Les résultats de Pisa 2022 sont sans appel : si la France reste dans la moyenne de l’OCDE, elle se distingue par la forte baisse des performances des élèves en mathématiques, la plus importante depuis la première étude Pisa. « Cette baisse est aussi observée en compréhension de l’écrit. Aujourd’hui, les pays les plus performants en maths sont la Corée, l’Estonie, le Japon et la Suisse », expliquent Cécile Allard, didacticiennen et Maira Mamede, sociologue. Elles mettent ces résultats au regard des annonces du ministre.
Cette édition de PISA, tant attendue, est la première après la crise sanitaire. Elle objective ainsi l’impact de la pandémie. La baisse des résultats des élèves français paraît d’autant plus paradoxale que la France a été l’un des pays ayant un temps de fermeture des établissements des plus courts (seulement 36% des élèves déclarent que leur établissement est resté fermé plus de 3 mois, la moyenne de l’OCDE étant de 51%). Notons que les performances des élèves chinois et coréens n’ont pas été impactées par la crise du Covid. En effet, les pays d’Asie continuent d’afficher un grand nombre d’élèves très performants en mathématiques (40.5% Singapour ou 22.9% en Corée contre 7.4% en France). Ces différences servent d’argument à des propositions simplistes, comme dans la lettre du Ministre aux personnels de l’éducation le 5 décembre, mettant en avant le fameux manuel dit « de Singapour ». Il semblerait cependant que la crise sanitaire n’explique pas, à elle seule, les variations des résultats.
Nous voulons dans cette tribune rendre davantage compte de ce que Pisa nous dit de l’état de notre institution.
Dans cette édition, Pisa 2022 a soumis un questionnaire auprès des élèves de 15 ans et des chefs d’établissements pour documenter, entre autres, leur relation aux mathématiques, aux sciences et leurs conditions de travail. Dans ce rapport, finalement, ce qui est le plus inquiétant ce ne sont pas les résultats des élèves, mais l’état de dégradation des conditions de travail des personnels de l’éducation d’une part et de l’accueil des élèves d’autre part. Pisa 2022 offre une image très clairement dégradée de notre institution, institution qui a subi de (trop) nombreuses réformes, sans réelle concertation avec les enseignants, et ce depuis 2007.
Nous dressons donc ici quelques caractéristiques du portrait d’une institution en souffrance qui peine à relever certains défis.
La France reste l’un des pays de l’OCDE où les élèves des milieux favorisés ont obtenu des résultats supérieurs de 113 points à ceux des élèves défavorisés – écart moyen de l’OCDE est de 93 points. Il s’agit de l’un des plus importants écarts liés au milieu socio-économique. Remarquons que des écarts bien plus importants sont observés en République Slovaque, en Israël, en Hongrie, en Suisse, en Belgique et en Tchéquie mais qui ne sont pas corrélés si fortement avec le milieu socio-économique. Notons que la Suisse est un pays où les élèves sont très vite orientés dans des groupes proches de groupe de niveau. Ce qui devrait questionner sur les groupes de niveau…
Il n’y a pas d’aggravation mais pas d’amélioration non plus. Dans cette apparente stabilité, les élèves les plus défavorisés ont 10 fois plus de chances que les plus favorisés de se retrouver parmi les moins performants en mathématiques – en moyenne, dans les pays de l’OCDE, cette relation est de 7 fois plus. Les inégalités sociales pèsent davantage sur les performances des élèves en France que dans les autres pays de l’OCDE.
Les inégalités de genre ne sont pas plus élevées en France qu’ailleurs, à l’avantage des filles pour la compréhension et des garçons pour les mathématiques. En revanche, ces écarts de performance s’effacent lorsque le milieu social d’origine est pris en compte. En fait, les sciences font exception à cela : les filles réussissent mieux que les garçons des milieux défavorisés, et les garçons réussissent mieux que les filles des milieux favorisés. Peut-être y a-t-il alors des actions à envisager et à mettre en place, comme réhabiliter les bourses des filles qui s’engagent dans les études scientifiques (bourses qui ont disparu sous la présidence de Hollande).
Si la précarité est importante en France, elle n’est pas nécessairement plus importante qu’ailleurs : 10% des élèves sont dans la grande pauvreté dans notre pays, ce qui est la moyenne de l’OCDE et 8.5 % des élèves de 15 ans ont sauté un repas en France chaque jour – ou presque chaque jour – le dernier mois précèdent le test Pisa (mai 2022). Les raisons de ce plus grand poids de l’origine sociale sont à chercher du côté de l’institution.
Les données PISA sur les résultats des élèves issus de l’immigration plaident également dans le même sens. Ils sont légèrement plus nombreux qu’avant – 16% des élèves en 2022 contre 14% en 2018, mais les écarts observés entre les élèves issus de l’immigration et les autres ne sont pas significatifs dès que l’origine sociale est contrôlée. En effet, la baisse de performance de la France n’est pas influencée par un recul des élèves issus de l’immigration (-18 points sur cette période contre -19 points pour les autochtones).
Bien-être au travail et crise du recrutement
Au-delà des données qui documentent les performances des élèves et à leurs caractéristiques, Pisa 2022 offre également des pistes de réflexions en appui sur les questionnaires destinés aux responsables d’établissement. Nous relevons que 67% des élèves sont scolarisés dans un établissement confronté à un manque de personnel enseignant et que 30% des élèves sont dans des établissements où les enseignants sont considérés par le chef d’établissement comme ayant une formation inadéquate ou insuffisante. C’est une évolution remarquable par rapport à l’édition précédente, où ces proportions étaient respectivement de 17% et de 11%. Le manque de personnel a augmenté de 50% en France, contre 21% en moyenne dans les autres pays de l’OCDE. La crise de l’attractivité du métier enseignant s’invite ainsi dans PISA.
Certes, les salaires des enseignants – moindre que dans la moyenne de l’OCDE – font partie de l’équation. Toutefois, l’attractivité d’un métier ne peut pas être réduite à cela. Ces données sont à mettre en perspective avec une récente note de la DEPP (23.46 de nov 2023) qui montre que seul un tiers des lauréats du Concours de Recrutement des Professeurs des Écoles de 2022 étaient des étudiants INSPE. Pour les autres, il n’y a aucune certitude d’une formation au métier en amont du concours, y compris pour ceux qui l’exerçaient déjà en tant que contractuels. Dans une moindre mesure, la même tendance est perceptible pour le second degré.
Par ailleurs, le climat scolaire est très dégradé – 39% des élèves déclarent que le temps d’apprentissage est réduit, l’enseignant devant attendre que des élèves se calment. Les élèves victimes de violence sont plus nombreux dans les zones rurales (-de 3000 habitants), puis dans les zones défavorisées contre 19% de ceux vivants dans les grandes villes. Ainsi 12% ont déclaré avoir vu un élève avec un couteau ou une arme à feu. Ces chiffres sont, encore une fois, plus élevés que dans la moyenne de l’OCDE, mais aussi plus élevés qu’aux Etats Unis ou qu’au Royaume Uni. Soulignons que les difficultés en termes de ressources humaines concernent également le personnel non enseignant : l’inadéquation ou l’insuffisance de qualification du personnel non enseignant affecte 23% des élèves, selon le personnel de direction.
Il est alors facile de comprendre qu’avec une telle dégradation des conditions de travail au sens large (salariale, encadrement…) les enseignants formés, parfois en minorité dans un établissement, peinent à faire leur travail. Nous comprenons alors que les parents des milieux plus favorisés inscrivent leurs élèves dans le privé. Effectivement, ils obtiennent de meilleurs résultats. Toutefois, après prise en compte des profils socio-économiques, Pisa 2022 montre que l’avantage des établissements privés disparait et les élèves des établissements publics obtiennent des résultats supérieurs à ceux du privés (+21 alors que la moyenne de l’OCDE est 11 points en faveur des établissements publics).
Plusieurs annonces ont été faites, notamment au sujet du redoublement. Là aussi Pisa montre que redoubler n’est une solution qu’à la condition que les élèves aient un vrai encadrement. Comment tenir cette promesse de l’encadrement, alors que nous peinons à recruter des enseignants formés et du personnel non enseignant – Assistant de vie scolaire, assistant d’éducation ! La solution n’est sûrement pas de demander aux professeurs des écoles de venir faire quelques heures au collège, d’autant plus que la crise du recrutement touche également les PE, ni même de parquer les élèves en difficultés dans des groupes de niveaux – qui les encadrera, avec quelles conditions de travail, quelle expertise, quelle formation ? Redoubler a un coût, ne serait-il pas plus efficace d’utiliser cet argent pour accompagner les élèves les plus fragiles ? Ou offrir une véritable formation continue sous la forme de stage long ?
Sur les questions de climat scolaire et sur les inégalités scolaires, ce n’est pas un uniforme qui empêchera les élèves de sortir leur portable en cours, d’agresser verbalement des camarades ou leurs enseignants en classe ou hors la classe. La présence d’un personnel non enseignant, qualifié, est là aussi essentielle et fondamentale.
Sur la question du désamour des mathématiques et des sciences, ce n’est évidemment pas en faisant des dictées qui parlent de mathématiques (Cf article de l’écho) que pourront être réduites les inégalités ou que le vivier des élèves dans les filières scientifiques retrouvera l’envergure et la qualité dont notre société a besoin, et ce n’est pas en utilisant un manuel érigé en méthode miraculeuse que la crise qui touche l’Ecole prendra fin. L’ensemble du monde scientifique et économique s’est mobilisé pour pointer le désastre de la réforme du lycée (cf. communiqués et publications du Collectif Maths-Sciences, tribune du monde)…
Le problème de société qui nous touche est important, profondément ancré et s’accélère, en atteste Pisa 2022. Penser qu’un « bon manuel », un uniforme, des heures de maths en plus (par un enseignant non formé) sont des « bons » ingrédients, c’est clairement vouloir participer à la fin de l’école Publique.
Cécile Allard et Maira Mamede
cecile.allard@u-pec.fr, MCF en didactiques des mathématiques, LDAR, Upec
maira.mamede@u-pec.fr, MCF en sociologie, Circeft-Escol, Upec