Créée en septembre 2022 par la Conférence des présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale, la Délégation aux droits des enfants vient de publier le rapport d’une mission sur l’instruction des enfants en situation de handicap. Destiné à informer la représentation nationale, ce rapport présente une étude de la question suivie de 35 recommandations. Il est autant intéressant par ce qu’il met en lumière que par ce qu’il passe sous silence.
Un rapport franco-français
Juste après la Conférence nationale du handicap d’avril dernier, la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale a confié le 3 mai une mission d’information à deux de ses membres sur l’instruction des enfants en situation de handicap. Servane Hugues (Renaissance, professeure des écoles de profession) et Alexandre Portier (LR, professeur de philosophie) publient leur rapport ce 14 novembre 2023. Il comporte trois parties : un rappel des fondements de la scolarisation inclusive depuis la loi handicap de 2005, une approche critique de la mise en œuvre de ce droit, et la présentation de lignes de force pour « une autre scolarisation inclusive ».
Les rapporteurs font évidemment référence à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cela s’impose puisque du point de vue juridique et politique, c’est elle qui pose encore aujourd’hui les fondements de la scolarisation inclusive. Les rédacteurs évoquent aussi la précédente loi handicap de 1975, puis la loi pour une école de la confiance de juillet 2019 (qui a institué l’organisation de l’intégralité du réseau scolaire en PIAL (pôles inclusifs d’accompagnement localisés). On s’étonnera de l’absence d’autres références tout aussi importantes : rien sur les références internationales pourtant signées par la France (Déclaration de Salamanque, 1994 ; Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, 2006 ; Déclaration de Lisbonne de l’UE, 2007), et pas de mention de la loi de juillet 2013 de refondation de l’école de la République qui introduisit l’inclusion scolaire dans le code de l’éducation et le principe de la formation des enseignants aux besoins éducatifs particuliers pour que l’école de la République soit inclusive.
En fait, il y a dans ce rapport un tropisme franco-français et politique qui peut étonner. En effet, les auteurs reconnaissent qu’il existe « une approche française de la scolarisation inclusive originale ». Mais ils passent sous silence les appréciations sévères sur ce modèle par les instances de l’ONU chargées de suivre l’application de la Convention de 2006 dans les pays signataires. Loin d’être « pleinement inclusive » comme le prétendait le célèbre ministre Jean-Michel Blanquer, l’école française conserve une forte tendance à externaliser la prise en charge scolaire des élèves handicapés présentant des troubles du neuro-développement (dont l’autisme) ou psychiques et des élèves présentant des troubles sensoriels. Si le nombre d’élèves en situation de handicap inscrits dans les écoles, les collèges et les lycées a considérablement augmenté depuis 2005, les scolarisations partielles, voire ségrégatives en dehors ou dans les murs de l’école, sont encore très nombreuses.
Une critique de l’état des lieux
Le rapport présente néanmoins une vision critique de l’état des lieux qui ne manque pas de pertinence. Les auteurs ont eu le mérite de consulter de très nombreux acteurs concernés par la scolarisation des enfants en situation de handicap. Ils les ont écoutés avec sérieux. Ce faisant, ils constatent avec eux le manque de lisibilité des très nombreux dispositifs mis en place de manière cumulative au cours des années dans lesquels seuls les spécialistes s’y retrouvent. Ils déplorent aussi des conditions d’accueil insuffisantes dans nos établissements. Ils observent le manque patent de formation à l’inclusion des professeurs et l’écueil qui a consisté à faire des AESH, peu formés et rémunérés, le pilier de la scolarisation inclusive.
Les trente-cinq propositions qui concluent le rapport ont pour la grande majorité une légitimité évidente : avoir de meilleurs outils d’évaluation de la situation et des dispositifs, simplifier les démarches, rendre effectifs les droits, améliorer les conditions de travail des acteurs de l’école inclusive (notamment sur la formation), relancer le chantier de l’accessibilité qui a été peu investi, ouvrir l’école aux soins. On remarque avec une certaine malice la recommandation 26 demandant la revitalisation des RASED qui furent plus que décimés sous la présidence Sarkozy.
Confusions
Néanmoins, on peut s’étonner de certains choix qui auraient mérité d’être élucidés. Par exemple, cette figure de style qui consiste à réduire la question de l’enseignement scolaire au mot « instruction » consistant en une « transmission de connaissances et à leur évaluation ». Or la didactique, surtout quand il s’agit de rendre accessibles les apprentissages visés, ne peut se limiter à la seule transmission de connaissances suivie d’une évaluation. On s’étonnera aussi de voir que dans nombre de paragraphes de ce rapport, les rédacteurs confondent encore « handicap » et « troubles », semblant ignorer tous les travaux internationaux sur cette distinction pourtant fondamentale pour la compréhension et le traitement de ces questions. On regrettera aussi que n’ait pas été explorée la diversité des troubles et de leur expression en termes de besoins éducatifs particuliers.
On reste encore dans une approche catégorielle du handicap qui tourne le dos à une approche vraiment inclusive. Or l’école inclusive s’intéresse à la prise en charge des besoins éducatifs particuliers, quels qu’ils soient, chez tous les élèves sans distinction. Ceux des élèves en situation de handicap en font éminemment partie, mais ils ne sont pas les seuls à présenter des besoins éducatifs particuliers qui peuvent être communs à bien d’autres élèves qui ne sont pas pris en charge par la MDPH. Enfin, on s’étonnera de constater que la question du parcours de l’élève soit traitée sans envisager les répercussions pratiques par la préconisation de l’individualisation et des allers-retours entre la classe et le dispositif médicosocial. Pourtant, des études universitaires ont montré les écueils que présentent ces deux dispositions : l’individualisation rompt la dimension psychosociale du processus éducatif (on lui préfèrera les pistes de la personnalisation qui préservent la dimension psychosociale), et le système des allers-retours génère des difficultés supplémentaires pour l’élève qui ne cesse de rattraper vainement ce qu’il a manqué dans la classe et qui finit par ne plus savoir où il se situe.
Rien sur la forme scolaire
Mais surtout, on regrettera que la réflexion sur le cœur nucléaire de la problématique d’une école réellement inclusive n’ait pas été plus investie : à savoir la forme scolaire, la didactique et l’accessibilité de l’enseignement, et enfin les finalités de l’école de la République entre réussite pour tous et élitisme républicain. Pourtant, dans leur introduction, les rapporteurs ont noté avec clairvoyance que « toute réflexion sur la pédagogie ou les pratiques professionnelles afin d’accroître l’inclusion des enfants en situation de handicap est profitable à l’ensemble des élèves ».
Silence sur les PAS
Enfin, un silence marque ce rapport : la prochaine suppression des PIAL au profit de PAS (pôles d’appui à la scolarité) via la loi de finances 2024 adoptée par 49.3. Pourtant, le député Alexandre Portier qui a travaillé en commission sur le fameux article 53 qui porte cet énorme changement paradigmatique en sait bien la portée et les risques. Ce simple silence témoigne des limites d’un rapport pourtant fort pertinent dans son principe. La scolarisation inclusive mobilise des enjeux politiques qui dépassent la simple question technique. Passer ces enjeux sous silence ne permet pas de progresser efficacement.
Dominique Momiron
Le rapport de l’Inspection de 2022