La société des agrégés a réagi aux propositions de réformes du recrutement des enseignants du Conseil Supérieur des Programmes. L’occasion pour l’historien Claude Lelièvre de revenir sur l’histoire de cette association et de son rôle dans le format du CAPES actuel, fruit d’une forte pression sur le directeur de l’enseignement secondaire d’alors, Gustave Monod.
Le Bureau de la Société des agrégés vient de réagir aux propositions du Conseil supérieur des programmes sur la formation initiale et le recrutement des professeurs publiées le 3 mars dernier. La Société des agrégés prend acte que le CSP exclut de son étude « le cas particulier de l’agrégation, dont l’évolution mérite une réflexion spécifique ». Elle souhaite cependant donner son point de vue sur les scénarios retenus pour le second degré « les parcours proposés pour le CAPES traduisant des conceptions de l’enseignement et pouvant avoir des effets sur le vivier des candidats aux agrégations externe et interne ».
Les épreuves écrites garantes de la valeur scientifique du concours ?
La Société des agrégés s’oppose tout particulièrement à la disparition des épreuves écrites prévue dans les scénarios 5 et 6. Dans un cas, elles seraient remplacées par l’examen d’un dossier ; dans l’autre cas, elles seraient supprimées, le concours ne comportant plus que deux épreuves orales professionnelles. Elle s’oppose encore plus fortement au scénario 7 qui envisage la suppression du concours et un recrutement sur liste d’aptitude.
Cette montée en puissance de la Société des agrégés sur ce dossier renvoie à son intervention décisive et historique dans la conception même du CAPES lors de sa période de création au milieu du XXème siècle.
À la Libération, la Société des agrégés est confrontée au projet de Gustave Monod – directeur de l’enseignement secondaire – d’instituer un nouveau mode de recrutement, par le truchement d’instituts pédagogiques prérecrutant après le baccalauréat les futurs professeurs du second degré. Ils auraient suivi dans ces instituts une formation pédagogique et scientifique leur permettant entre autres d’enseigner deux matières. L’Assemblée générale de 1945 déclare indispensable « de maintenir au concours sa valeur scientifique et de sauvegarder l’unité de la formation des professeurs de lycée et de faculté, caractéristique de l’université française » (L’Agrégation, n° 269, avril-mai 1945, p.14). Et ce point de vue l’emporte finalement.
Mais en 1950 le directeur Gustave Monod revient à la charge.et impose que les candidats au CAPES passent des épreuves pédagogiques avant de subir des épreuves scientifiques. Le décret du 1er avril 1950 institue un certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement public (CAPES), qui comprend deux parties : « Premièrement, une partie pratique dont les épreuves ne peuvent être subies qu’au cours de la seconde année d’un stage d’au moins deux années scolaires dans un collège ou un lycée ; deuxièmement, une partie théorique ».
D’abord, donc, un stage pratique et son évaluation ; ensuite un examen écrit, qui ne doit pas être livresque mais directement professionnel : « Le stagiaire, pourvu de conseillers pédagogiques, apprend son métier ; c’est la preuve de cet apprentissage qu’on lui demandera au terme de son stage. Le succès au stage sera suivi d’un examen écrit dont les épreuves, à caractère très étroitement professionnel, devront confirmer l’adaptation du candidat aux différentes tâches qu’il a à remplir comme professeur. Le succès dépendra donc beaucoup moins d’une préparation intensive et livresque que de l’application au travail quotidien et de la réflexion personnelle sur ses conditions. »
Le Capes, une « petite agrégation » sous la pression de la société des agrégés
Mais des craintes se font jour quant à la préparation au concours de l’agrégation, au rétrécissement de son aire de recrutement. Dès 1952, les partisans de la défense et illustration de l’agrégation – parmi lesquels la Société des agrégés joue un rôle primordial – ont gain de cause. La Société des agrégés affirme qu’en privilégiant un pré-recrutement sur critères pédagogiques, le projet de Gustave Monod met « en échec le principe de la priorité de la culture. Elle demande que les épreuves théoriques du concours portent essentiellement sur la culture scientifique, de manière à éviter un enseignement au rabais » (L’Agrégation, n°295, mai 1948, p. 280). Le nouveau directeur de l’enseignement secondaire, Brunold, qui est des siens, accepte en 1952 de réformer le CAPES. Celui-ci devient de ce fait une « petite agrégation ». Le modèle du grand concours de l’agrégation reste valable.
Une deuxième mouture est en effet mise en place, qui durera pour l’essentiel jusqu’à nos jours. Le décret du 22 janvier 1952 stipule en effet : « Le concours pour l’obtention du CAPES comprend deux parties indépendantes : premièrement une partie théorique qui comporte des épreuves écrites et une épreuve orale ; deuxièmement une partie pratique soutenue un an après le succès à la partie théorique ». Dans le Journal officiel du ministère de l’Éducation nationale, l’inspecteur général Campan commente ouvertement la raison profonde de ce nouveau dispositif, de cette inversion : « Une caractéristique essentielle du nouveau système, c’est sa liaison étroite avec le concours de l’agrégation ». Il s’agit d’assurer avant tout – directement et indirectement – un recrutement élargi et de qualité pour l’agrégation, qui est ainsi consolidée.
En pleine continuité historique avec cet épisode fondateur, la Société des agrégés juge qu’une réforme nouvelle du CAPES, voire sa suppression partielle ou totale – sous prétexte que le concours actuel « ne permet plus aujourd’hui de pourvoir tous les postes en raison du manque d’attractivité du métier et de la baisse avérée du niveau disciplinaire des candidats » – ne résoudrait en rien la crise du métier de professeur et pourrait altérer davantage encore la qualité du recrutement, lequel ne retrouvera son attractivité que par une revalorisation morale, financière et sociale. Quant à l’agrégation, elle doit demeurer un concours de haut niveau, qui sélectionne les candidats sur des épreuves académiques, pour enseigner dans les classes de lycée, les classes post-baccalauréat et l’enseignement supérieur. Renoncer à l’excellence académique reviendrait à renoncer au patrimoine culturel et scientifique acquis depuis des siècles par notre pays.
On doit sans doute s’inquiéter de l’avenir des concours de recrutement d’enseignants, mais cela ne signifie pas ipso facto que l’on doit s’aligner pour autant sur la défense et illustration quasi exclusive de l’agrégation pour ce qui concerne notamment le CAPES, tant s’en faut. D’où ce détour historique revisitant le moment fondateur et l’inversion significative qui a eu lieu, si on veut éviter un éternel recommencement dans l’inconscience.
Claude Lelièvre