Alain Bouvier, Recteur et Professeur des Universités, revient sur les annonces du ministre de l’Éducation nationale. Le collège, un maillon faible ? Le recteur réfute l’affirmation.
Le 24 novembre, le ministre Pap Ndiaye annonçait à la presse son intention de réformer le collège qui serait « le maillon faible » du système éducatif. L’emploi du « le » me surprit. Pendant six années de travaux d’évaluation menés par le Haut conseil de l’éducation, puis cinq années au sein de la commission parlementaire de suivi de la loi Peillon, je ne me souviens pas que le collège soit apparu comme le segment du système éducatif le plus en difficulté. Certes, pas moins que les autres, mais pas plus. Le système n’a que des maillons faibles !
L’image d’Épinal de l’enseignement primaire
L’école primaire française a longtemps bénéficié d’une vue mythique. Ses admirateurs n’hésitaient pas à la présenter comme la meilleure au monde ! Mais, à partir de 2000, il ne fut plus possible de le faire, lorsqu’apparurent, diverses comparaisons internationales peu flatteuses. De plus, l’école maternelle, dont nous restons fiers, a peu inspiré d’autres pays (même ceux curieux à son égard), en dehors d’anciennes colonies. Depuis plus de trente ans, quels que fussent les outils employés pour évaluer les acquis des élèves, ils révélèrent des faits inquiétants et têtus. À leur sortie de l’école primaire française, le tiers des enfants ne maitrisent pas les compétences attendues, définies et mesurées par la Nation. Tout au long de la scolarité primaire, les inégalités scolaires liées à l’origine sociale des élèves et repérées dès la Grande section, ne font que s’accentuer ; l’école n’apporte pas de remédiation. Plus affligeant encore, en termes d’équité, la France est au 25e rang mondial. En conséquence, à leur entrée au collège, les élèves se trouvent dans la pire des situations pour entamer avec succès de nouveaux apprentissages. Si l’enseignement primaire n’est pas un maillon faible, alors en quels termes faut-il le qualifier ?
L’enseignement professionnel méprisé
Ignoré par les intelligentzias des métropoles, l’enseignement professionnel relève courageusement de redoutables défis. Il le fait avec cœur comme en témoigne la réussite sociale du Bac pro. Les lycées professionnels accueillent beaucoup d’élèves en mal scolaire, au bord du décrochage, à qui il faut tenir la tête hors de l’eau. Involontairement bien sûr, ils contribuent à renforcer les clivages sociaux des grandes métropoles, alors qu’ils sont considérés comme des lieux d’excellence dans les zones rurales et les petites villes fières de leur LP. Pour des raisons corporatistes, ces lycées particuliers vivent mal l’appétence grandissante manifestée par les élèves et leurs familles envers des dispositifs en apprentissage en dehors du lycée professionnel. Face à une société qui évolue plus vite que les filières et les diplômes professionnels – ce n’est pas difficile ! – l’écart se creuse entre les deux options professionnelles proposées au choix des élèves, d’une part l’enseignement sous statut scolaire en LP et, d’autre part, l’apprentissage en dehors de celui-ci. Pour le bonheur de leurs enfants, de plus en plus de familles choisissent la voie de l’apprentissage. Déstabilisé, l’enseignement professionnel (dont on nous annonce une réforme) est lui aussi un maillon faible.
Le lycée napoléonien
Fierté de beaucoup de Français, le lycée a connu pendant plus de deux siècles de lentes évolutions. Avec ses classes préparatoires aux Grandes écoles, il a contribué et contribue encore à la formation des élites. Mais personne ne fait remarquer qu’il ne scolarise qu’à peine 60% des enfants d’une classe d’âge. Quel exploit ! Certains disent que le baccalauréat est délivré à tous les jeunes, alors qu’en réalité, il l’est seulement pour ceux admis au lycée, s’ils continuent jusqu’en terminale ! À la sortie du collège, d’une part les élèves les plus rétifs à l’enseignement général et d’autre part ceux, nombreux, voulant rapidement amorcer la préparation d’un métier et s’insérer dans la société, sont soit écartés du lycée général ou technologique, soit font un tout autre choix de vie. S’ils trouvent leur bonheur dans l’apprentissage, n’est-ce pas légitime ? Le lycée général ne sait pas traiter la variété, ce n’est pas dans son ADN. Ne lui parlez pas d’accompagner la diversité des élèves, car, sous le joug des statuquologues qui le disent sans vergogne, l’État ne leur demande rien de tel et ils ajoutent que pour les professions que visent leurs élèves, le temps viendra pour eux de s’en préoccuper lorsqu’ils auront quitté le lycée. Bravo ! Les enseignants ont les yeux rivés sur le baccalauréat, viatique pour l’avenir, mais monument en péril, car, dans l’esprit des élèves et du public, il est progressivement remplacé par Parcoursup. Le lycée, qui n’est pas un monstre d’innovations, a un temps de retard à l’allumage ! Mal articulé au collège, il ne l’est pas mieux avec l’enseignement supérieur dont l’offre, à son insu, s’est métamorphosée en 20 ans, en notant également que près d’un étudiant sur deux ne va pas l’université. Le lycée, simple sas, on ne sait pas entre quoi et quoi, n’est pas un maillon fort, c’est un euphémisme !
Enfin, le collège
Il fut marqué en profondeur par les polémiques soulevées dès sa création en 1975, par la loi voulue par le Président Valéry Giscard d’Estaing, il y a près d’un demi-siècle et par les batailles corporatistes qui, sans relâche, continuent depuis. C’est le segment le plus idéologisé du système éducatif. Il fut créé sans finalité affichée et ses objectifs ne furent jamais définis, comme l’avait déjà observé le HCE, en 2010, dans son rapport consacré au collège. Depuis 2005, avec ses variantes successives, le « Socle commun » en tient lieu, quand il n’est pas mis sous l’éteignoir par un ministre. Les polémiques entre « droite conservatrice et gauche protestataire » (selon Le système éducatif français et son administration, édition 2022) se poursuivent. À la sortie de l’enseignement primaire, le collège, qui accueille tous les élèves, se trouve avec de plus en plus d’enfants en grande difficulté scolaire, près du tiers nous l’avons dit, mais très inégalement répartis sur le territoire national. Cela se passe dans un total désintérêt des intellectuels qui longtemps ne s’intéressaient qu’à la filière S des lycées généraux (40% d’une classe d’âge) et à l’enseignement de la philosophie (sujet flatteur pour les dîners en ville). Seul, importait aux parents l’accès de leurs enfants aux Grandes écoles, en premier lieu à l’X et à l’ENS. Aujourd’hui, SciencesPo compte aussi à leurs yeux et leur récent intérêt pour les écoles de commerce les plus chères remonte à plus d’une décennie. Depuis sa création, coincé entre un enseignement primaire peu efficace et des perspectives contradictoires à sa sortie, le collège a fait ce qu’il a pu, sans réduire les inégalités dues à l’origine sociale des élèves qu’il accueille, ni compenser les faiblesses acquises par les élèves dans leurs apprentissages dès la maternelle. Aucun doute, le collège est bien un maillon faible, mais parmi les autres, il ne mérite donc pas ce « le » qui le stigmatise.
Le système scolaire français est en difficulté. Cela m’invite à rêver d’une autre école (L’école de mes rêves. Nouveaux propos d’un mocking bird). Les spécialistes en théorie des organisations savent que les principales difficultés d’un système complexe résident dans la faiblesse des liens entre les différentes parties qui le compose. Si l’on veut réformer le collège, il faudra repenser l’organisation et le fonctionnement de tout le système éducatif. D’une part, il n’est plus clair sur ses finalités qui ont évolué dans le temps et, d’autre part, nul n’a travaillé sur les articulations entre ses composantes. Depuis le plan Langevin-Wallon (1944), l’Éducation nationale n’a pas connu de nouvelle approche systémique.
Il serait temps de s’en préoccuper !
Alain Bouvier