La médiatrice de l’Education nationale et de l’enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, a présenté son rapport annuel mercredi 17 juillet 2024, « pour faire un état des lieux des réclamations (…) assez représentatives de la situation reflétant les inquiétudes et difficultés des usagers et personnels de l’éducation. » Selon elle, la tendance dominante qui ressort en 2023 est une « demande et un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération » pour les personnels comme pour les usagers.
Rapport 2023 de la médiatrice de l’Éducation nationale: « un besoin croissant d’écoute, d’explication et de considération »
La médiatrice de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Catherine Becchetti-Bizot, a présenté son rapport annuel mercredi 17 juillet 2024, « pour faire un état des lieux des réclamations (…) assez représentatives de la situation reflétant les inquiétudes et difficultés des usagers et personnels de l’éducation. » Selon elle, la tendance dominante qui ressort en 2023 est une « demande et un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération » pour les personnels comme pour les usagers.
Le rapport 2023 « Faire alliance, redonner confiance »
Dans son rapport, la médiatrice rappelle les valeurs et les principes de la médiation, « qui sont aussi ceux de notre République : le dialogue, la tolérance, le respect des différences, le débat démocratique et la recherche de l’équité, afin de ne jamais laisser s’enclencher la spirale de la haine ni prospérer une situation portant atteinte aux droits fondamentaux ou à la dignité des personnes. » Jusqu’en 2005, la médiation -créée en 1998 – était plutôt saisie par les personnels. Une tendance qui s’inverse aujourd’hui avec plus de saisines par les usagers, signe d’une relation école-famille qui se dégrade.
Le rapport « Faire alliance, redonner confiance » présente les origines des saisines par catégorie de réclamants, les domaines de saisines avec des éléments sur les évolutions et des éléments d’analyses prospectives. Ce sont en 2023 plus de 20 000 saisines, soit un nombre en augmentation, mais au regard des 12 millions d’élèves et apprentis, la médiatrice rappelle que « c’est relatif et qu’il est difficile de généraliser ». Si le rapport « montre les sujets d’anxiété, de difficultés, il essaie aussi de tracer des recommandations pour améliorer le système éducatif, avec des nuances et des bonnes pratiques. » Elle précise qu’il s’agit « d’un réseau de 87 médiateurs dans les académies répartis sur tout le territoire pour répondre aux réclamations des établissements scolaires et universitaires, comme des services académiques » qui permet d’arriver à 78% de résolution des saisines.
Un contexte tragique et des hausses de sollicitations : un besoin d’écoute et de dialogue croissant
Le contexte 2023 a été jalonné de situations dramatiques que la médiatrice rappelle : des suicides d’enfants victimes de harcèlement à l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français poignardé dans son établissement. Elle rappelle que l’école est un réceptacle de nombreuses problématiques sociétales : « les sujets de tensions dans les établissements sont des sujets de société ». L’année 2023 a connu une montée de phénomènes d’incivilités et de harcèlements. La médiatrice évoque la complexité des procédures administratives qui est aggravée par des pratiques du numérique, nécessitant des formations. Pour elle, « tout cela accentue anxiété des familles et un phénomène de défiance des usagers vis-à-vis de l’institution, ce qui accentue la pression sur les personnels. »
Le rythme de saisine a plus augmenté en 2023 – c’est une hausse de 12% en 1 an, de 42% en 5 ans, de 76% en 10 ans. Cette hausse ne signifie pas qu’il y a plus de problèmes qu’avant, mais que les médiateurs ont gagné en visibilité. Pour 2023, ce sont plus de 20 000 demandes qui ont été traitées, soit un peu plus de 90% des saisines. Cette augmentation traduit un besoin d’écoute, de dialogue à la fois des personnels comme des usagers selon la médiatrice pour qui la culture de la médiation pénètre la culture de l’Éducation nationale. La médiatrice préconise un apaisement par la formation, avec des ressources par difficulté identifiée, des outils, des référents et le développement des compétences psycho-sociales.
Beaucoup de recours sont en effet « un appel à soutien ». 21% des sollicitations ne sont pas des réclamations, mais relèvent d’un besoin de comprendre une décision, d’une demande de conseil ou d’information. La médiatrice relève « un besoin croissant d’écoute, d’explication en transparence, de considération ».
Les saisines des personnels
Le premier sujet de réclamation des personnels concerne la rémunération et ce domaine est en hausse (+91% en 5 ans) particulièrement les contractuels qui concerne 1/3 des demandes dans ce domaine. Il s’agit du premier domaine de saisine pour les AESH, AED.
Le second domaine est la question statutaire (avancement d’échelon, détachement, PPCR, ruptures conventionnelles), ces réclamations ont augmenté de 51% en 5 ans. Ces questions sont l’objet de tensions car elles relèvent de la reconnaissance du travail accompli. Enfin, 15% des saisines portent sur les affectations. La question des mutations est un point sensible en termes d’attractivité du métier. 13% porte sur le climat au travail (entre pairs, avec hiérarchie, demande de protection juridique). Enfin 13% des saisines concernent les relations professionnelles (entre pairs et hiérarchiques) et le climat au travail -organisation et conditions de travail, présomption de harcèlement ou de discrimination, demandes de protection juridiques-, ce domaine connait une hausse de 78% en 5 ans, et 122% pour les relations entre collègues. Tous ces sujets participent à la souffrance au travail des personnels.
Les saisines des usagers : « une culture du rapport de force aux antipodes de l’alliance éducative »
73% des saisines proviennent des usagers (familles, élèves et étudiants pour 30%). Cette part indique une défiance et une relation école-famille qui semble se dégrader, et ce au détriment des élèves et ce, dès l’école primaire avec une hausse sensible de saisines concernant le 1er degré (+37%). Beaucoup de saisines concernent le second degré avec une tendance à la hausse dans le privé. La médiatrice relève que le nombre de saisines pour Parcoursup diminue. Le rapport retient trois objets de saisines : les contestations portant sur la nature et le fondement même des enseignements, les problématiques liées aux difficultés de mise en œuvre de l’École inclusive et l’accroissement de l’agressivité, verbale ou physique, dans les relations entre les familles et l’école.
39 % des saisines concernent la vie quotidienne et les conflits établissement-parent d’élève. Ce domaine, passé en première position depuis deux ans, a connu une très forte progression, c’est un doublement en cinq ans. La relation École-familles semble se dégrader. La médiatrice note qu’ «une culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours des élèves semble se développer ». Cette évolution peut être constatée dès l’école primaire (30 % des réclamations). Dans un contexte d’anxiété montante, le rapport souligne un besoin d’explication pour les familles au sujet des examens, de la notation. L’exemple récent des notes de jury du baccalauréat montre l’absence de confiance dans l’institution. Il s’agit de redonner confiance en l’autorité comme l’expertise de l’enseignant, rappelle la médiatrice. Le rapport souligne le travail des enseignants, et s’emploie à mettre en valeur ce qui fonctionne.
Les conséquences des saisines sur le bien-être des personnels : la souffrance au travail
Les réclamations et la culture du rapport de force a un impact sensible sur le bien-être des personnels car la dégradation du climat scolaire comme les conflits relationnels entre famille et établissements (21% des saisines de ce domaine) ou interne à l’établissement a un impact sur l’exercice du métier de tous les personnels de l’Éducation nationale – 20% des saisines sont des contestations de mesures et sanctions disciplinaires et 16% sont liées au fonctionnement, 10% des situations de harcèlement.
Les saisines des usagers, la mise en accusation parfois agressive provoquent de la souffrance, de l’anxiété ou du découragement chez les personnels. Un contexte de dégradation du climat scolaire, d’augmentation de la violence ou d’incivilité nuit à l’attractivité du métier et au malaise des personnels.
Le rapport met l’accent sur l’enjeu du lien de confiance dans un contexte de perte d’attractivité des métiers de l’éducation : « La prévention, la gestion et la résolution de ces situations génératrices de conflit constituent un enjeu majeur pour l’institution : il s’agit, pour combattre le « désenchantement de la profession», de restaurer le lien de confiance indispensable entre les familles et les équipes pédagogiques ou éducatives, afin que celles-ci puissent accomplir sereinement leur mission d’instruction, d’éducation et d’émancipation, qui est au cœur du projet démocratique et républicain. Or ces dernières se sentent fréquemment délégitimées et fragilisées par ces agressions et sont en attente de soutien et de reconnaissance de la part de leur hiérarchie. »
Le rapport précise que ces chiffres sont à manier avec prudence car certains personnels ne font pas de recours par peur de représailles de leur hiérarchie. S’il est difficile de comparer avec les années précédentes, puisque le dispositif était moins connu par exemple, ces chiffres disent quelque-chose de la souffrance au travail des agents et d’une défiance des usagers envers l’institution. Ce constat s’inscrit dans la crise d’attractivité des métiers de l’éducation avec une baisse d’1/3 du nombre d’inscrits en 15 ans et des démissions en augmentation.
Djéhanne Gani