Des pamphlets surmédiatisés (« La fabrique du crétin digital », « Faites-les lire ! ») ont relancé la guerre entre les livres et les écrans : et si le numérique favorisait au contraire les pratiques de lecture ? C’est ce que démontre le projet « Dans les coulisses de l’écriture d’un roman » que nous présente Alexandra Gauthier, professeure-documentaliste dans l’académie de Besançon. Mené dans un collège Rep+, le travail consiste à lire à lire un roman jeunesse en cours d’écriture en investissant le réseau social Instagram pour partager des productions écrites, sonores ou plastiques et pour interagir avec l’autrice. Le projet, motivant et valorisant, développe bien des compétences. Pour Alexandra Gauthier, « ne parler que des risques liés au numérique » est « une vision complètement biaisée qui ne fait que renforcer la méfiance des adolescents ». « Proposer des utilisations pédagogiques et montrer la plus-value des réseaux sociaux » s’avère « nettement plus efficace et cohérent » que tous les discours verticaux et stéréotypes anxiogènes.
Le projet fait participer plusieurs partenaires : comment s’est-il construit ?
La participation au projet « Dans les coulisses de l’écriture d’un roman » », en partenariat avec l’autrice Sandrine Beau, fut le point de départ de cette séquence. L’animation consiste à lire un roman jeunesse en cours d’écriture, interagir avec l’auteur et lui communiquer nos remarques sur l’histoire, les personnages, un événement du roman… Le partenariat avec ma collègue de français s’est donc imposé avec évidence. Afin de nourrir nos échanges avec l’autrice et de susciter davantage de motivation chez nos élèves parfois en grande difficulté de lecture, nous nous sommes engagées avec ma collègue de français à accompagner nos remarques sur les chapitres lus, d’une production, écrite, sonore ou plastique. L’enseignante d’arts-plastiques a donc intégré le projet sur cette production que nous souhaitions visuelle.
Une séance EMI permet de travailler plus spécifiquement autour du réseau Instagram : avec quels contenus et modalités de travail ?
La première séance du projet consacrée au réseau social Instagram m’a permis d’aborder la notion d’identité numérique et les fonctionnalités spécifiques à ce réseau social. C’est une séance que je mène avec toutes les élèves de 5ème habituellement : j’ai pu ici profiter d’un projet concret afin d’ancrer les connaissances apportées aux élèves dans le réel.
Le projet vise aussi à l’appropriation active et créative d’un roman de Sandrine Beau : avec quelles consignes, quels dispositifs et quel accompagnement ?
Nous exerçons en collège Rep +. Nos élèves ont souvent beaucoup de mal à se lancer dans une activité de lecture, encore moins dans une œuvre intégrale. Chaque semaine, leur professeur de français prenait donc une heure de français pour lire à haute voix les chapitres envoyés par Sandrine Beau. Cela a été chronophage mais a permis de reprendre avec eux les incompréhensions au niveau du vocabulaire, de les réengager dans la lecture à chaque envoi. Nous ne les avons pas laissés seul face au texte. Ensuite, la production était généralement réalisée en une heure également, toujours sur le cours de français, ou en arts-plastiques par exemple en fonction de la production finale. Nous avons réalisé des choses assez variées : enregistrements d’extraits lus par les élèves, portraits des personnages sous forme d’infographies, imaginations de suites possibles au dernier chapitre envoyé… C’est ce qui a fait la richesse du projet et nous a permis de garder les élèves actifs jusqu’au bout !
Comment la publication des productions sur Instagram a-t-elle été gérée ?
Les créations plastiques et la publication sur le réseau social se sont enchaînées sur 2 heures, ce qui ajouté du piment au projet ! Les élèves devaient impérativement achever leur travail en un temps limité. Je me suis connectée au compte classe sur Instagram et ai projeté mon écran sur le vidéoprojecteur au CDI afin que chacun puisse visualiser en direct les publications. Les élèves, répartis en groupe, avaient pour consigne de prendre en photo puis de publier sur Instagram leur réalisation avec une tablette numérique.
Des interactions ont pu se nouer sur Instagram avec l’autrice : quels vous en semblent les intérêts ?
En premier lieu : susciter la motivation chez nos élèves ! Ils étaient ravis de lire les commentaires de Sandrine Beau et un peu impressionnés je crois ! Ils se sont sentis très valorisés par le fait qu’elle prenne gentiment le temps de commenter leurs publications.
Par ailleurs, cela nous a permis d’insister sur les règles de communication, de respect sur les réseaux et faire prendre conscience à nos élèves que celles-ci devaient coïncider avec celles de la vie réelle, même si le numérique apporte une distance physique.
Quelles compétences et quelles réflexions le projet vous semble-t-il avoir fortifiées chez les élèves ?
Plusieurs compétences ont pu être travaillées dans le cadre de ce projet, en particulier grâce à l’interdisciplinarité. Les compétences en lecture évidemment. Egalement d’écriture car nous avons souvent demandé aux élèves de petits travaux de rédaction pour les productions ainsi que le travail sur l’oral parfois. Nous nous sommes appuyés sur ce projet pour travailler des compétences propres à notre discipline ; de ce fait, nous n’avons pas l’impression d’avoir « perdu » notre temps, car chaque séance était finalement intégrée à une progression pédagogique globale.
L’intérêt de ce projet réside aussi dans le développement des compétences collaboratives, de respect et d’écoute des autres au profit d’une production commune. Toutes les réalisations résultaient en effet d’un travail en groupe.
Le travail mené prend le parti de ne pas se contenter d’un discours vertical sur « les dangers des réseaux sociaux » : en quoi vous semble-t-il pertinent que l’Ecole accompagne les élèves sur ces territoires pour les aider à mieux les habiter ?
Sensibiliser à l’utilisation des réseaux sociaux fait partie de mes missions en tant que professeure-documentaliste. A l’heure actuelle, il est évident que nous ne pouvons pas aborder la question avec nos élèves de façon frontale, en nous contentant de ne parler que des risques liés au numérique. C’est une vision complètement biaisée, et qui ne fait que renforcer la méfiance des adolescents face à un discours trop moralisateur sur des outils que nous utilisons tous. Proposer des utilisations pédagogiques et montrer la plus-value des réseaux sociaux me semble nettement plus efficace et cohérent. C’est ce qui leur permettra de devenir des utilisateurs et citoyens éclairés du 21ème siècle.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le projet sur le site Documentation de l’académie de Besançon
Le projet sur le réseau Instagram