Alors que le débat bat son plein sur la reconquête du mois de juin (et des mois d’avril et mai pour les terminales…), Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale honoraire et ancien Dgesco, nous montre que c’est loin d’être un débat nouveau.
À l’occasion d’une recherche sur Gabriel Guist’hau, ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts du 14 janvier 1912 au 20 janvier 1913, j’ai retrouvé une circulaire qui fait écho à notre problème récurrent d’absentéisme en fin d’année scolaire. Un absentéisme le plus souvent créé par les décisions d’organisation des enseignements et des examens prises par le ministère lui-même. Un ministère qui, ensuite, après avoir créé le problème, essaye tant bien que mal de corriger le tir. C’est un sujet très ancien qui agitait déjà l’opinion, il y a plus d’un siècle où l’on fustige alors « la désertion » et « l’exode prématuré des élèves » en fin d’année scolaire, à la suite de l’autorisation donnée en 1905 aux familles de retirer leurs enfants du lycée ou du collège quinze jours avant la fin de l’année scolaire.
En 1912, c’est de la reconquête du mois de juillet dont le ministre se préoccupe !
Voici le texte de la circulaire du 2 mars 1912* signé du ministre Gabriel Guist’hau. Toute ressemblance avec des faits contemporains ne serait pas totalement fortuite…
« Circulaire indiquant les mesures à prendre pour assurer la présence des élèves au lycée ou au collège jusqu’à la distribution des prix
Du 2 mars
Le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts
A Monsieur le Recteur de l’académie
Votre attention a déjà été appelée sur les changements qu’a produits, dans les mœurs scolaires, l’autorisation donnée en 1905 aux familles de retirer leurs enfants du lycée ou du collège à partir du 14 juillet. De cette tolérance sont résultés un exode prématuré des élèves, une désorganisation des classes, une cause d’affaiblissement pour les études, un certain relâchement de la discipline, et enfin, la désertion, regrettable à tous égards, de la distribution solennelle des prix.
Mais ce qu’il y a de plus fâcheux à constater dans cet état de choses, c’est que, trop souvent, loin de chercher à y remédier, les assemblées de professeurs, les conseils d’administration, parfois même les chefs d’établissement sont les premiers à en provoquer l’extension. De diverses Académies me sont parvenus des vœux tendant à supprimer la solennité de la distribution des prix, ce qui reviendrait à supprimer le dernier moyen de retenir les élèves jusqu’à l’expiration normale de l’année scolaire, c’est-à-dire jusqu’au 31 juillet. Tous ces vœux prétendent se justifier par le départ des élèves au 14 juillet, l’impossibilité qui s’ensuit de maintenir dans les classes un travail sérieux, et l’indifférence que témoignent les lauréats eux-mêmes à la cérémonie de distribution des prix.
Si le mal est réel, ce dont personne ne doute, je suis fondé à regretter que, loin de chercher à le restreindre, on propose précisément une mesure bien faite pour l’aggraver. L’initiative des administrations collégiales ne devrait-elle pas s’exercer, au contraire, à trouver les moyens de conserver les élèves jusqu’au bout et de s’assurer de leur présence à une fête qui est propre à exciter leur émulation en même temps que, pour le personnel universitaire, elle est une occasion de se trouver en contact avec les autorités locales et les familles ?
Pour cesser de suivre les cours dès le milieu de juillet, les élèves ne manquent pas d’en prétexter la désorganisation. C’est là qu’est le danger principal de la situation et c’est sur ce point que doit porter la vigilance des chefs d’établissement, secondés eux-mêmes par les professeurs.
Les mesures les plus urgentes à prendre sont de laisser chaque classe se poursuivre complétement et sans fusionnement avec d’autres, jusqu’au 31 juillet ; de placer les compositions finales le plus tard possible, de refuser leurs prix aux élèves qui, sauf raison de maladie dûment constatée, n’assisteraient pas à la distribution ; de fixer les examens de passage après le 20 juillet ; de soumettre en octobre aux examens de passage les élèves qui ne les auraient pas subis en juillet. Enfin, il est indispensable que tous, chefs d’établissement et professeurs, usent de leur ascendant moral et mettent à profit leur expérience pédagogique pour empêcher la désertion des classes. Alors même qu’ils ne réussiraient qu’imparfaitement à retenir les élèves, ils devront s’appliquer à varier les exercices scolaires, à y apporter le maximum d’intérêt. C’est par son exemple personnel que chaque professeur, en restant dans sa chaire jusqu’au dernier jour de l’année scolaire et en se donnant plus que jamais à son enseignement, remédiera à des mœurs nouvelles fâcheuses pour les études.
Si d’autres mesures que celle énoncées plus haut m’étaient proposées pour rendre aux études et à la vie de nos établissements secondaires le ressort qu’elles n’auraient dû perdre, je les examinerais avec un vif intérêt. Je m’adresse à la bonne volonté et à l’intelligence des maîtres, certain de n’y point faire vainement appel et déterminé à tenir le plus grand compte non seulement des résultats obtenus, mais aussi des efforts accomplis.
GUIST’HAU »
Jean-Paul DELAHAYE
*Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, n° 2020 du 16 mars 1912, p. 344. ↑