« On ne peut laisser croire que la simple adoption de l’intelligence artificielle, de la pédagogie explicite, de la « Méthode de Singapour » ainsi que la labellisation des manuels permettront, comme par magie, d’« élever le niveau des élèves » » écrit la Commission Permanente des IREM sur l’Enseignement Élémentaire dans un article publié sur son site. « Répondre à cet objectif passe avant tout par une formation professionnelle approfondie, conséquente et ambitieuse… comme à Singapour ! Il est regrettable que depuis plusieurs années ce volet ait été négligé et qu’il n’apparaisse pas comme une priorité dans ce dossier de presse ».
Dans l’article publié sur son site, le collectif – constitué de chercheurs et chercheuses chargés de la formation en mathématiques et didactique des mathématiques des professeurs des écoles – revient sur différents éléments du « choc des savoirs » annoncé en grande pompe par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale : la pédagogie explicite, la « méthode de Singapour », la labellisation des manuels et l’intelligence artificielle.
Enseignement explicite et explicitation
« En ce qui concerne l’enseignement des mathématiques, l’enseignement explicite a des effets positifs plus faibles sur les apprentissages des élèves que celui de l’enseignement par résolution de problèmes » écrit la Copirelem qui rappelle que « l’effet de l’enseignement explicite pour les mathématiques est plus faible que celui de l’enseignement explicite dans d’autres disciplines ». Le collectif, s’il nuance la portée de cet enseignement, rappelle qu’il y a un besoin de « plus d’explicitation dans l’enseignement des mathématiques au primaire » (donner une meilleure visibilité des enjeux de savoirs dans les ressources ou manuels proposés aux enseignants et davantage de formation des enseignants). « Face à des questions d’enseignement indéniablement complexes, qui pourraient faire l’objet de propositions nuancées, pourquoi faire le choix radical de porter au pinacle la stratégie d’enseignement explicite et de renier ce qui a structuré les programmes de l’enseignement scolaire depuis plus de 30 ans ? » interroge-t-il.
Méthode de Singapour
Loin d’être une méthode miracle pour remédier aux difficultés des élèves en mathématiques, la méthode de Singapour est le « fruit d’efforts cohérents entrepris depuis plusieurs décennies au sein du système éducatif », écrit la Copirelem qui précise que « la formation continue est centrée sur la didactique disciplinaire et reliée à la pratique de classe, importante et régulière (100h par an contre 18h en France), au sein de collectifs entre professeurs au cœur d’une même école ou même entre écoles ». « Ce sont évidemment des conditions très favorables. Mais on peut aussi citer la reconnaissance par la société singapourienne du métier de professeur, qui est d’ailleurs associée à un salaire important », ajoute la commission.
« Ne faudrait-il pas maintenir la place pour un enseignement par la résolution de problèmes afin de former les élèves à faire preuve de ces initiatives ? Nous ne négligeons pas l’importance de l’entraînement de l’automatisation dans l’apprentissage des mathématiques, mais nous interrogeons le modèle d’enseignement basé sur une « pratique guidée » où l’enseignant montre ce qui est à faire, sans que chaque élève ait pu avoir la responsabilité individuelle de résolution d’une tâche de découverte et où les élèves appliquent ensuite ce qui a été expliqué dans des exercices similaires ».
Labélisation des manuels
Si le collectif trouve intéressant « d’évaluer la qualité des manuels existants (livres de l’élève et guides de l’enseignant associés) sans aller jusqu’à une labellisation qui aboutirait à imposer un « manuel ministériel », il rappelle la nécessité de « prendre en compte des critères didactiques permettant d’évaluer la qualité des manuels ». S’appuyant sur des recherches en didactique des mathématiques, la Copirelem évoque « trois critères permettant de révéler la « qualité didactique » de manuels : la validité mathématique des connaissances exposées, la pertinence des tâches choisies par rapport au savoir enseigné, la cohérence entre les connaissances et techniques exposées et les tâches proposées ». Et si « un manuel de « bonne qualité didactique » favorise a priori l’élaboration et la mise en œuvre de séances d’enseignement conduisant aux apprentissages visés », la diversité des pratiques enseignantes rend difficile, « voire impossible », l’étude des effets d’un manuel sur les apprentissages, souligne-t-elle en relevant l’inexistence d’études en France ayant tenté d’analyser ces effets. Le collectif s’interroge aussi sur la possibilité matérielle d’une telle mesure : « comment est-il matériellement possible que de nouveaux programmes soient rédigés, puisque de nouveaux manuels conformes à ces programmes soient élaborés de manière réfléchie, puis évalués (voire labellisés) dans un calendrier aussi resserré ? ».
Lilia Ben Hamouda