Pour Yannick Trigance, le protocole signé par Pap Ndiaye et Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, se résume à une « montagne » qui « a accouché d’une souris ». « Le ministre Pap N’Diaye échoue à scolariser ensemble les enfants de la République et à relever le triple défi pédagogique, politique et moral d’une école de tous et pour tous » commente le conseiller régional d’Ile-de-France spécialiste des questions d’éducation dans cette tribune qu’il signe pour le Café pédagogique.
Après de multiples reports, le ministre Pap N’Diaye s’est enfin résolu à présenter ses annonces sur la question essentielle de la mixité sociale à l’école, dans un premier temps concernant l’enseignement public avec une réunion interne devant les recteurs, sans conférence de presse comme c’est pourtant l’usage, puis quelques jours plus tard concernant l’enseignement privé.
Des annonces sérieuses, en réalité il n’y en a point eu, ni pour le public, ni pour le privé. Seul l’objectif « d’accroître la mixité sociale dans les établissements publics en réduisant les différences de recrutement entre établissements de 20% d’ici 2027 » a été fixé aux recteurs. Objectif très décevant au regard du défi posé sur un terrible constat connu de tous et du ministre lui-même : notre système éducatif est celui où la ségrégation sociale et scolaire est la plus forte, avec des effets dramatiques sur la scolarisation des élèves.
Après des déclarations de bonnes intentions probablement destinées à temporiser face aux attentes légitimes, ce revirement du ministre apparaît bel et bien comme un renoncement qu’on ne peut dissocier de l’opposition politique droitière des Républicains qui, de Gérard Larcher en passant par Éric Ciotti et Bruno Retailleau, agitent sans vergogne la menace du retour d’une « guerre scolaire » au sortir d’une séquence des retraites désastreuse pour le gouvernement.
Et que dire du « protocole » avec l’enseignement privé, signé à bas bruit le 17 mai, étrangement déconnecté des annonces sur l’enseignement public et sans aucune mesure contraignante susceptible de permettre une amélioration de la mixité : là encore la montagne a accouché d’une souris !
Il faut dire que les dernières déclarations de Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, avaient probablement fini de convaincre le ministre de l’Éducation de ne rien imposer à l’enseignement privé, après avoir timidement évoqué l’idée d’une modulation des moyens d’enseignement financés par l’État.
« Nous n’accepterons ni quotas, ni rattachement à la carte scolaire, ni affectation obligatoire des élèves » : tel était le casus belli annoncé par l’enseignement privé qui de surcroît exige des collectivités une meilleure prise en charge de la cantine et des transports scolaires pour les élèves du privé sous-contrat quand bien même il ne scolarise en collège qu’à peine 17 % d’élèves d’origine sociale défavorisée et 40 % d’élèves très favorisés, proportions inverses à celles des collèges publics .
Au final, l’école privée – majoritairement catholique, déjà financée à 73 % par de l’argent public, restera à l’écart de l’indispensable effort pour améliorer la mixité sociale en milieu scolaire et continuera par conséquent, sur des critères essentiellement sociaux, à sélectionner ses élèves.
Coincé entre une droite conservatrice toujours prompt à dénigrer l’école publique et un Président de la République dramatiquement muet sur le sujet de la mixité sociale et scolaire hormis pour souligner l’urgence qu’il y a à « ne pas réveiller de vieux conflits », le ministre Pap N’Diaye échoue à scolariser ensemble les enfants de la République et à relever le triple défi pédagogique, politique et moral d’une école de tous et pour tous.
Au-delà de la seule question éducative, l’enjeu de la mixité sociale relève d’un véritable projet de société au sens où la non-mixité constitue de fait une rupture d’égalité entre les élèves contraire au fondement de notre pacte républicain : comment concevoir une société dans laquelle les enfants et les adolescents grandissent séparément pendant leur scolarité obligatoire du fait de leur origine et du rang social de leurs parents ?
Et pourtant, des solutions existent : renforcer le cadrage législatif et réglementaire national en faisant du principe de mixité sociale un axe prioritaire dans les programmes d’intervention du ministère ; favoriser et soutenir les politiques éducatives locales de mixité sociale à l’école comme en Haute-Garonne, à Paris, Nîmes ou encore Nantes ; accompagner et former les équipes pédagogiques à la gestion de l’hétérogénéité et de la diversité ; travailler la liaison école-collège ; faire de tous les parents des partenaires et des coproducteurs des politiques de mixité sociale et scolaire … autant d’axes de travail et d’actions pour réaffirmer que la mixité sociale et scolaire ne peut, ni ne doit, être une option.
Réaffirmons avec force qu’il est grand temps pour l’État de passer des « dispositifs » et « expérimentations » soumis aux aléas des volontarismes et militantismes locaux à une obligation républicaine en faveur de la mixité sur tout le territoire.
Ce n’est malheureusement pas l’orientation choisie par ce gouvernement qui a définitivement opté pour le reniement et le renoncement laissant la compétition, la sélection et le séparatisme prévaloir sur une école de la coopération, du commun et de la fraternité.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France