Au lycée professionnel, les enseignements diffèrent de la voie générale par leur bivalence en matières générales (Maths-sciences et Lettres-Histoire) mais aussi par l’apport de matières dites professionnelles. Cet entretien avec Sami Lamamria , ingénieur de formation et enseignant en Prévention Santé Environnement ( P.S.E) démontre que cette discipline ne déroge pas à une certaine conception humaniste qui prévalait après-guerre dans les institutions précurseures.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé à enseigner la Prévention Santé Environnement ( P.S.E) en 2011 suite à une recommandation de mon IPR de biotechnologie, génie biologie qui m’a orientée vars la PSE car à l’origine j’avais été recruté par l’éducation nationale dans la voie technologique en sciences et technologies de la santé et du social (ST2S) en 2007. J’ai enseigné quatre années sur les académies de Créteil et de Paris puis j’ai basculé en PSE dans la voie pro. Je suis ingénieur agronome de formation. J’ai étudié en Algérie à l’institut national agronomique et vétérinaire puis j’ai intégré un DESS de développement agricole à l’IEDES de Paris 1 Sorbonne, suivi par un D.E.A en aménagement, urbanisme et dynamique des espaces option ruralité, environnement et recomposition des espaces. Formation que je n’ai pas terminée car je n’avais pas de perspective de financement de doctorat. Je me destinais à des professions dans le secteur agricole et la protection des végétaux.
Quel est le contenu des enseignements en Prévention santé environnement (P.S.E) ?
La Prévention santé environnement est proposée aux élèves de la voie professionnelle en Bac pro, en C.A.P et aussi en classe de 3e prépa pro. Avant c’était la discipline vie sociale et professionnelle qui est devenue PSE.
C’est un enseignement général qui englobe divers domaines de la vie quotidienne et professionnelle. Trois thématiques sont abordées en bac pro. L’individu responsable de son capital santé, l’individu responsable dans son environnement et l’individu acteur de la prévention dans son milieu professionnel. En CAP, une quatrième thématique est abordée « l’individu consommateur averti », elle traite les questions de l’assurance, du budget ou des achats
Pour la première thématique, on aborde toutes les questions liées au système de santé : sommeil et biorythmes, activité physique, la sécurité et les pratiques alimentaires, sexualité et contraception et les drogues et les addictions ou bien les stress au quotidien. La deuxième thématique traite les questions de la gestion des ressources naturelles et du développement durable, du bruit ou les risques majeurs. La dernière thématique traite les questions des enjeux de la santé et sécurité au travail, les acteurs de prévention, le suivi de santé au travail ou les risques professionnels. Les risques liés aux produits, aux émissions et aux déchets, mécaniques, liés à l’activité physique et les risques psychosociaux… Toutes ces thématiques sont abordées chaque année dans une progression spiralaire. Elle permet à l’élève d’approfondir les notions abordées tout au long de la formation et en particulier dans le domaine de la prévention des risques professionnels.
En C.A.P ce sont des épreuves en Contrôle Continue en cours de Formation (C.C.F) mais en bac pro c’est une épreuve nationale et ponctuelle. En CAP l’épreuve écrite portant sur au moins 3 des 4 thématiques, précédemment citées, est notée sur 15 points à laquelle s’ajoute la note sur 5 points issues de l’évaluation pratique des gestes de secours. Une formation SST (sauvetage secourisme du travail) est proposée aux élèves inscrits en CAP. Car je suis aussi formateur SST et Prévention des Risques liés à l’Activité Physique ( PRAP), anciennement formateur gestes et postures. J’ai été formé par des collègues éducation nationale et le diplôme est dispensé par l’Institut National de Recherche et de Sécurité ( I.N.R.S.).
Quelles sont les finalités de cet enseignement ?
Elles visent à former des individus responsables de leur santé et de leur sécurité, en lien avec d’autres enseignements. C’est un enseignement qui me semble émancipateur car il sensibilise les jeunes sur des questions de santé, de l’environnement et du milieu professionnel. Il développe le sens critique et autorise des choix éclairés afin d’en devenir acteur responsable. Par exemple comment prendre contact avec des structures de soin, ou d’agir face à des situations de risques ou d’accident., d’être capable de mobiliser les compétences acquises lors de la formation de secourisme.
En C.A.P. la formation S.S.T. est maintenue et obligatoire mais en bac pro elle n’est plus obligatoire. Il appartient au chef d’établissement, en concertation avec le professeur, de former ou pas ( en heures supplémentaires). C’est paradoxal car on parle du manque de formation de la population dans les gestes aux premiers secours, mais on ne donne pas les moyens. Comparé au pays d’Europe du nord, le taux de personnes formées en France est très faible.
Les programmes sont-ils spécifiques aux filières de la voie pro ?
C’est le même programme pour toutes les formations en lycée professionnel mais il appartient au professeur d’adapter les situations abordées aux spécificités des filières. Je ne vais pas parler à des mécaniciens automobiles des risques liés à l’utilisation des produits irritants en coiffure !
J’ai l’intime conviction qu’avec cette formation je contribue modestement à réduire la sinistralité, le taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles qui sont souvent évitables. Quand on sait que les chiffres de sinistralité sont préoccupants chez les jeunes actifs et les apprentis, dans une vie de citoyen ça me parait important de savoir éviter les accidents, être acteur de sa santé et de sa sécurité et de celle des autres. Et aussi de pouvoir intervenir en dispensant les premiers gestes de secours et en participant à la chaine de secours. Je pense par exemple à une anecdote d’un élève dont le tuteur a eu un problème cardiaque sur son lieu de stage. L’élève venait d’être formé aux premiers gestes de secours juste avant de partir en stage. Il a appliqué la démarche correctement pour l’appel des secours. C’était il y a quelques années. Et une autre élève qui a dispensé les premiers gestes de secours sur sa mère qui était en arrêt respiratoire et qui m’a prévenue quelques années qu’elle avait sauvé sa maman selon ses termes. Ou un élève qui m’envoie un message en plein mois d’août en me distant « voilà monsieur, j’ai eu un rapport sexuel non protégé, que dois-je faire » ? Ça témoigne d’un signe de confiance à l’égard d’un professeur. Et je me dis que mon enseignement sert à quelque chose. Certes à obtenir le diplôme , mais aussi à construire un citoyen responsable de sa santé… Ça montre aussi qu’à la maison ce sont des sujets qui ne sont peut-être pas abordables. Les connaissances reposent souvent sur des idées préconçues A travers cet enseignement l’élève se base sur des faits scientifiques. ll trouvera un repère avec son professeur de P.S.E.
Malheureusement on n’a pas beaucoup de temps. Par exemple en première on doit aborder tous les risques professionnels de la filière. Ainsi avec un élève en mécanique auto, j’aborde avec lui les risques mécaniques, les risques liés aux produits chimiques, aux ambiances car il fait chaud, froid, avec du bruit ou non. C’est le même programme pour les filières tertiaires. Même l’épreuve ponctuelle est la même.
J’enseigne à beaucoup de sections qui sont surtout industrielles.
Au lycée Henaff (Bagnolet 93),j’ai des filières terminales : Bac pro menuisier ( Agencement et étude, réalisation), Bac pro I.C.C.E.R (Installateur en Chauffage Climatisation et Énergies Renouvelables) et MEE (Maintenance et Efficacité Énergétique), Bac pro BEE (Bâtiment Étude Économie) et GTO (Géomètre Topographe). En plus de mes terminales j’ai aussi des classes de secondes TNE ( Transition Numérique et Énergétique) .
Au lycée Condorcet de Montreuil (93) dans lequel je complète mon service, j’interviens en bac pro MV (maintenance des véhicules), SN (systèmes numériques) ou en TDM TRPM ( traitement des matériaux et technicien en réalisation des produits mécaniques)
Ce sont beaucoup d’acronymes compliqués et nouveaux qui correspondent à des familles de métiers vers lesquelles les élèves sont orientés en seconde. A partir de la première ils peuvent choisir une orientation plus spécifique, dans la même famille de métier, en changeant d’établissement.
C’est certains mais on constate que dans une famille de métier en seconde, les élèves restent dans leur établissement en première !
Dans le lycée pro, les enseignants de PSE, d’Arts Appliqués et d’éco-gestion voient tous les élèves 1 heure par semaine. Comment faites-vous pour tisser un lien pédagogique?
Avec une heure d’enseignement par semaine par classe, il faut s’adapter. Malheureusement on ne peut pas répondre aux besoins spécifiques de tous les élèves et par exemple ceux en situation de handicap. J’ai pris l’initiative de participer à pas mal de formations pour accompagner ces profils d’élèves. J’échange souvent avec les équipes enseignantes et AESH sur ces sujets. J’y ai appris beaucoup de choses et notamment les démarches administratives.
La réforme de 2019 a touché les programmes car certains modules ont été rajoutés. Par exemple en terminale on aborde l’égalité de traitement au travail. L’élève est sensibilisé aux différentes dimensions de l’égalité au travail. L’accent est mis sur l’égalité homme femmes et l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le milieu professionnel. Une thématique incontournable pour préparer nos élèves vers la vie professionnelle. En revanche, pour les C.A.P. les questions liées aux organisations syndicales, aux bulletins de salaire ne sont malheureusement plus abordées. Dans certains établissements les classes sont dédoublées. Ce qui permet d’accompagner individuellement les élèves. Mais ce n’est pas le cas dans tous les établissements. Il faut donc s’adapter .
De plus, de mon côté cela n’est pas facile car j’ai souvent travaillé sur deux établissements : deux directions, deux modes d’organisation. Les effectifs dépassent souvent les 300 élèves (hors candidats à la formation de SST). De plus, le profil des élèves en lycée technologique auprès desquels j’ai commencé à enseigner il y a plus de dix ans, ne sont pas les mêmes que des élèves de la voie professionnelle. Ces derniers, au profil très hétérogènes, ont davantage de besoin de professeurs. Il faut s’adapter vite et rapidement aux élèves qu’on a.
Quelles sont pour vous les caractéristiques des élèves de LP ?
Les élèves en section technologique sont quand même plus autonomes que les élèves en voie professionnelle, on peut le constater dès les premières heures en classe. Les élèves en voie pro ont plus de besoins, il faut plus de temps avec eux. Nos élèves sont attachants. Ils ont besoin d’attention particulière . Une fois en stage dans une académie extérieure, tout le monde a «ouvert les yeux » quand je disais que je venais de Créteil. Je ne trouve pas que cela soit plus difficile qu’ailleurs. Lors du déjeuner nous avons échangé sur le quotidien avec nos élèves. Le 93 est souvent stigmatisé. Nos élèves sont sociables, intelligents et travailleurs pour la plupart mais ils ont besoin de plus d’attention car elle est parfois absente dans la cellule familiale. Dans d’autres départements de l’académie ou j’ai été, j’ai constaté que ce n’était pas le même suivi par les parents. Souvent , nous avons des élèves avec des situations administrative, matérielle et financière très complexes qui les empêchent de manger ou d’acheter le matériel scolaire. Il ne faut pas ignorer cette misère sociale. Quand des élèves viennent se confier à son professeur, c’est que la situation est devenue grave. Ces problématiques, il ne faut pas oublier que nous les embarquons chez nous. Les récits de mes élèves ne s’arrêtent pas à la grille du lycée. La difficulté est de ne pas pouvoir aider certains qui méritent attention. Dans les lycées pros où j’ai travaillé j’ai pu trouver des collègues formidables qui m’ont toujours écouté et conseillé.
La crise sanitaire que nous avons traversée a mis en lumière des inégalités entre élèves. Par exemple la fracture numérique. Quand un élève ne fait pas le travail demandé dans le cadre de l’enseignement distanciel et qu’il expliquait qu’il faisait le travail depuis le Hot Spot du Mac Donald’s de Montreuil. Quand le restaurant a fermé, il ne pouvait plus se connecter .
On pourrait penser collectivement à trouver des solutions pour que ces jeunes ne soient pas abandonnés ou mis de côté.
Propos recueillis par Caroline Renson