Les Dossiers de Veille de l’IFÉ, on vous l’accorde, ça se lit moins goulument que la dernière livraison de Nicolas Mathieu (ou de Sabrina Philippe, choisissez vos lectures…). Mais quand ils ont la saveur des savoirs, comme c’est le cas de la 147e et dernière livraison, ça ne se refuse pas. Claire Ravez réussit le tour de force d’une synthèse remarquable sur un sujet qui n’entraine généralement que crainte et inquiétudes : les mathématiques dans le cadre scolaire. Ne dérogeant nullement à la structure classique des « trois parties, trois sous-parties », elle réussit cependant un exercice qui devrait plaire bien au-delà des amateurs d’asymptotes, et toucher différents types de publics.
La première partie du dossier de veille précise comment les mathématiques sont devenues à la fois un enjeu de savoirs, mais aussi de pouvoir(s) : « intuition, rigueur, créativité, labeur », ses caractéristiques provoquent chez nombre d’entre-nous des éruptions d’anxiété devant la crainte de ne pas être à la hauteur… Claire Ravez décrit par le menu comment les réorganisations successives des savoirs à enseigner ont créé des couches superposées de multiples héritages.
La seconde partie précise comme cette discipline joue un rôle contradictoire, entre idéal de démocratisation et modalités concrètes de sélection : la résolution de problèmes, le raisonnement mathématique sont apparemment moins socialement corrélés aux habitus familiaux. Le focus sur l’histoire de la réforme des « mathématiques modernes », au cours de la seconde moitié du XXe siècle, est un bel exemple de la manière dont les progrès de la connaissance se tissent avec les évolutions sociologiques et les demandes contradictoires envers l’école, et vont donner matière à la création d’une des premières didactiques disciplinaires, se nourrissant successivement de cadres théoriques différents.
Cette partie revient également en détail sur la place que va avoir la discipline mathématique dans la montée de l’évaluation des systèmes éducatifs (PISA, TIMSS..), argument massue du pilotage par les résultats cher au New Public Management, ayant en retour un impact sur le contenu des programmes et des manuels d’enseignement, voire dans les prescriptions de méthodes pédagogiques.
Mais c’est dans la troisième partie que ce dossier rejoindra les dilemmes des praticiens et des formateurs, en s’intéressant au « faire apprendre » en classe. Cherchant à rendre compte des études qui s’intéressent aux différentes manières d’enseigner les mathématiques, C. Ravez donne à lire l’essentiel des connaissances produites par les recherches sur la manière dont la réussite en mathématiques ne peut être séparée de pratiques sociales, par nature corrélées à des catégories d’appartenance. Que ce soient les « malentendus » popularisés par l’équipe ESCOL, la différenciation passive cherchant à résoudre le problème de l’hétérogénéité des élèves, la tension entre enseignement explicite des procédures et la redoutable catégorisation des problèmes, la spécificité des difficultés de la géométrie, la question spécifique du rapport genré aux mathématiques, les raisons sont multiples de questionner la difficulté pour les enseignants des différents degrés de maitriser toutes les compétences requises pour enseigner cette discipline, et évidemment la complexité de la formation initiale et continue à mettre en œuvre pour y parvenir.
La sous-partie consacrée aux spécificités de l’usage du langage en contexte scolaire, et ce d’autant plus dans un contexte d’école inclusive, sera une synthèse utile aux formateurs pour creuser tous ces enjeux, et aider les enseignants à en prendre conscience « en actes », pour peu que la formation continue à avoir l’ambition de s’appuyer sur une observation outillée du réel des pratiques de classe, et en questionnant l’utilisabilité des différents outils didactiques mobilisés, plutôt qu’à imaginer que l’un d’entre-eux puisse en lui-même suffire à faire progresser tous les élèves.
Complété comme il est d’usage par une conséquente bibliographie, ce 147e Dossier de Veille devrait compléter la liste des dossiers qui font date.
Lilia Ben Hamouda
Un dossier de veille, ça se fait comment ?
Les médiatrices du service «Veille & Analyses » de l’IFÉ (Institut Français de l’Education, ENS de Lyon) organisent collectivement un travail de repérage, de catégorisation et de sélection des publications scientifiques autour des thèmes qu’elles décident de mettre au travail. Elles interrogent des bases de données, construisent une veille documentaire exigeante, mais aussi croisent leurs lectures d’ouvrages, leurs connaissances des auteurs et des manifestations scientifiques de courants de recherches pluriels. Leurs lecteurs potentiels sont autant les enseignants, les formateurs, les cadres, les étudiants ou les chercheurs.
L’écriture d’un Dossier de Veille est donc un travail de longue haleine, sur plusieurs mois, au cours desquels les écritures successives sont discutées, au sein du service comme avec des personnes-ressources contactées pour leur expertise du sujet.
D’autres productions contribuent également à ce que l’équipe Veille et Analyses exerce une mission de médiation scientifique à l’interface entre recherches, décideurs et praticiens en éducation :
- L’Edubref est un format de quatre pages pour saisir l’essentiel d’un sujet éducatif ;
- Le blog Eduveille est un carnet de recherche qui reflète la pluralité des points de vue de recherche et des disciplines scientifiques qui portent sur l’éducation et la formation, l’enseignement et l’apprentissage.
Le service Veille & Analyses contribue également au travail des différents services de l’IFE, sur les différents secteurs d’activité sur lequel il produit des ressources et de la formation.
Ravez, C. (2024). Les mathématiques au centre du tableau. Dossier de veille de l’IFÉ, 147, février. ENS de Lyon.