Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale honoraire et ancien Dgesco livre son analyse du rapport de l’IGESR et de l’IGF publié le 12 septembre 2024. Pour le Café pédagogique, il revient sur les données du 1er degré, rappelant que la priorité au 1er degré a été initiée en 2013. Jean-Paul Delahaye rappelle des éléments passés sous silence par les rapporteurs : suppression de postes ou de dispositifs depuis la présidence de Macron. L’ancien Dgesco décrypte les trois scénari du rapport et s’étonne de l’absence d’un « quatrième scénario qui aurait permis d’envisager les bienfaits pour le premier degré d’une conservation de l’intégralité des moyens sur la période 2023-2027 ». Sans cela, « c’est se condamner à continuer à maltraiter dans notre pays le temps des premiers apprentissages » affirme-t-il.
Un rapport « Revue de dépenses : dispositifs en faveur de la jeunesse », rédigé en avril 2024 conjointement par l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche et par l’inspection générale des finances vient d’être rendu public[1].
Ce rapport précis et documenté envisage l’évolution des moyens de l’enseignement scolaire et supérieur sur la période 2023-2027. Nous n’abordons ici que ce qui concerne le premier degré.
Regrettons pour commencer l’habitude prise ces dernières années de laisser à penser que l’histoire de l’éducation nationale a commencé en 2017, ce qui comme par hasard correspond au début du premier mandat de l’actuel président de la République. Ce rapport n’échappe pas à ce travers. Écrire que : « Depuis 2017, les moyens en faveur de la jeunesse ont été fortement accrus, qu’il s’agisse de nouveaux dispositifs en faveur des moins de 25 ans ou de moyens additionnels pour l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur », c’est oublier que ceux qui sont à la manœuvre depuis 2017 sont les mêmes qui ont fermé 80 000 postes de 2002 à 2012. C’est aussi oublier que de 2012 à 2017, alors que les effectifs scolarisés dans le premier degré croissaient de plus de 80 000 élèves, 54 000 postes ont été créés dans l’enseignement scolaire. Pourquoi ne pas rappeler que « la priorité accordée au premier degré » a été initiée dès 2013 dans un contexte démographique alors défavorable ? On doit évidemment se féliciter que la priorité au premier degré ait été prolongée en 2017, et cette fois dans un contexte démographique beaucoup plus favorable. Le rapport signale en effet que « Entre 2017 et 2023, le nombre d’élèves en préélémentaire a diminué de 220 000 et le nombre d’élèves en primaire[2] de 184 000, soit une baisse d’environ 404 000 élèves.». D’autre part, si « le dédoublement de certaines classes en éducation prioritaire », a pu se traduire « par la création de 16 686 équivalents temps plein (ETP) », c’est en partie en supprimant, sans évaluation, environ 5000 postes du dispositif « Plus de maîtres que de classes » créés de 2012 à 2017, alors même que le dispositif donnait satisfaction aux enseignants et permettait de développer de belles dynamiques pédagogiques collectives, ce qui manque à nos écoles. Le rapport passe aussi étonnamment sous silence le fait que la « priorité au premier degré » s’est incompréhensiblement accompagnée de la baisse de la scolarisation des enfants de moins de 3 ans qui a ainsi pu servir de variable d’ajustement budgétaire pendant cette période (11,7 % des enfants de moins de 3 ans scolarisés en 2013, 9,7% en 2023).
Le rapport signale que « les moyens financiers consacrés aux dispositifs ont été multipliés depuis 2017… sans lien avec les évolutions démographiques ». Pourtant le même rapport cite les travaux de l’OCDE qui indiquent que, s’agissant du « ratio élèves par enseignant », « la France figure parmi les pays au ratio le plus élevé avec 23 élèves/enseignant toutes classes confondues en 2020, derrière le Royaume-Uni avec 34,6 (moyenne OCDE à 13 ) ». Que les « moyens financiers » ne soient pas en « lien avec les évolutions démographiques » ne doit dont pas être regretté. On doit au contraire s’en féliciter tant le retard de la France par rapport à ses voisins européens est important.
Pour la période 2023-2027, le rapport rappelle que la loi de programmation des finances publiques prévoit 14 965 suppressions d’emplois, soit 60 % de ce qui pourrait être supprimé au vu de l’évolution démographique et même 11 241 suppressions supplémentaires s’il y avait « reprise intégrale des gains démographiques ». Le rapport rappelle aussi que « lors des travaux préparatoires au PLF 2024, le MENJ a retenu une reprise démographique de 70 % dans le premier degré, soit -1 617 ETP », ce qui était inférieur au chiffre calculé par le ministère du budget.
Plus précisément, dans un premier scénario qui cible « les classes à effectifs trop réduits » à l’école primaire, « la rationalisation des taux d’encadrement selon la méthode retenue par la mission permettrait de fermer près de 600 classes ». Où fermeraient ces classes ? « Dans le premier degré, l’adéquation du nombre de classes au nombre d’élèves par école s’accompagne, en proportions, d’une sur-représentation de fermetures de classes en milieu urbain dense et aggloméré, dans des académies métropolitaines (Paris, Reims, Normandie, Besançon, Bordeaux) et ultra-marines (Guyane, Guadeloupe, Martinique), en REP et REP+ et en niveaux simples CP et CE1, quel que soit le scénario retenu ». Autrement dit, on fermerait des classes dans les lieux qui en ont le plus besoin.
Dans un deuxième scénario qui relève à 15 élèves par classe les seuils de dédoublement en EP et EP+, les fermetures de classes seraient au nombre de 839. Là encore, ce sont les sites qui accueillent les populations les plus en difficulté qui sont visés.
Enfin, un troisième scénario qui adapte « le maillage territorial des écoles et des établissements, en adéquation avec un nombre d’élèves par établissement cohérent au niveau national et une prise en compte du temps de trajet », permettrait de fermer 1925 écoles (soit 4927 emplois). Les auteurs du rapport écrivent que leurs conclusions, compte tenu du calendrier de leur mission, « n’ont pas été présentées aux autorités déconcentrées qui mettent en œuvre le service public de l’enseignement sur le terrain ». Précision importante car sur la question du « maillage territorial » et du « temps de trajet », beaucoup de recteurs et de DASEN auraient pu dire à la mission que des fermetures qui paraissent possibles sur un tableur Excel sont en réalité impossibles si on a l’intérêt des élèves pour priorité.
Manifestement, la commande qui a été passée à cette mission ne comprenait pas l’étude d’un quatrième scénario qui aurait permis d’envisager les bienfaits pour le premier degré d’une conservation de l’intégralité des moyens sur la période 2023-2027. La grande expertise déployée par les inspecteurs dans le cadre de ce rapport aurait sans nul doute été très utile dans ce scénario manquant. Rappelons qu’il fut un temps où l’inspection générale de l’éducation nationale, qui disposait alors d’un statut lui donnant une certaine liberté dans son travail, pouvait, en dehors de la commande ministérielle, s’auto-saisir d’un sujet. Ce n’est pas manifestement plus le cas et c’est bien dommage car le ministère de l’éducation nationale se prive ainsi d’informations essentielles[3].
Car la question de l’utilisation des moyens dégagés par la baisse démographique pour accélérer la revalorisation salariale des professeurs des écoles (dont les salaires sont parmi les plus faibles des pays développés pour continuer à baisser les effectifs dans les classes des écoles (parmi les plus élevés en Europe) est une question vitale pour notre pays. Ne pas la poser c’est se condamner à continuer à maltraiter dans notre pays le temps des premiers apprentissages. Et on se lamentera encore longtemps sur les résultats de nos élèves de 15 ans dans les évaluations PISA.
Jean-Paul Delahaye
Inspecteur général de l’éducation nationale honoraire
[1] igesr-igf-rapport-23-24-122b-revue-depenses-dispositifs-jeunesse-cafe-pedagogique.pdf (cafepedagogique.net)
[2] Rappelons aux inspecteurs que l’enseignement primaire comprend la maternelle et l’élémentaire. Le primaire englobe les deux niveaux.
[3] Doyen du groupe « établissements et vie scolaire » de 2002 à 2006, j’ai eu à coordonner et co-rédiger avec d’autres inspecteurs une « auto-saisine » pilotée par Jean-Pierre Obin « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Cette question n’était pas dans la commande ministérielle pour 2004, elle a néanmoins été d’une grande utilité pour le ministère.
Dans le Café
Rapport explosif sur les suppressions de postes et de classes