Peut-on enseigner la géographie en faisant appel à l’imaginaire ? Julien Dupont, professeur d’histoire-géographie dans l’académie de Lyon, publie un ouvrage original qui invite aux hypothèses, voire aux rêveries, à travers des cartes. Toutes renvoient à des problématiques scientifiquement établies : principalement le changement climatique et son impact sur les paysages, les productions et la présence humaine. Accessoirement, le développement économique. Mais l’ouvrage va plus loin et invite à imaginer des lieux que nous connaissons tous profondément modifiés par le temps et les climats qui passent… Julien Dupont explique comment l’imaginaire peut conduire à la compréhension géographique.
Votre livre met en carte des problématiques réelles comme le développement et surtout le changement climatiques. Pourquoi le choix de la carte pour les aborder ?
Je considère que la carte est un média particulier permettant de prendre une certaine liberté avec l’exactitude. J’ai aussi des raisons esthétiques. Traiter ces évolutions en imaginant des futurs avec un coté graphique permet de laisser place à l’imaginaire et à la réflexion. Le livre part de cartes pour imaginer le futur.
Vous mélangez des données scientifiques avec des évolutions imaginaires comme la disparition de l’humanité ou la montée des océans de plus de 50 mètres. Qu’apporte ce détour par une géographie de l’imaginaire ?
L’imaginaire peut être une clé de lecture de ce que pourrait être un monde futur. Il faut forcément une dose d’imaginaire pour se projeter vers 2100, un moment où les températures auront clairement augmenté. La carte permet d’imaginer plusieurs scénarios pour l’avenir. Je réutilise ce mot de scénario, utilisé aussi par le GIEC. Et j’en profite pour agglomérer aux données scientifiques de la fiction pour construire des interprétations du futur tout en précisant qu’il s’agit de mondes imaginaires.
L’imaginaire est-ce intéressant pour aborder des notions de géographie ?
C’est très intéressant de pouvoir imaginer son territoire et de pouvoir prendre des libertés pour le représenter à sa façon. On peut ainsi imaginer des géographies personnelles en plus de la géographie institutionnelle. Cette démarche fait ressortir les représentations des élèves, par exemple les besoins qui peuvent exister dans les quartiers.
Est-ce une façon de remettre les cartes à leur place, comme représentation de la réalité et non la réalité ?
Exactement. On doit toujours s’approcher d’une carte en se disant que c’est un instrument d’autorité qu’il faut s’approprier. On remet en cause l’idée d’une représentation unique et on invite ceux qui le souhaitent à se documenter. C’est aussi une approche manuelle, une cartographie intime des espaces.
Comment un enseignant peut-il s’emparer de cet ouvrage ?
Le livre peut servir de base pour aborder plusieurs questions. Par exemple en 6ème habiter une métropole du futur. Le biais imaginaire permet de débloquer des notions. Le coté graphique, en dessinant, permet de faire mémoriser et localiser. On est à l’aise avec la carte. On peut y placer ce que l’on veut et faire des cartes de notions scolaire tout en restant plus ou moins ludique.
Utilisez vous cette démarche comme enseignant ?
Un peu. J’aimerais davantage le faire mais comme tous les enseignants je suis pris par le temps. Dans le cadre scolaire on invite peu les élèves à produire des cartes. Or je l’ai fait durant le confinement et cela avait bien marché. Certains élèves , souvent les moins scolaires, sont à l’aise avec cette démarche. Représenter l’espace sans être dans l’exactitude rend plus à l’aise.
Peut-on dire que c’est une géographie citoyenne ?
Oui parce qu’elle est personnelle. Cette façon de voir invite à interroger, à répondre à des questions. L’imaginaire est un support pédagogique puissant.
Des très nombreuses cartes de l’ouvrage, quelle est votre préférée ?
C’est celle de la littérature d’effondrement. C’est imaginaire mais cela pose les différents mondes imaginés par les auteurs. J’ai aussi un faible pour la cartes des naufrages et du climat en Méditerranée. On voit comment les naufrages de migrants et les feux en 2023 sont imbriqués.
Propos recueillis par François Jarraud
Julien Dupont, Imaginer demain. Chroniques cartographiques d’un monde à venir. Armand Colin. ISBN 978-2-200-63639-5, 19.90€
Nicolas Certain-Delus : Géophotographier des territoires imaginaires
Pour une cartographie littéraire : la littérature n’importe où dans le monde ?