nous l’ont décrite comme inégale, insuffisante en termes de moyens et de déploiement, et imparfaite à plus d’un titre. C’est évidemment regrettable. Les formations indiquées plus haut leur sont néanmoins normalement toujours accessibles.
Vous avez écrit En finir avec les idées fausses sur la laïcité. Quelles sont les principales idées fausses que vous avez identifiées ?
Ce livre, dont la dernière réédition est récente (l’an dernier), découle de courtes vidéos (d’une minute) que j’ai réalisées depuis chez moi durant la pandémie de COVID-19 pour revenir sur de nombreuses idées fausses, largement répandues (malheureusement) dans le débat public et la plupart des médias. Dans le livre, j’en explore 95, mais on pourrait bien sûr en trouver d’autres ! La plus courante est peut-être de parler de « neutralité dans l’espace public ». Non, dans la rue par exemple, on peut évidemment porter un signe religieux, comme un signe politique d’ailleurs. On entend souvent dire que la laïcité est une « valeur ». Non, c’est un principe qui emporte des valeurs, et cette nuance n’est pas sans importance face à l’idéologisation du concept. Ou encore, que c’est le catholicisme qui est à l’origine de la laïcité. À nouveau, c’est non. S’il y a eu des courants du christianisme favorables à la séparation (comme beaucoup de protestants), tel n’était pas le cas du catholicisme jusqu’il y a peu (et ce n’est toujours pas le cas pour certains de ses courants traditionalistes) qui jugeait qu’il ne pouvait y avoir qu’une « distinction » entre le pouvoir temporel et celui spirituel (considéré toujours au-dessus) mais en aucun cas une « séparation ». Une autre encore est de penser que la loi de 1905 n’a été pensée que par rapport au culte catholique : pas du tout, elle a été pensée en imaginant n’importe quel paysage religieux français et, d’ailleurs, devait initialement s’appliquer en Algérie française dont la population était quasi exclusivement de confession musulmane. Une dernière est de penser que la laïcité est française et n’existe qu’en France. Doublement faux, il y a d’autres types de laïcités dans le monde (et dans des sociétés diverses, dont la religion majoritaire peut être notamment chrétienne ou musulmane), mais aussi des laïcités très proches, y compris dans des pays qui l’ont définitivement adoptée avant nous. Même si, reconnaissons-le, nous sommes sans doute le pays à avoir le plus théorisé et juridicisé ce principe.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
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