Si beaucoup de professeur.es quittent ou aimeraient quitter la profession, exprimant une fatigue, d’autres embrassent le métier de professeur.e dans une seconde carrière. Et avec plaisir. Le Café pédagogique s’entretient avec l’une d’elles, une professeure des écoles qui a entamé sa reconversion il y a 8 ans. Sophie Bosquet est suppléante en Bretagne. Cette ancienne intermittente du spectacle s’amuse de son statut d’« intermittente de l’Éducation nationale ». L’année passée, elle a eu pour la première fois une classe à l’année. Sophie nous a parlé de son métier, de ses projets, de ses débuts mais aussi d’où elle venait.
Le trac du début
Quand on la rencontre, ses premiers mots sont ceux d’une professeure à la veille de la rentrée, c’est-à-dire dans ses préparations de séances. C’était se deuxième rentrée, cette -jeune- professeure de 56 ans se demandait si elle « aurait moins le trac avant la rentrée, si (elle) avait une formation solide ». Sophie se rappelle de sa première rentrée, d’ « un trac horrible, mais dès que ça s’est mis en place, après la première semaine, c’était bon. » Elle s’est formée en lisant, en échangeant et en observant ses collègues. Elle était auparavant enseignante spécialisée, et était donc avec de nombreuses collègues en co-intervention.
Sophie passe sa 2ème année de professeure des écoles dans la même école que l’année dernière. Elle glisse « quand tu es au travail, c’est plus joyeux que les préparations ». Sophie remplace au premier trimestre une collègue de Grande section et au 2e trimestre une collègue de CE2. Elle espère avoir une 2e année les CP, pour approfondir ce qu’elle a fait l’année dernière et ne pas être dans l’urgence, profiter de ce qu’elle a appris « pour le faire mieux » « et de le faire en étant (elle-)même mieux ». Pour la suite, elle verra mais elle se réjouit d’ores et déjà de rester dans la même école où elle a une relation de confiance avec la directrice. Son âge et expérience sont aussi un atout dans sa reconversion : « j’ai 56 ans, même si je débarque, les gens ne savent pas que je commence. Les parents sont rassurés dès le début. »
Un projet d’école dehors pour cette année
Si cette année et les suivantes ont leur lot d’incertitudes et de surprises, l’« intermittente de l’Éducation nationale », comme se décrit cette ancienne intermittente du spectacle, ne manque pas de projets. Cette année, elle prévoit de mettre en place et d’expérimenter le dispositif « classe dehors » une demi-journée par semaine. « J’aimerais sortir dans un parc. Aller à la mer, c’est trop loin, l’idée c’est de ne pas perdre du temps ». Sophie est convaincue des bienfaits de sortir de l’école, tant pour les apprentissages que pour des raisons de santé, pour lutter contre la surcharge pondérale et la vie sédentaire notamment liée aux écrans. Selon elle, « il faut sortir du maths français maths français. On peut faire du langage et des maths dehors. Dehors, plein d’élèves se révèlent, c’est une porte d’entrée intéressante pour des élèves qui n’auraient pas pris la parole en classe. » L’obsession des fondamentaux lui semble « tellement conservatrice », elle juge que « c’est pour rassurer les familles » alors que « la culture à l’école c’est important ». Sophie déplore au passage la pauvreté des arts visuels à l’école élémentaire.
« Tu es toujours en classe, à penser aux élèves en difficulté »
Sophie aime mener des projets et des sorties avec ses élèves : « c’est ce qui me fait le plus plaisir », dit-elle. Cette année, le fil conducteur était l’architecture. Elle raconte sa première année : « je pense que je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. Tu l’as toujours dans la tête. Tu as toujours quelque-chose à penser, le projet en cours, le suivant ». Elle continue : « alors qu’on nous dit toujours en vacances, tu es toujours en classe, à penser aux élèves en difficulté. Peut-être qu’un jour je comprendrais que je ne peux pas tous les sauver, sans avoir de culpabilité ».
« Évaluer tout le temps mes élèves, c’est ce qui me rend le plus malheureuse »
Le plus difficile pour Sophie dans le métier, ce sont « les évaluations et tout ce qui peut mettre les enfants en difficulté », or pour elle « l’École, parfois, met les élèves aussi en difficulté, avec les évaluations. » « Une moitié adore », dit-elle « les bons élèves, et l’autre moitié est en panique. Pourquoi dès 6-7 ans faire ça et ne pas tenir compte de leur rythme ? » Elle poursuit : « En CP, les évaluations nationales, en septembre et en janvier, et celles de décembre du 1er trimestre dans l’école, c’est lourd. C’ est pas adapté. » « Évaluer tout le temps mes élèves, c’est ce qui me rend le plus malheureuse ». Sophie décrit aussi un aspect chronophage qui ne sert à rien et des collègues qui se plaignent beaucoup de tous ces à-côtés, tout ce temps qui n’est pas avec les élèves, toute une « paperasse », pour les PPRE, les bilans de réussite éducative, gevasco, « sur une plateforme qui buggue ». La professeure des écoles dénonce la longueur de ces questionnaires et cette « usine à gaz ».
Un changement de vie : « je voulais un autre métier à 50 ans »
Avant de devenir professeure des écoles en Bretagne, Sophie était technicienne de cinéma. Elle a été cadreuse à Paris, puis a réalisé des documentaires en Normandie. Peu après la naissance de son fils, elle a quitté Paris pour vivre en Normandie, où elle a travaillé pour le Pôle Image Haute Normandie, notamment avec le dispositif « Passeurs d’images » financé par la DRAC. Des projets l’ont ainsi conduite dans des hôpitaux, des maisons de retraite, en IME. Sophie poursuit : « Et c’est comme ça que je me suis rapprochée de l’école, après 20 ans dans le cinéma, puis les documentaires ». Elle évoque aussi très rapidement sa maladie qui a aussi contribué à un changement de vie : « j’ai été malade, tu recadres tes priorités, la maladie, ça te remet en face de la vie comme de la mort. » Après une année de traitement, Sophie savait qu’elle « voulait un autre métier à 50 ans ».
Elle est devenue AESH et a repris ses études. Après une VAE (validation des acquis de l’expérience), elle valide une licence de cinéma. A la rentrée suivante, elle obtient un poste dans un centre d’accueil de jour à Vernon en Normandie. Elle a dans sa classe de Grande Section-CP des enfants myopathes et psychotiques et l’aide de deux éducateurs. Elle résume « ça a été horrible mais hyper formateur », et poursuit « toutes les six semaines, on avait des analyses de pratiques avec un psy du travail de l’extérieur. C’était hyper intéressant, on devrait avoir ça dans toutes les écoles, c’est un bon moyen pour régler des tensions. Les enfants ne vont pas bien, nous, on vit des choses avec eux, nous aussi on n’allait pas toujours bien. »
Professeure dans une école privée sous contrat
Ensuite, elle postule dans l’enseignement catholique privé sous contrat en Normandie. Elle explique, qu’à l’époque, on ne pouvait pas postuler ailleurs avec une licence. Elle est recrutée comme enseignante spécialisée grâce à son expérience passée. Elle travaille alors dans deux écoles avec des enfants en grande difficulté, une soixantaine, dont une vingtaine qui allaient dépendre de la MDPH. Après cinq années dans ce poste, elle déménage en Bretagne en 2023 près de Saint-Malo où elle est alors recrutée dans une école pour une classe ordinaire avec des enfants de milieu plutôt favorisé mais ce n’est pas une école élitiste, précise Sophie, précisant qu’ « on a un problème avec le privé des grandes villes ». Travailler dans une école catholique privée sous contrat est un choix de circonstances, Sophie a d’ailleurs un enfant scolarisé dans le public.
Une reconversion heureuse même si « on n’est pas aimé par la société »
Beaucoup de parents considèrent l’école comme un mode de garde, « l’école, c’est moins cher que la crèche. Il n’y a pas toujours le respect de l’école, c’est triste, et c’est pour cela qu’on galère parfois en classe : on n’est pas aimé par la société ». Elle poursuit : « c’est un boulot superbe, pas valorisé. Sans valorisation, ça tape sur le système des gens ». Malgré ce constat, Sophie décrit une reconversion naturelle. Elle raconte qu’elle était intervenante en milieu scolaire et avait donc déjà cette habitude de se mettre à hauteur d’enfant pour transmettre.
Pour elle, ils sont nombreux « à faire ce chemin de reconversion et l’Éducation nationale devrait profiter des gens qui viennent de l’extérieur. Pour certains profs, on est des OVNIS, ms c’est une richesse pour l’école. » Elle sent une forme de méfiance, car elle est « suppléante, pas titulaire ». A la question de passer le concours pour devenir titulaire, elle répond qu’elle a 56 ans, 8 ans à travailler et qu’elle pourrait être affectée loin de son domicile. Selon elle, « dans un monde idéal, au bout de 6 ans, les suppléants devraient être titularisés. Avant ça se faisait. Le système a un super vivier, ça nous sécuriserait et nous valoriserait. Mais c’est sûrement une question d’économie. On coûte moins cher. On est nombreux. »
Djéhanne Gani