Par une annonce présidentielle les cours de théâtre devraient devenir obligatoires au collège parce qu’ils permettent « de donner confiance » et que cela « apprend l’oralité, le contact aux grands textes ». Même si la notion de grands textes reste à définir, cette idée pourrait s’avérer pertinente si elle était accompagnée des moyens nécessaires à sa mise en œuvre et surtout si elle ne devait pas avoir à se confronter à la réalité du terrain. Zoom sur un projet en lycée professionnel.
Retour d’expériences avec Shehrazad Dermé, scénographe, Maëva Husband, comédienne, Théo Cazedebat, médiateur culturel ainsi que les enseignants de mécanique auto et de lettres-histoire et leurs élèves de seconde Bac pro mécanique auto autour d’un projet CREAC initié par le Théâtre Public de Montreuil (le TPM) afin de démontrer que la réalité du terrain n’est pas un adjuvant dans la bonne idée de faire faire du théâtre émancipateur en classe. Il s’agit aussi de délivrer un regard croisé entre professionnelles du spectacle et élèves de lycée professionnel.
Pour Eric, élève de la classe, « On était en groupe, moi j’étais avec un camarade. On a pris une voiture. On a pris le volant pour faire la performance. Dès qu’on tournait le volant à droite ça nous rappelait le passé, (les souvenirs, tous les bons moments qu’on a passé en famille). Dès qu’on tournait à gauche, ça nous rappelait la vie présente (la vie de maintenant) . On a arraché un câble c’était pour oublier le passé, tous les moments malheureux .Ce qui m’a le plus plu c’était de rencontrer les comédiennes. Elles étaient vraiment cool, très joyeuses. J’ai bien suivi mon instinct. Ça m’a apporté de découvrir un nouveau métier. Ce qui ne m’a pas plu c’est de ne plus les revoir». Pour Rafaël : « dans mon groupe on devait chercher une chose qu’on a en commun. C’était de vouloir quitter l’école. On a réfléchi à ce qu’on pouvait faire. On a choisi d’aller à la plage. On s’est mis dans une voiture. Rydan était au volant, sur la place passagère et moi derrière. On avait mis une musique Me gustas tu de Manu Chao. On regardait le paysage défiler comme en voiture. Pour nous, notre performance rappelait l’évasion de l’école. J’ai bien aimé qu’on soit mis en mouvement. J’aime bien bouger et ne pas rester assis sur une chaise . J’ai beaucoup moins aimé quand on devait lire notre liste à haute voix ». Dans le groupe d’Ivan, « la performance que j’ai fait avec mes camarades de classe était dans l’atelier de mécanique. On a travaillé pendant 40 minutes avec Shehrazad et on a décidé de faire une performance sur notre moyenne scolaire. Celui qui avait la plus grande moyenne avait la voiture la plus facile à pousser , celui qui avait la plus petite moyenne poussait la voiture la plus dure et ceux qui avaient le plus de facilité aidaient les autres. Pour montrer le soutien de tous Ce qui m’a plu c’étaient les jeux qu’ on a fait et la performance car on était dans l’atelier de mécanique. Ça m’a apporté de savoir ce que c’était une performance que j’ai aimée».
Si le projet d’initiation théâtrale semble avoir reçu une bonne adhésion de la part des élèves d’une seconde bac pro mécanique auto, pouvoir les faire performer dans leur atelier n’a pas du tout été de soi.
Déjà parce qu’en L.P, il y a très peu d’ateliers théâtre organisés et surtout, cette discipline n’est pas reconnue comme une option au baccalauréat. Afin de familiariser les élèves avec cette pratique il faut donc monter des projets spécifiques ou bien que l’enseignant soit très familiarisé avec cette pratique, ce qui n’est pas un critère de recrutement. La réduction des heures d’enseignements généraux (co-intervention non comprise) rend difficile la mise en place de projets conséquents en termes de volume horaire. Des équipes pédagogiques du lycée Condorcet de Montreuil (93) ont accepté de s’investir pour trois ans dans un dispositif de Convention Régionale pour l’Éducation Artistique et Culturelle (CREAC) francilien, porté par le Théâtre Public de Montreuil (TPM) et piloté entre autres, par Théo Cazedebat.
Hormis la classe de seconde bac pro, deux autres classes du lycée général ont participé à deux autres projets sur la thématique commune de « l’intime et politique » . Pour Théo Cazebat représentant le théâtre TPM, « dès cette première année, nous avons inscrit notre thématique dans l’adolescence car la saison de la programmation le permettait. En plus de la proximité territoriale, nous avons essayé de proposer un théâtre qui puisse parler aux élèves. On voulait pouvoir dire aux élèves : «le théâtre ce sont des choses qui vous ressemblent, des choses dans lesquelles vous allez potentiellement pouvoir vous identifier , agir , etc» .. Il y avait l’idée de mettre en avant la pratique artistique, toujours accolée à un parcours de spectateurs, d’avoir une immersion en création, avec des écritures et des représentations dans les établissements. Avec l’idée que les voix des élèves puissent construire la suite du spectacle, que les récits entrent dans le spectacle vivant dans des lieux culturels « d’envergure » comme le théâtre, car le théâtre c’est toujours intimidant. C’est à dire que nous voulions inverser les rapports d’intimidation. On sait que c’est utopique , il y a plein de barrières plus ou moins invisibles à l’entrée des théâtres, mais on voulait tenter de le faire . On voulait aussi créer quelque chose avec le même programme pour les élèves de pro, de technique et de général . La thématique Intime et politique permettait aussi, et ça les profs nous l’ont dit , de proposer des choses qui ne soient pas forcément dicibles en classe. C’est par exemple le cas pour les projets autour de la pièce d’ Eva Doumbia « devoirs surveillés » qui répond à plein d’endroits sur les sujets de l’adolescence, sur les sujets de l’établissement scolaire, sur les sujets politiques. ».
Le projet mené avec les élèves de la classe tournait plus spécifiquement autour de la pièce de Rebecca Chaillon Plutôt vomir que faillir conçue comme la pièce qu’«elle aurait aimé voir quand elle était au collège » annonce la plaquette de présentation. En décembre, les élèves ont donc assisté, sur temps scolaire, à la pièce. Puis deux professionnelles proches de la metteuse en scène, la scénographe, Shehrazad Dermé et la comédienne Maëva Husband (qui ont participé au plateau de Carte noire , autre pièce de Rébecca Chaillon) ont mené trois ateliers de trois heures avec les élèves de la classe. Parmi les nombreux ateliers qu’elles ont animé dans les établissements, c’était le seul en lycée professionnel. Pour Shérhazad : « une classe avec uniquement des garçons, cela ne nous était pas arrivé. Je me demandais comment cela allait se passer. J’étais très curieuse de l’étalier de mécanique auto . Pour moi, c’est le lieu de mon mécanicien. Ça me fascine. Pour eux c’est un lieu de routine. Je me suis dit qu’ils avaient peut-être plus à m’apprendre ». Pour Maëva, c’est aussi l’énergie du groupe qui prime. «Je n’avais pas d’attente particulières car je me dis qu’on attend de voir comment le groupe fonctionne, de voir l’énergie de groupe . On a plein d’outils dans notre sacs, on propose des choses mais on fonctionne avec comment ils sont et ce qu’ils veulent. Je n’avais pas d’attente particulière du lycée professionnel. Cela ne me traverse pas l’esprit Dans les énergies de groupe il y en a toujours qui sont partants, et d’autres plus timides ». Pour Shehrazad, « Parfois ça se retourne. Le premier jour je me suis dit Ha ouai ! car je voyais des garçons en apparence contre le projet. Et puis au final aujourd’hui ils étaient à fond. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils sont en pro ou pas. Mais le début d’un projet est toujours un peu difficile. Certains sont curieux de qui on est, de ce qu ‘on fait. C’est inhabituel pour eux. La plupart, n’ont pas de liens avec le théâtre ou la performance».
Il y a donc un certain défi à relever pour faire adhérer les élèves à un projet assez éloigné de leur préoccupations habituelles. Pour Maëva : « on intervient en tant qu’ artiste. Faire la discipline quand c’est nécéssaire c’est O.K ! Mais j’ai envie de les sensibiliser à un autre rapport. J’ai envie d’un rapport d’égal à égal, d’humain à humain. J’ai envie de leur faire prendre part à leur propre responsabilité. Je viens en tant qu’artiste. Du coup, je partage : « tu veux pas le faire ? je t’explique pourquoi ça serait chouette. Tu veux pas le faire ? Mais tu t’ auto punies ». Je veux aller les chercher ». Mais il y a un moment « il faut qu’ils aillent chercher eux même » poursuit Shehrazad. Pour elle , l’expérience fut positive même si toutes deux ont trouvé assez difficile la séance d’introspection durant laquelle les élèves devaient lire une liste de 50 tirets d’éléments qui les caractérisaient (comme des paysages imaginés, des ingrédients consommés, des chiffres…). « C’était dur au niveau de l’écoute. Ils avaient du mal à lire leur liste. Certains n’étaient pas là à la séance de préparation de la liste. Tout était un peu mou. Maëva a lancé ses 50 tirets. Elle a super bien lu. Puis il y en a un qui n’avait pas fait sa liste et qui a dit à un autre « Lis ta liste, fait pas ta meuf » ! J’ai été choquée. J’ai dit «quoi ? ». On a vu que dans la classe des groupes étaient formés. C’était clair. On a vu aussi qu’ils avaient un manque de respect entre eux. Je ne n’ai pas envie de crier, de hausser la voix. J’ai senti qu’il me manquait des outils ». Pour les deux professionnelles, cette expérience était aussi un outil d’émancipation : « on leur propose des choses qui les ramènent à leur responsabilité propre et à leur autonomie. Qu’ils puissent prendre conscience qu’on leur propose une expérience et à eux d’y aller ou pas
Quand on les a questionnés « si tu aimes la méca ou pas, et on fait comment sinon ? » ta réponse sera forcément juste. Il faut, affirmer qui tu es. Parfois c’est comme s’ils s’empêchaient de grandir , de se démarquer, de parler deux, de s’ouvrir . Comme s’il fallait rester en bas, les pieds sur terre dans leur assignation » disent-elles dans des propos croisés.
Du côté de l’enseignant de mécanique auto, Emmanuel Jouet qui encadrait les séances, ce projet n’était pas forcément gagné d’avance. « Pour moi les élèves allaient aller voir une pièce et faire du théâtre, de l’expression de soi ou mettre en scène une demande d’embauche ou d’un métier. Je n’avais pas la vision du projet. Quand nous avons regardé la petite bande annonce de la pièce, je me suis rendu compte que ce n’était pas du tout cela. Je n’y allais pas du tout tranquille ». Et pourtant il a trouvé le projet amplement réussi face à une classe qu’il décrit comme plus difficile que les autres années. « Cette année je suis démuni face à des élèves démotivés. C’est mon travail de les motiver mais cette année c’est difficile. Je passe mon temps à réprimander, faire le forcing… Je trouve incroyable la relation des deux intervenantes avec nos élèves parce que finalement elles arrivaient à avoir le silence sans mimer notre position d’ enseignant. Elles sont là, sans les moyens de pression, les heures de colle, l’appel aux parents… Elles arrivaient justement à les diriger même si c’ était fatiguant. Shehrazad a dit qu’elle n’avait plus de voix. Mais j’ai trouvé incroyable la force de frappe qu’elles avaient ». De son point de vue, le projet a frappé les esprits sur plusieurs plans : « dans l’exercice d’introspection de soi-même et prendre du recul sur soi. Cela amène à la maturité . Se demander c’est quoi son but ? Même au-delà de la mécanique. Pour tous les élèves qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire. Elles ont aussi parlé des cascadeurs, des gens qui préparaient des véhicules pour faire des cascades. Des mécaniciens qui préparent les parebrises qui tombent. Cela fait réfléchir qu’il n’y a pas que le métier de garagiste. C’est ce qu’on essaye de faire. Quand c’est quelqu’un de l’extérieur c’est plus facile . Dans notre formation il manque aussi d’aller voir d’autres métiers liés à la mécanique. Il y avait aussi la performance qui était collée à l’automobile. J’étais très étonné. Un groupe avait un truc super ou chacun aidait à pousser la voiture de l’autre. C’est ce qu’il leur manque. Je leur avais donné des pistes . Tu te nourris mais tu te nourris aussi de l’expérience des autres. Idée aussi que qui veut aller loin ménage sa monture. C’est ça qui leur manque finalement. Il leur manque cette vision de la culture de l’esprit . De cultiver son jardin intérieur. Ça fait bateau dit comme cela. Mais ils sont enfermés dans un truc, les jeux vidéos, les réseaux sociaux. Finalement ils ne voient pas les choses immatérielles de la vie ».
Alors faire du théâtre en classe pour travailler l’oralité et les grands textes, certes, mais avec un accompagnement de professionnel·les aguerri·es et engagé·es, le théâtre révèle un véritable potentiel émancipateur. Ne possédant pas la liste exhaustive des grands textes qui répondent aux critères présidentiels, nous ne savons pas si nous avons montré à nos élèves un grand texte mais nous sommes certains de leur avoir fait vivre une grande expérience !
Caroline Renson