À l’école des hirondelles, petite maternelle de deux classe d’un petit village de Picardie, on cultive les « colibris ». Et pour ce faire, Aurélie Houssaye et sa collègue Magali Placard-Fleys, les deux enseignantes, ont fait sauter les frontières entre les élèves. Pas de façon symbolique. Elles ont supprimé les cloisons entre les deux classes de leur petite école de Feigneux. Et les effets sont bénéfiques assurent les professeures des écoles.
« Le déclic, c’était il y a quatre ans » nous raconte Aurélie Houssaye. « Lors d’une visite d’inspection, l’inspectrice a très rapidement vu que nous décloisonnions quotidiennement, ma collègue et moi. Elle nous a conseillé d’aller voir du côté des classes mutualisées. C’était un mardi. Jeudi matin, après avoir lu des articles sur le dispositif et avoir discuté en équipe, la cloison entre ma classe et celle de ma collègue tombait. Alors que nous étions deux enseignantes chacune dans une salle de classe avec une Atsem et une petite vingtaine d’élèves, on ne faisait plus qu’une grande classe de PS-MS-GS avec une quarantaine d’élèves, deux Atsem et deux enseignantes pour tous, tout le temps ».
Dans l’école plus de portes et des espaces différenciés par couleurs selon le domaine d’apprentissage. « Le matériel et tout ce qui se réfère à un domaine est symbolisé par la même couleur », précise l’enseignante.
Pour les deux enseignantes, l’intérêt pédagogique est multiple, cet aménagement permet de favoriser la coopération, la collaboration et la co-construction. « Entre adultes puisque les regards et les points de vue de chacune – les deux enseignantes et les deux Astem – permettent d’augmenter les entrées, les analyses, les remédiations et les possibles pour construire les apprentissages et s’occuper des élèves. En tant qu’enseignantes, cet aménagement nous permet aussi d’échanger en temps réel sur nos pratiques et de rebondir rapidement, nous nous complétons en nous appuyant sur des critiques constructives et bienveillantes de chacune. Nous savons nous remettre en question ».
Et entre élève aussi les effets sont notables, bien évidemment. « Les échanges entre pairs permettent de réguler la vie de classe, de motiver chacun, de donner du sens aux apprentissages et de se dépasser ensemble ». « On apprend seul mais jamais sans les autres » nous dit Aurélie Houssaye, citant Philippe Carré. « Les élèves sont ravis de partager avec tous, fiers de leurs progrès et de leurs échanges, « ils se voient grandir ». Le climat de classe est très agréable et le niveau sonore très appréciable. L’autonomie et la régulation entre pairs est privilégiée et le message clair pratiqué spontanément. Les grands expliquent aux plus jeunes, les plus jeunes apprennent des grands, chacun peut aller à son rythme » précise l’enseignante.
Le rythme des apprentissages est aussi plus serein estiment les enseignantes. « Nous en mesurons les effets au quotidien car nous constatons le bien-être de chacun et le bonheur dans l’école. Les élèves viennent avec le sourire et les grands y ont des fous-rire ».
Quant aux familles, cette organisation les emballe. « Elles nous ont fait confiance, le dialogue est toujours ouvert et l’école l’est aussi. Les relations sont très bonnes ».
Cet aménagement colle bien avec la personnalité professionnelle d’Aurélie Houssaye. Si elle reconnait s’être lancée dans le métier en pensant que l’enseignement consistait à dire « exercice 2 page 12 », depuis son geste professionnel a beaucoup bougé. « En formation après le concours, et en poste sur le terrain, au fil des rencontres avec les élèves, les collègues et les formateurs, j’ai été happée par la pédagogie. Je me suis intéressée aux innovations et j’ai cherché des dispositifs permettant de faire sens pour donner à chaque élève-citoyen la possibilité de construire avec ses pairs ses apprentissages ». Et l’école elle connait, et tous les niveaux, du CM2 à la petite section. « J’ai exercé 10 ans dans une grande école en débutant avec des CM puis en cycle 2 et en cycle 1. Cette « régression » m’a permis de voir les bases et les ficelles dans la construction des apprentissages tout en connaissant les attentes et objectifs des niveaux supérieurs. Puis quatre années de ZIL (ndlr : enseignante remplaçante) m’ont fait découvrir des publics et des méthodes riches et variées ». Il y a six ans, l’enseignante pose ses bagages au sein de l’école rurale « Hirondelles », « dans un village connu pour son dynamisme et son appétence culturel ».
Et lorsqu’on les interroge sur pourquoi l’utilisation du terme de colibri pour se désigner et désigner leur école, Aurélie Houssaye et Magali Placard-Fleys nous raconte cette petite légende amérindienne.
« Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt.
Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre qui s’étendait sous leurs yeux.
Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu.
Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation qui lui semblait dérisoire, lui dit :
« Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part » »
Lilia Ben Hamouda