« (P)oser les vrais termes du débat ! », c’est le titre du manifeste pour le collège que viennent de publier Roger-François Gauthier et Jean-Pierre Véran, tous deux membres du CICUR (collectif d’interpellation du curriculum). En un peu moins de 60 pages, les chercheurs montrent les failles du collège français – et les raisons de celles-ci, et démontrent en quoi le « prétendu « choc des savoirs » est une imposture intellectuelle ». « À rebours de cette offensive réactionnaire, nous proposons de faire confiance aux élèves, aux équipes des Collèges, aux territoires sur lesquels ils rayonnent », nous confient-ils. « En sortant des programmes prescriptifs dans le moindre détail pour donner des objectifs communs de formation à tous, que chaque établissement réalisera en s’appuyant sur les acquis de ses élèves, les ressources de ses personnels et de son territoire ». Autre point d’appui pour repenser le collège, s’appuyer sur la mixité scolaire, « mixité sociale, mixité des savoirs et démocratie scolaire sont indissociables », affirment-ils. Ils répondent aux questions du Café pédagogique.
Qu’est-ce qui ne va pas dans le collège actuel?
D’abord, ce collège n’est pas celui de la culture commune d’une génération qui apprend à coopérer, mais celui de la compétition et du tri, entre ceux qui s’orientent parce qu’il réussissent académiquement et ceux qu’on oriente par défaut en professionnel.
Ensuite, le collège est considéré en France comme un collège d’Etat, piloté depuis l’Elysée et Matignon et non comme ce qu’il est, un établissement public local d’enseignement. Pour l’être vraiment, il faudrait qu’il ne soit plus considéré comme une succursale hors sol du ministère, mais comme un élément clé de son territoire, fonctionnant démocratiquement.
Selon vous, c’est dès sa création que le collège a été mal pensé. Qu’est-ce que cela signifie?
Si l’on relit ce que René Haby disait de la transformation nécessaire des contenus d’enseignement, des pédagogies, du rôle de la vie scolaire dans un collège, de l’orientation des élèves dans le collège unique qu’il envisageait, on se rend compte que ce collège unique n’a jamais été réalisé et qu’il reste à inventer.
On s’est paresseusement contenté d’étendre à toutes et tous l’enseignement général donné dans les lycées de la 6e à la 3e, ce qui convenait parfaitement aux enfants issus familles favorisées et nourries de la culture scolaire, et vouait à l’échec une grande part des enfants de milieux populaires. Mais comme le tri, officiellement, se fait sur les notes, les moyennes, et non sur critère social, l’illusion de l’égalité des chances est préservée !
Pour vous, et le CICUR auquel vous appartenez, la révolution doit passer par un nouveau curriculum – un nouveau système de savoirs. Qu’est-ce que cela signifie?
Tant que l’on partira de programmes disciplinaires d’enseignement pour bâtir le parcours de formation des élèves, on ne changera en rien l’injustice de notre collège et son inadaptation en termes de savoirs.
Commençons par réfléchir aux finalités du collège, pièce centrale de la scolarité obligatoire, entre l’école et les lycées. Et, partons aussi de l’expérience vécue par les collégiennes et collégiens d’aujourd’hui et leurs enseignants, CPE, principaux. De quoi les premiers ont-ils besoin pour entrer en citoyennes et citoyens engagés et éclairés dans un monde d’incertitude ? Sans aucun doute de savoirs plus diversifiés que ceux enseignés aujourd’hui. Comment évaluer leurs apprentissages en termes de connaissances et de capacité d’action ? Quelle formation faut-il penser pour les personnels qui les accompagneront dans cette diversité d’apprentissages ? Le curriculum, c’est tout cela, qu’il faut penser en cohérence, et non en juxtaposition et hiérarchisation comme c’est le cas actuellement où l’on oppose les savoirs dits fondamentaux aux autres, où l’on traite différemment les enseignements et les « éducations à », où l’on forme séparément personnels de vie scolaire et personnels enseignants…
L’orientation est un enjeu majeur du collège actuel doit-elle le rester?
Vous avez raison de poser la question en ces termes. On peut avoir le sentiment que la grande fonction de fait du collège est plus d’orienter les flux d’élèves vers tel ou tel lycée que de les former. Si l’on veut restaurer la confiance des élèves et des parents dans l’école, il faut sortir sans doute de l’idée selon laquelle la décision d’orientation appartient non au sujet mais à l’institution scolaire. Libérer le collège et ses personnels et ses élèves de la nécessité de faire le tri, et ce dès la sixième, pour amoindrir la violence du tri terminal en 3e, c’est restaurer des conditions d’enseignement et d’apprentissage plus sereines pour toutes et tous. Si l’orientation, plutôt que d’être une décision irréversible devenait un processus, étendu sur un cycle 5, associant classe de 3e et classe de seconde, cela faciliterait la maturation du projet personnel en permettant à toutes et tous de pouvoir se déterminer en expérimentant ensemble des enseignements généraux, technologiques et professionnels, en vue du cycle terminal. Car si l’orientation reste un enjeu majeur pour le sujet, le rôle de l’institution scolaire est de ne la rendre jamais irréversible et définitive.
Selon vous, la réforme Attal, est une contre-réforme. Qu’entendez-vous par là ?
Le prétendu « choc des savoirs » est une imposture intellectuelle. Le ministre Attal a lui-même démasqué son objectif : permettre dès la 6e à certains – les élèves en situation de réussite – de « s’envoler au delà des programmes », quand on limite les apprentissages des autres aux « savoirs fondamentaux », apprentissages sanctionnés par un redoublement puis une orientation et un brevet verdicts sans appel pour barrer la route à ceux qui voudraient aller au lycée. Cet examen d’entrée aux lycées se fonde sur un seul critère : celui des enseignements généraux sanctionné par une note et une moyenne à l’examen. L’imposture se confirme quand on prétend, sous l’uniformité vestimentaire, cacher la ségrégation des destins scolaires et sociaux. Et quand on foule au pied l’autonomie pédagogique des établissements et de leurs équipes, on est effectivement en pleine contre-réforme !
A rebours de cette offensive réactionnaire, nous proposons de faire confiance aux élèves, aux équipes des Collèges, aux territoires sur lesquels ils rayonnent. En sortant des programmes prescriptifs dans le moindre détail pour donner des objectifs communs de formation à tous, que chaque établissement réalisera en s’appuyant sur les acquis de ses élèves, les ressources de ses personnels et de son territoire.
Vous prônez la mixité sociale pour éradiquer les ghettos scolaires. En quoi est-ce un enjeu?
L’École de la République a un sens politique majeur : former le futur citoyen en lui faisant partager, dans son expérience scolaire, une expérience démocratique fondatrice permettant l’apprentissage, dans les actes et pas seulement dans les mots, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité dans la richesse de notre diversité. Renoncer à la mixité sociale, c’est protéger l’entre-soi des privilégiés et favoriser la constitution de ghettos de pauvres, cultiver chez les premiers le mépris de classe et de caste, et chez les autres, nourrir le sentiment d’injustice et de révolte. Mais il ne suffit pas d’asseoir des enfants de riches et des enfants de pauvres sur les bancs d’une même école pour réaliser la fraternité républicaine. Pour qu’elle prenne corps, il faut veiller aussi à la mixité des savoirs enseignés et pratiqués : savoirs non exclusivement académiques, sans quoi les enfances de classes analysées par Bernard Lahire prendront le dessus, mais aussi tous ceux dont les jeunes générations ont besoin : savoirs techniques, pratiques, artistiques, civiques, favorisant la maîtrise de compétences socio-émotionnelles et l’appropriation d’une culture ouverte, non par les cours et les discours, mais par la vie même de la classe, de l’école, du collège ou du lycée. Mixité sociale, mixité des savoirs et démocratie scolaire sont indissociables. Et la démocratie scolaire ne s’arrête ni aux portes des classes, ni aux murs des Collèges. En classe, on encourage la pratique coopérative des élèves comme des personnels. Et le Collège, ouvert sur son territoire, forme ses élèves comme des acteurs avertis de la vie de ce territoire dont il connaît les acteurs institutionnels, entrepreneuriaux, médiatiques, associatifs qui enrichissent la vie du collège de leurs contributions.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Manifeste pour le collège, édité par le CUIP, disponible sur Librinova
En version numérique (4,99€) sur toutes les plateformes. Disponible en juin en version papier sur commande dans toutes les librairies.