Christian Sauce, enseignant en lycée professionnel pendant plus de trente ans, se voit comme un « lanceur d’alerte ». Depuis plusieurs années, il sensibilise les enseignants sur ce qui se joue dans l’enseignement professionnel et l’apprentissage. Aujourd’hui, il livre aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique son analyse sur les deux dernières publications de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEEP) sur les taux d’insertion des lycéens professionnels et des apprentis, de niveau CAP au BTS, 6 mois après leur sortie d’études en 2022.
Devenir des lycéens professionnels
Les lycéens sont fort nombreux à poursuivre leurs études, particulièrement en Bac Pro (56 %). Ce chiffre est à retenir pour voir l’influence qu’auront les gratifications des stages en terminale Bac Pro ! Cela pourrait détourner des études plus longues un certain nombre de lycéens professionnels. Or, plus le diplôme obtenu est élevé, plus l’insertion professionnelle est forte : 17 points entre les titulaires d’un Bac Pro et les diplômés BTS ! Ne serait-on pas en train de sacrifier un certain nombre de nos adolescents et jeunes adultes sur l’autel de l’employabilité et de la rentabilité immédiates.
52 % des lycéens professionnels poursuivent leurs études, soit 14 % de plus que les apprentis. Les conclusions sur leur insertion professionnelle doivent en tenir compte : seuls un quart des sortants de LP ne sont donc ni en études ni en emploi 6 mois après leur sortie du système scolaire !
Une insertion professionnelle des apprentis en trompe l’œil !
Les résultats bruts montrent une meilleure insertion professionnelle des apprentis par rapport aux lycéens professionnels : + 19 %. Mais en réalité, l’insertion professionnelle des apprentis est très proche de celle des élèves de lycées professionnels puisqu’il faut la calculer sur les 62 % de sortants ! 20 % des apprentis ne sont ni en études ni en emploi 6 mois après leur sortie du système scolaire. L’écart est donc beaucoup moins significatif !
Par ailleurs, il ne faut surtout pas oublier que cette insertion est calculée 6 mois après la fin des études et l’obtention du diplôme. Or, nombreux sont les apprentis qui ne vont pas au bout du cursus de formation, soit par démission soit par licenciement. L’organisme régulateur de l’apprentissage, France compétences, est très clair à ce sujet : “Les données disponibles font état de plus de 31 % des contrats d’apprentissage interrompus avant leur terme. Ce taux de rupture élevé n’implique pas nécessairement l’abandon d’études: à un horizon de six mois après une rupture de contrat, 21 % des jeunes avaient retrouvé un nouveau contrat.” En résumé, 25 % des entrants en apprentissage ne terminent jamais leur formation par apprentissage, soit la bagatelle de 250.000 jeunes ! Il apparaît évident que l’insertion professionnelle soit (un peu) plus aisée pour les apprentis qui ont survécu à ce tri que pour les lycéens professionnels!
L’insertion des lycéens professionnels est très loin de ce que ne cesse de nous montrer ceux qui veulent à tout prix remplacer l’enseignement professionnel sous statut scolaire par l’apprentissage patronal. D’autant plus qu’il serait intéressant de voir les résultats de cet enseignement professionnel s’il bénéficiait des 20 milliards d’argent public de l’apprentissage (moins de 5 milliards en 2022 pour les LP). Les bénéfices d’une formation ne se calcule pas après 6 mois mais sur la durée d’une vie !
Christian Sauce