La transmission des savoirs en mathématiques et en sciences était au cœur de la table ronde organisée en commission à l’Assemblée nationale le 18 janvier dernier. Que reste-t-il des 2 heures d’échanges ? Interdisciplinarité, meilleure formation initiale des enseignants et davantage d’heures dispensées en sciences dans le secondaire font consensus. Dans une actualité où les élèves de 6ème perdent une heure d’enseignement de sciences l’an prochain, ces propositions semblent très loin de la réalité actuelle des dotations horaires. « Le manque de stratégie et de planification dans l’Education nationale » est pointé du doigt.
« Une réforme du lycée à rebours des enjeux contemporains »
« Depuis la pandémie, je pense que de nombreux français connaissent désormais la revue Nature », introduit Isabelle Rauch, présidente de la commission. Mélanie Guenais, coordinatrice du Collectif Maths et Sciences, rappelle la baisse continue depuis 30 ans du niveau de mathématiques des élèves français. « On a des besoins accrus de scientifiques dans le supérieur. La réforme du lycée nous a beaucoup inquiété. Dans le tronc commun, il n’y a pas de sciences nécessaires pour une orientation scientifique. L’enseignement de culture scientifique concerne 2h sur 28 enseignées ! ». Mélanie Guenais souligne « qu’il y a une perte de polyvalence scientifique en terminale, ce qui est problématique pour les défis majeurs actuels », citant notamment le climat et la santé. L’intervenante dénonce aussi « le pilotage actuellement opaque et verticale » du monde éducatif. Elle propose « une planification des recrutements des enseignants sur 5 ans ».
Étienne Ghys, de l’Académie des sciences, résume parfaitement ce qu’il se passe en enseignement scientifique actuellement en France. « Les deux heures se réduisent à 1 h de SVT et 1 h de physique-chimie. La partie mathématique de l’enseignement scientifique est réduite à zéro. Il faut faire une distinction entre les médailles Fields françaises et l’état de notre formation intellectuelle du citoyen lambda. Cela n’a rien à voir ! » Le mathématicien qui dénonce une « balkanisation de la science » suggère des temps de travail en commun entre les enseignants citant la Main à la Pâte (représentée par deux intervenants sur les 4 présents). Les TPE (travaux personnels encadrés) désormais supprimés offraient déjà cette fenêtre de création. « Il faut donner des heures de concertation aux enseignants ». Didier Roux, président de la fondation La Main à la Pâte, trouve « l’organisation de l’Education nationale malade. Il faut cesser les sparadraps sur les jambes de bois ». Citant les exemples de Singapour, de la Finlande et de l’Allemagne, Didier Roux prône notamment « de l’autonomie pour les établissements scolaires ».
Chaque année, on grignote des heures !
Dans le contexte de la suppression de l’heure de technologie en classe de 6ème, Didier Roux se dit « affolé car cela va détruire un dispositif issu des EIST (enseignement intégré des sciences et technologie) ». Il est vrai que pendant des années, l’Académie des sciences a eu l’oreille des différents ministres pour finalement imposer son dispositif en 2016 « Sciences et technologie » au cycle 3, dispositif qui avait l’avantage (côté RH) d’interchanger les enseignants lors des répartitions horaires… Le dispositif EIST testé dans son intégrité dans les « collèges pilotes » disposait d’une heure de concertation par enseignant concerné pour mettre en place les projets. Cette heure a disparu voire n’a jamais existé dans les 7000 collèges français. Didier Roux regrette d’ailleurs que « l’Éducation Nationale passe son temps à défaire ce qu’elle a fait en restreignant les moyens. Chaque année, on grignote ! ». Enfin, il est à noter que certaines évaluations de l’EIST effectuées par la DEPP n’ont pas montré de progrès significatifs. « Les enfants sont extrêmement actifs en sciences à l’école primaire. C’est sur ce terrain que se forment les futurs citoyens », lance le président de la fondation qui souhaite aussi « des sciences en maternelle ».
La lutte contre les infox
Marc-André Selosse, président de BioGée, apporte son expertise sur l’enseignement des sciences de la vie et de la Terre. Le spécialiste rappelle l’ensemble des points déjà détaillés au Café pédagogique le 3 janvier dernier. Sur la question des horaires, Marc-André Selosse relève dans le secondaire 680 heures de mathématiques, 306 de physique-chimie et 270 de SVT dans le tronc commun. « C’est problématique ! ». Demandant une revalorisation des horaires en SVT, le professeur, qui se déplace régulièrement dans les lycées, souligne aussi le « problème de la Terminale qui oblige à arrêter une spécialité. On a vu baisser de 50% l’enseignement de SVT en terminale ! »
M Selosse rappelle que plus de la moitié des fake news concernent la santé. « La seule façon de faire est de construire une méthode qui occupe l’espace avant qu’arrivent les rumeurs. On a donc besoin très tôt d’enseigner les sciences ! ».
Parmi les remarques des élus présents, Hendrik Davy (Nupes) souhaite « un retour à une organisation du lycée qui avait fait ses preuves et fondée sur des groupes d’élèves et des équipes pédagogiques stables. Il faut profiter de la baisse du nombre d’élèves pour augmenter le taux d’encadrement ». Sur les mathématiques et la réforme du lycée, la députée Béatrice Descamps (UDI) et ancienne enseignante rappelle que ces alertes avaient déjà été faites lors de la mandature précédente…
Julien Cabioch
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