Des annonces d’Élisabeth Borne à celles d’Emmanuel Macron, pour Yannick Trigance, conseiller régional d’Ile de France, la vision du gouvernement est loin d’être à la hauteur des enjeux. Revalorisation des enseignants, mixité scolaire, inclusion et réforme du lycée professionnel, autant de rendez-vous manqués.
La feuille de route présentée par Elisabeth BORNE le 26 avril dernier en matière d’éducation restera marquée au sceau du recyclage, sans vision claire ni dynamique de la place de l’école dans notre société pour les temps présents et à venir.
Une revalorisation qui est loin d’en être une
Plusieurs mesures émergent de cette liste à la Prévert : revalorisation des enseignants, remplacements de courte durée, mixité sociale et école inclusive.
En mettant en avant le « pacte » et le « socle » de la rémunération des enseignants, le gouvernement tente de convaincre l’opinion publique du caractère exceptionnel de cette mesure : il n’en est rien. Il s’agit en effet d’abord et avant tout du reniement d’une promesse du candidat Macron qui, lors de sa campagne présidentielle, avait promis d’augmenter de 10% tous les professeurs sans condition aucune.
« Faites ce que je dis et pas ce que je fais » : selon un document du ministère, les hausses de rémunération atteindront 10% uniquement pour les enseignants entre 6 et 8.5 années de carrière mais, à partir de 15 ans de métier, cette hausse ne sera que de 4% et seulement de 3% pour les enseignants en fin de carrière, dans un contexte économique où l’inflation reste supérieure à 5%.
Dans les faits, la hausse de salaire des enseignants sera de 5.5% en septembre 2023 par rapport à l’année précédente, quand dans le même temps 70% des enseignants bénéficieront d’une augmentation limitée à 95 euros, soit une hausse inférieure à 4%.
Alors que les enseignants français sont ceux qui font le plus d’heures devant les élèves, devant des classes les plus chargées des pays de l’Union européenne et qu’il leur faut 35 années pour passer du salaire de départ au salaire le plus élevé contre 26 années en moyenne pour leurs collègues des pays de l’OCDE, on mesure l’insuffisance de cette « revalorisation ».
Dans le même temps, au sein de la fonction publique d’État, les enseignants touchent annuellement 900 à 1000 euros de moins que les autres fonctionnaires et les mesures annoncées ce mois d’avril ne feront progresser le pouvoir d’achat que pour 30% des enseignants les plus jeunes, soit environ 100 000 personnes.
En réalité, le cœur de cette « revalorisation » réside dans l’acceptation par les enseignants de missions supplémentaires déclinées dans le « pacte » qui renvoie au tristement célèbre « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy.
Une revalorisation digne de ce nom devrait d’abord et avant tout passer par un calage du point d’indice à minima sur l’inflation, sans tabler sur la seule distribution de primes et d’indemnités, par une révision des grilles indiciaires, sans exclure aucune profession au sens où la perte d’attractivité n’épargne aucun des métiers de l’Education nationale.
Aggravation de la charge de travail, des inégalités femmes/hommes – les hommes pouvant beaucoup plus facilement faire des heures supplémentaires car plus disponibles- , aggravation du sentiment de déconsidération et de dévalorisation, aggravation de la prédominance de primes non prises en compte dans le calcul des retraites : le choc « d’attractivité » tant souhaité et annoncé par le gouvernement n’est pas au rendez-vous et la rentrée prochaine n’échappera pas aux milliers de postes vacants faute de candidats, ce qui rend totalement irréaliste, voire démagogique la mesure annoncée par Élisabeth Borne du remplacement systématique en cas d’absence de courte durée des professeurs du second degré .
En effet, celles et ceux qui vivent et travaillent quotidiennement au sein des collèges et lycées confirmeront que la complexité des emplois du temps rend particulièrement difficile, voire impossible, le remplacement de courte durée en interne.
Les corps de remplaçants qui existaient par le passé et qui palliaient les absences ponctuelles ont disparu faute d’effectifs liés à la carence de recrutements, aux démissions, aux départs en retraite non remplacés …Faire croire aux parents qu’un enseignant absent même pour une courte durée sera systématiquement remplacé relève au mieux de l’ignorance, au pire de la tromperie et du cynisme.
Ce type d’annonce contribue par ailleurs à décrédibiliser plus avant la parole politique vécue par les personnels comme une injonction et par les parents comme une promesse sans lendemain mais surtout comme une défaillance accentuée de notre service public d’enseignement.
Un plan ambitieux pour plus de mixité scolaire, vraiment ?
Discrédit toujours de la parole politique à l’annonce du début de mise en œuvre du plan « mixité sociale » et « mixité scolaire » : situation pour le moins ubuesque d’une Première ministre annonçant la mise en œuvre d’un « plan » toujours pas présenté à ce jour ! Ici encore la crédibilité de la parole politique pose question : le thème de la mixité sociale et scolaire reste un sujet suffisamment sérieux, aux enjeux pédagogiques, politiques et moraux suffisamment forts pour ne pas tomber dans ce type d’annonce vide de contenu.
Les multiples reports des annonces ministérielles sur ce sujet sont à la hauteur des ambiguïtés de notre système dans lequel l’État finance son propre concurrent, à savoir l’enseignement privé qui trie ses élèves en accueillant en moyenne 40,1% des élèves très favorisés contre 18.3% d’élèves défavorisés quand dans le même temps l’enseignement public accueille 19.5% d’élèves très favorisés et 42.6% d’élèves défavorisés …
L’absence totale de propos d’Emmanuel Macron sur ce sujet de la mixité sociale et scolaire ajoutée aux premières pistes timidement évoquées par le ministre Pap Ndiaye devant les sénateurs ne peuvent que générer une légitime inquiétude quant au volontarisme de l’exécutif sur cette question pourtant essentielle.
Il y va en effet de notre capacité à permettre à notre jeunesse de vivre-ensemble leur scolarité obligatoire dans une altérité propice à une citoyenneté efficiente et porteuse des valeurs républicaines.
Quant à l’inclusion…
Enfin, l’annonce en matière « d’inclusion » avec le « début de la mise en œuvre de l’acte II de l’école inclusive annoncé lors de la Conférence nationale du handicap 2023 » ne laisse pas d’inquiéter face à la réalité de ce que vivent les enfants, leurs parents et l’ensemble des professionnels pour mener à bien la scolarisation des enfants porteurs de handicap.
Il n’est que de constater la situation emblématique de « l’école inclusive » en Seine-Saint-Denis où 2500 enfants restent à ce jour en attente d’un AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap), où 44% de ces enfants ne sont pas scolarisés du tout, où 57% des familles ont vu l’un des deux parents obligé de cesser leur activité professionnelle – les mamans dans 93% des cas – et où 10% des enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance -soit 900 enfants – sont en situation de handicap …
Et le projet de regroupement du cadre d’emploi des AESH avec celui des AED (Assistant d’éducation) tout comme celui de transformation des PIAL (Pôle Inclusif d’Accompagnement Localisé) en « Pôle d’appui à la scolarité », au-delà du changement d’intitulés, ne pourront à eux seuls apporter une réponse efficace au manque de formation et de rémunération dignes de ce métier pour ces personnels qui au quotidien assurent l’accompagnement des élèves en situation de handicap dans des conditions trop souvent difficiles et éprouvantes.
Lycée professionnel, un virage libéral
La réforme du lycée professionnel annoncée le 4 mai par le président de la République s’inscrit dans le même esprit que celui déployé par la première ministre. En transférant les logiques éducatives vers l’entreprise dans l’objectif d’une professionnalisation précoce des élèves au détriment des temps d’enseignement déjà réduit depuis la réforme de 2019, en conditionnant la revalorisation des enseignants de lycée professionnel à une augmentation des charges de travail –le fameux « travailler plus pour gagner plus »-, en accentuant le rapprochement entre les entreprises et les établissements scolaires avec une augmentation de la durée des stages, le président et son gouvernement accentue le choix délibéré d’une logique libérale reléguant au second plan l’acquisition d’une culture commune et d’une émancipation par les savoirs et les connaissances pour 1/3 des lycéens de notre pays-très majoritairement issus des milieux les plus modestes-.
Au final, les propositions gouvernementales annoncées pour l’École dans le cadre de la feuille de route pour les 100 jours et des « chantiers de la rentrée » ajoutées à la réforme du lycée professionnel traduisent une impuissance, une incapacité et, plus grave, une absence d’ambition à faire de l’éducation une véritable priorité au service de notre jeunesse.
C’est une nouvelle occasion manquée mais surtout la confirmation d’un renoncement à placer l’École au cœur des enjeux majeurs d’aujourd’hui et de demain.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France