Lors de l’Université d’Automne de la FSU-SNUIpp, Julien Delaye, formateur à l’INSPE de Créteil, philosophe de formation, est revenu sur l’Enseignement Moral et Civique – enseignement au cœur des débats en ce moment. Selon lui, transmettre des principes n’est pas difficile, c’est les faire vivre qui est plus compliqué. Il propose une méthodologie de l’enquête pour « faire – vraiment – vivre les valeurs de la république afin d’apprendre à enquêter et discuter collectivement en classe »
Si les programmes ont changé sous Blanquer, « on est plutôt sur de la peinture qu’un changement de structure » a déclaré Julien Delaye qui est revenu sur les trois finalités de l’EMC dans les textes. « Respecter autrui demande l’appropriation de principes, demande d’acquérir et partager les valeurs de la République que sont la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité », explique-t-il. « Autant les principes se transmettent et cela ne peut être fait de façon descendante, on énonce, on définit, on vérifie que élèves peuvent donner un exemple puis on évalue. Un principe ça s’applique car c’est la règle même si l’on est pas d’accord » ajoute le philosophe. « Autant, le notion de valeur implique autre chose. Transmettre des valeurs n’est efficace que si on les partage, que si on y adhère. Transmettre un principe est facile, faire partager des valeurs est un autre travail – passionnant et difficile et qui jouit de très peu d’accompagnement ». La finalité de construction d’une culture civique revient à se mettre à la place de, avec une éthique de la discussion, avec un travail de compréhension des éventuels conflits de valeurs… « C’est un objectif légitime, ambitieux, oui. Mais comment ? Comment le faire vivre vraiment dans la classe. Ca soulève des questions pédagogique. Comment les élèves vont identifier les conflits de valeurs ? vont-ils pouvoir en discuter de façon apaisée ? Comment les faire adhérer et pas seulement respecter les principes sans enfreindre la liberté de conscience qui est garantie constitutionnellement ? » interroge-t-il.
Faire vivre l’EMC
« C’est difficile, mais les programmes prescrivent des modalités pratiques » développe Julien Delaye qui rappelle que déjà sous Jules Ferry les enseignants étaient invités à travailler à partir de situations concrètes, l’idée étant de ne pas limiter EMC à une transmission de principe. « Mais comment relier les principes aux situations concrètes ? Il faut articuler des savoirs et des pratiques et non pas les juxtaposer. Articuler, c’est l’idée que les savoirs vont générer des pratiques et que ces dernières valident, permettent d’acquérir de nouvelles pratiques ». La coopération, la mutualisation et la confrontation permettent cette articulation selon lui. « Et si l’école fonctionne en cohérence avec ces mots, on pourra alors relier principes et situations concrètes. Est-ce que l’enseignant est attentif à la liberté, l’égalité, est ce que le climat de classe est fraternel, est ce qu’on pratique l’entraide ? On peut faire un cours sur ces mots, lire des textes…si ce n’est pas mis en place dans la classe, alors c’est une coquille vide » assène-t-il.
L’enquête pour générer des discussions
Pour Julien Delaye, la discussion réglée et le débat argumenté ont eu une place de premier choix dans l’EMC, même s’il leur préfère l’enquête. » Faire de la discussion une séquence d’apprentissage est très difficile. Est-ce que les compétences visées sont logiques ? Comment instituer la discussion comme un moment pédagogique porteur de savoirs ? Le débat argumenté est fait pour créer l’affrontement, le clivage, c’est ce qui lui donne le piment. À force de vouloir confronter les points de vue et à force d’insister sur les désaccords, comment va-t-on créer du commun ? » c’est la raison pour laquelle le philosophe préfère parler d’enquête. « Ce modèle est plus intéressant pour générer des discussions ».
« L’enquête est une démarche collective de recherche de la vérité, qui porte sur une question – morale, politique, philosophique – et qui intègre dans sa démarche la discussion comme une modalité de travail parmi d’autres » explique Julien Delaye qui présente le modèle didactique de l’enquête. « Une démarche collective car on ne peut pas faire une enquête tout seul. Une démarche progressive aussi car il fait commencer doucement et accepter que des moments seraient décevants ». Selon lui, la discussion est une démarche possible car elle permet d’habituer les élèves à travailler en communauté de recherche – « à se contredire et valider les savoirs entre eux ».
Lilia Ben Hamouda