Sarah Leleu Maati est professeure des écoles à l’école Albert Camus d’Épinay sur Orge. Dans l’article « Une séquence autour de la perpendicularité en CM2 » publié sur le site MathémaTICE, l’enseignante présente une séquence de 8 séances de géométrie en CM2. Elle y détaille pas à pas les activités proposées, la méthodologie utilisée, soutenues par des photographies des temps d’apprentissage. On perçoit, à la lecture, tout l’engagement et la créativité de l’enseignante, auquel répond l’investissement des enfants. Elle détaille sa démarche au Café pédagogique.
Quelle durée a été consacrée à cette séquence, à chaque séance ?
La séquence sur la perpendicularité a été développée sur 8 séances. La durée des séances a été variable, d’une bonne heure pour les premières séances à une après-midi complète pour réaliser la dernière figure à partir des spirales de Fibonacci. J’ai laissé à certains élèves la possibilité de reprendre leur travail pour le terminer plus tard. Les séances de manipulation demandent toujours beaucoup de temps, à cause de la gestion matérielle et de l’aspect mouvant du groupe. Par définition, la manipulation suppose aussi une expérimentation, c’est-à-dire une succession d’allers-retours entre essai, erreur, correction, essai, validation, ce qui s’inscrit forcément dans un processus d’apprentissage qui prend du temps. Il faut faire preuve d’une certaine souplesse quant à l’emploi du temps.
Son positionnement dans votre progression annuelle a-t-il été la conséquence d’une évaluation, d’une programmation, d’un questionnement des enfants… ?
J’aborde la notion de perpendicularité en première période. D’abord parce que c’est une notion qui n’est pas bien maîtrisée par les enfants bien qu’elle ait déjà été abordée dans les classes précédentes. Je m’en rends compte chaque année lors des évaluations diagnostiques que je mets en place en septembre. Ensuite parce qu’elle est indispensable pour la suite : le travail sur les polygones suppose qu’on l’ait comprise. C’est donc un prérequis dont je préfère m’assurer au plus vite. D’autre part, je travaille la géométrie essentiellement à travers des travaux pratiques de tracés : mes élèves doivent donc acquérir les techniques qui servent de base à la plupart des constructions.
Pouvez-vous dire que vous faites partie des enseignants se réclamant d’une forme de pédagogie active ?
Si pédagogie active signifie que les enfants doivent faire pour apprendre, alors oui. Je ne peux pas concevoir qu’apprendre soit autre chose pour les enfants qu’expérimenter. S’ils ne s’approprient pas ce qu’on cherche à leur transmettre, on ne peut pas vraiment parler d’apprentissage mais d’une accumulation de connaissances qui ne feront pas sens pour eux et qu’il y a de fortes chances qu’ils oublient, ou qu’ils ne parviennent pas à transférer à des apprentissages plus complexes.
Quelle plus-value apporte cette pédagogie du « vécu » en comparaison de celle « des leçons soigneusement collées dans leur cahier » ?
Tout d’abord la motivation des enfants : leur proposer des activités par lesquelles ils construisent ce qu’ils apprennent est toujours valorisant pour eux. Souvent, ils ne sont pas suffisamment habitués à travailler de cette manière : manipuler, verbaliser, sont des étapes indispensables comme le rappellent les instructions officielles, mais ce sont des moments d’apprentissage qu’il faut être prêt à mettre en œuvre. Cela suppose une organisation spatiale et matérielle dans la classe, des temps d’échanges et de verbalisation entre les enfants qui demandent une certaine tolérance sonore, une bonne maîtrise du groupe et une certaine souplesse. Par conséquent, ce sont des habitudes de travail qui sont loin d’être généralisées dans l’enseignement. Je fais aussi coller des leçons dans les cahiers, mais de moins en moins. Les leçons doivent être l’aboutissement de ce qui a été expérimenté en classe, elles doivent coller à ce que les enfants ont vécu pour avoir du sens. Je n’ai pas encore trouvé de forme de trace écrite qui me convienne pleinement, mais je m’oriente de plus en plus vers des “leçons à manipuler” qui permettent aux enfants de continuer à être actifs pour mémoriser ce qui a été formalisé. Au-delà de ça, une leçon collée dans un cahier ne remplacera jamais une séance de réflexion, d’échange, d’entraide, qui apporte méthode de travail, rigueur d’esprit et valeurs de partage.
L’engagement des élèves a-t-il été impacté par cette mise en œuvre pédagogique ?
Oui, la plupart des élèves se sentent plus investis. Je le constate en classe, par l’attitude des enfants, par l’amélioration de leur capacité de concentration au fil des activités, par l’enthousiasme qu’ils manifestent à l’annonce d’une nouvelle séance et par leurs progrès dans l’acquisition des notions abordées. Les retours des familles en témoignent aussi : les enfants parlent de ce qu’ils font à la maison, ils y poursuivent parfois les activités de leur plein gré, voire transmettent ce qu’ils apprennent à leurs frères et sœurs. Par exemple, la chasse aux angles droits a occupé chez certains quelques soirées, j’ai même reçu des photos à des heures incongrues pour me montrer le butin collecté.
Une individualisation a-t-elle été nécessaire, possible ?
La manipulation des outils géométriques demande souvent une approche individuelle : une chose est de montrer collectivement aux enfants comment tenir leur équerre, c’en est une autre pour un élève que de se débrouiller une fois seul avec son outil dans la main. Il faut corriger individuellement les gestes qui sont incorrects et aider à verbaliser ce qui est fait. Je suis très mobile lors des séances de géométrie, et j’encourage l’entraide entre les élèves. Ceux qui réussissent se sentent toujours valorisés de pouvoir intervenir auprès de leurs camarades, cela leur permet aussi de continuer à apprendre et d’approfondir leur maîtrise en expliquant et en reformulant. De plus, entre pairs, la relation est plus horizontale et la communication parfois plus directe, certains enfants y sont plus réceptifs.
La dimension « interdisciplinaire » des professeurs des écoles semble être illustrée par votre article. Toutes vos activités entrent-elles dans cette logique ?
Au fil du temps j’ai compris que les apprentissages ne peuvent pas être cloisonnés : dans la vraie vie, les enfants constatent facilement que tout est lié. Il est en réalité très artificiel de passer d’un domaine d’apprentissage à un autre. Quand on fait des problèmes de maths, on se rend bien compte que la plupart du temps, l’obstacle principal, ce ne sont pas les notions mathématiques mais la lecture. Quand on fait de la course d’orientation, on a beau expliquer aux enfants que le chemin le plus court passe par des lignes droites, le faire mesurer reste la meilleure façon de s’en rendre compte de manière concrète. Je m’efforce de multiplier autant que possible les situations où les disciplines permettent de s’éclairer entre elles. On peut travailler sur les distances et les durées pour mesurer ses progrès à la course, on peut travailler la rédaction et l’expression orale pour décrire un programme de construction géométrique. Cette année, mes élèves ont même résolu des problèmes de maths… en anglais !
Avez-vous pu constater que les acquis relatifs aux notions décrites perduraient chez les enfants concernés, notamment lors de leur cheminement dans le cursus scolaire ?
Il est difficile d’avoir un retour quantifié des résultats car ils ne nous sont pas transmis de manière individualisée. Nous disposons seulement de résultats collectifs, de graphiques d’évaluation qui ne sont guère nuancés par compétence ni par classe. Les tests de positionnement à l’arrivée en sixième font toujours état de difficulté en géométrie, mais les livrets de mes anciens élèves que je reçois par la suite montrent que leurs résultats en mathématiques s’améliorent d’année en année. Il est difficile d’évaluer ce que ces progrès doivent à ma façon de travailler, cependant, les retours que j’ai de mes anciens élèves témoignent d’un certain plaisir qui perdure dans l’exercice de la géométrie.
Propos recueillis par Jean-François Liaudois