Si l’on en croit le bruit fait autour des « territoires perdus », impossible d’aborder les « questions chaudes » en histoire-géo dans des L.P. avec leur recrutement populaire. Mais ce n’est pas l’avis des professionnels, comme l’établit le remarquable numéro d’Interlignes (n°53), la revue des PLP Lettres histoire de l’académie de Versailles. La revue montre comment enseigner des questions sensibles. Surtout elle enquête auprès des enseignants de deux académies (Versailles et aussi Nantes). Elle interroge les élèves. Et elle va voir comment ces questions sont enseignées au Québec. Un excellent numéro, coordonné par Anne Couderc et Pascaline Prekesztics, qui montre le remarquable niveau de la réflexion didactique des PLP.
« L’École n’est pas un sanctuaire «
« L’École n’est pas un sanctuaire et, d’une certaine façon, ne l’a jamais été, malgré les discours nostalgiques (et souvent qui relèvent de la mythologie) sur « l’École de Jules Ferry »« , affirme d’emblée Benoît Falaize, inspecteur général et chercheur. « L’École de la République est l’École de la démocratie et ne devrait tolérer aucune restriction au développement d’arguments opposés, à condition qu’ils se fassent dans le respect des convictions de chacun et sans empiéter sur la loi« .
Et de développer. « Entrer en confrontation avec les élèves n’apporte rien. En brandissant par exemple la laïcité comme un sacré, on prend le risque pédagogique de se voir opposer un autre sacré, celui de la religion à laquelle se rattachent les élèves. Aux yeux des élèves, la difficulté principale pour adhérer aux valeurs de la République vient du fait de la mise en cohérence hautement douteuse des valeurs de l’École et de celles de la société. Les inégalités et l’absence de réalisation de la promesse républicaine, celle qui proclame l’école pour tous et l’émancipation des plus humbles, viennent compromettre, en première instance, une adhésion immédiate. La compréhension de cette réalité sociale-là est déterminante dans la confiance que les élèves accordent aux enseignants. Il faut pouvoir, dans le quotidien de la classe faire éprouver aux élèves la valeur des valeurs que l’institution proclame. Compréhension, écoute, solidarité, dignité respectée. Mais comprendre ne veut pas dire accepter tous les propos« .
Des séquences
Oui mais comment faire ? Benoit Falaize, et tout le numéro, ouvrent la voie des savoirs. Interlignes en donne des exemples. D’abord avec une séquence sur la guerre d’Algérie où Nathalie Germinal invite à scénariser une séquence. Aurore Lecomte en offre une autre, en géographie, sur la justice spatiale avec un travail sur l’espace laissé aux voyageurs. Florence Guittard montre comment les questions vives peuvent permettre l’apprentissage du débat en classe. Un article de Suzanne Boudon et Pascaline Prekesztics montrent comment les questions sensibles sont abordées au Québec.
Qu’en pensent professeurs et élèves ?
Est-ce facile ? Deux enquêtes auprès de PLP, dans les académies de Versailles et de Nantes, montrent quels sont les sujets que l’on peut considérer comme « sensibles« . A vrai dire la définition est fluctuante, la question laïque par exemple étant plus sensible à Nantes qu’à Versailles. « Même si beaucoup de professeurs, en lettres-histoire, disent aborder les sujets sensibles sereinement, ils reconnaissent que certaines thématiques, « la laïcité, le transgenre, la théorie des espèces et de l’évolution », génèrent parfois des questions, des réactions auxquelles ils ne savent pas toujours répondre, ce qui peut les dérouter surtout s’ils manquent de connaissances sur la question. Peu disent avoir été gênés, déstabilisés. Mais malgré tout certains reconnaissent des situations un peu difficiles à vivre : « je me souviens très bien que j’avançais avec des pincettes au début » avoue une collègue » de Versailles. « Les professeurs insistent sur l’importance « d’expliquer » : « j’explique les faits de manière historique et ils comprennent ». Même démarche pour désamorcer la colère d’élèves touchés dans leur conviction religieuse. Il faut savoir écouter mais aussi savoir faire prendre conscience de la gravité des propos.
Les élèves (128 !) sont interrogés. Ils ont leur propre liste de sujets sensibles : l’égalité homme – femme, les attentats, l’homosexualité, la concurrence des mémoires. Surtout ils perçoivent fort bien les gestes pédagogiques de leurs enseignants, notamment pour apaiser et permettre le débat. Une grande majorité des élèves pensent qu’il faut traiter ces sujets. Ils éprouvent le besoin d’approfondir leurs connaissances.
Pour ces PLP, les sujets sensibles concernent aussi l’enseignement du français qu’ils pratiquent avec l’histoire-géo. C’est dire que l’intérêt de ce numéro déborde le cercle des PLP et des professeurs d’histoire géographie.
François Jarraud
Aborder les sujets sensibles avec les élèves au LP. Comment faire ? , Interlignes n°53
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