Joël Briand, maître de conférences honoraire, revient sur l’état de l’éducation nationale. A travers des exemples précis, il montre la détérioration des conditions d’exercices et estime qu’il serait temps de passer « des effets de com à une refonte du recrutement et de la formation ».
Les poncifs
Lorsque j’étais en exercice en formation des maîtres, je voyais passer ministres et réformes. Je disais alors à chaque changement à mes étudiant·e·s : si un jour vous êtes ministre de l’éducation nationale, au premier 20 heures auquel vous serez convié·e dites : « maintenant les élèves doivent savoir lire écrire et compter. ». C’est nouveau, ça vient de sortir, ça rassure le peuple.
Eh bien ça recommence sauf que cette fois il faut être président de la République pour dire le vrai en éducation (25 août 2023). Le ministre de l’Éducation continuant sa mission de porte-parole (28 août 2023) : tous les poncifs y passent : savoir lire écrire et compter comme si les mathématiques se réduisaient à l’implantation d’une calculette dans les cerveaux des élèves, la chronologie en histoire, comme si cela n’existait pas déjà, l’éducation civique comme si l’instruction civique était absente.
Un peu d’accroche narrative
Alors un peu de sérieux et puisque c’est tendance, un peu de story telling ou plutôt « accroche narrative » comme disent nos amis québecquois : dans le collège de mon petit-fils, en milieu rural plutôt tranquille, le professeur de français a été absent de la rentrée de septembre 2022 jusqu’en février dernier. Le remplacement par une contractuelle a duré 8 jours. La contractuelle en question n’a pas résisté. Donc pas de français pendant 4 mois. Mais bientôt, le pacte résoudra cela : on n’est plus très loin du sketch des inconnus à propos du professeur d’éducation physique qui remplace le professeur de philosophie. Le pacte permettra hélas à quelques chasseurs de prime d’arrondir des fins de mois.
Un bilan connu et inquiétant
Si cette histoire était isolée on pourrait dire que j’exagère et que je me sers d’un cas bien particulier pour grossir le trait mais, hélas encore, le phénomène est massif. Lors d’une conférence l’an dernier à Villeneuve Saint Georges en REP++, j’ai pu constater que parmi les professeur·e·s des écoles présent·e·s à peu près 30% étaient des contractuel·le·s. Les autres professeur·e·s étant souvent de jeunes débutant·e·s. Une question simple que je posais à propos d’un contenu précis de formation en mathématiques m’avait fait constater que ce que les étudiant·e·s connaissaient voici 15 ans était complètement ignoré maintenant de l’auditoire, sauf pour une dizaine de personnes, sur environ 150 professeur·e·s.
La désaffection pour les métiers de l’enseignement est patente et on avance souvent des hypothèses raisonnables (faible rétribution salariale, milieux scolaires devenus plus difficiles, formations en urgence). On le sait, les CAPES de mathématiques et d’allemand proposent plus de postes qu’il n’y a de candidats admissibles. Le « job dating » était organisé l’an dernier dans une académie : « 2 000 entretiens de trente minutes pour embaucher autant de personnels non titulaires, parmi lesquels 1 300 enseignants – 700 pour le primaire et 600 pour le secondaire. Une mesure d’urgence pour pallier le faible nombre de candidats qui se sont présentés aux concours. » .
Une formation en devenir
On mesure maintenant, quelques années après, les effets d’une formation improvisée sous couvert d’une mastérisation aux contenus divers et variés qui, en réalité avait permis que les budgets des IUFM soient absorbés par les universités à la recherche de financements. Abandonnée l’idée d’un vrai centre de formation des enseignants à l’image des écoles d’ingénieurs.
Je me souviens alors d’un propos d’Yves Chevallard disant à peu près ceci : si vous coupez l’électricité, immédiatement tout le monde s’insurge et réagit. Si vous coupez les moyens de la formation des enseignants il faut attendre une génération pour se rendre compte des dégâts. On y est. Pour rattraper cela il faudra de l’énergie et du temps. Un boulevard est tout tracé pour l’enseignement privé.
Passer des effets de com a une refonte du recrutement et de la formation
Rendre le métier attractif en révisant la grille salariale bien sûr. Lorsqu’ils regardent nos salaries, nos collègues de pays voisins se mettent à pleurer sur notre sort.
Mais aussi prendre le professeur en considération et en évitant les poncifs du genre “c’est un métier noble”, “ils préparent l’avenir de notre pays” alors qu’ils n’ont jamais été autant contrôlés par des institutions fébriles. Un simple constat (encore une accroche narrative). Lorsque j’étais professeur dans le secondaire, (je vous parle d’un temps…), j’avais à accepter des inspections. A cette occasion, le proviseur venait demander si on l’autorisait à assister à la séance en compagnie de l‘inspecteur. Le pédagogique et l’administratif étaient alors bien identifiés. Chacun chez soi…
Mesure-t-on comment la place du professeur au sein de la communauté éducative s’est trouvée lentement détériorée? De bilan de carrières en évaluation de toutes sortes le rayonnement du professeur s’est trouvé amoindri. Mais c’est bien connu, moins un professionnel est formé, plus on lui impose des recettes, des contraintes afin qu’il joue le rôle souhaité. Cette diminution de l’aura du professeur s’est produite, de façon silencieuse. Les jeunes professeur·e·s me rétorquent alors que l’époque n’est plus la même et que “c’est comme ça”. Ce renoncement à être considéré comme un acteur essentiel du système éducatif est décevant.
Revoir les conditions de la formation constitue donc une priorité majeure. Je ne fais pas le procès des formateurs actuels. Leur engagement, leur volonté de transmettre des savoirs professionnels sont réels mais peut-on lutter longtemps à contre-courant dans des institutions devenues inadaptées.
Pour les fondateurs de l’École républicaine et laïque et contrairement à l’idée répandue, l’enseignement ne devait pas se confondre de quelque façon que ce soit avec une fixation sur le « lire, écrire, compter ». Le projet était bien plus ambitieux.
Il faudra beaucoup d’énergie lorsque des jours meilleurs permettront de revoir le système éducatif français. Sera-t-il trop tard pour réenvisager une “instruction publique” de qualité dans une société devenue moins inégalitaire? Nos anciens avaient réussi cela au prix de combats déterminants. Serons-nous aussi exigeants ?
Joël Briand