L’annonce d’un plan pour l’école maternelle a provoqué des craintes, comme à chaque fois qu’un ministère annonce des mesures à venir, mais il a aussi suscité aussi des espoirs car ce secteur d’enseignement mérite que les décideurs institutionnels s’y intéressent. Cette confiance – certes très prudente – dans les décisions à venir était confortée par l’estime que beaucoup portent au nouveau ministre de l’Éducation, que son expérience en tant que chercheur en sciences humaines – même s’il n’est pas spécialiste du domaine – devait préserver de la croyance qu’avait son prédécesseur dans les vertus qu’aurait l’application à un problème complexe d’une solution toute faite. Et l’école maternelle est précisément un secteur de l’éducation délicat et complexe dont les problèmes ne peuvent se résoudre à coup de décisions monomaniaques.
« On ne s’y prend jamais assez à l’avance pour stresser les parents d’enfants de trois ou quatre ans »
Consacrer une réflexion à la formation des enseignants de maternelle était chose utile : on sait que la formation initiale des enseignants du primaire est soumise à tant de contraintes que l’enseignement en maternelle y est peu traité. Or c’est un niveau d’enseignement qui demande beaucoup de finesse et de capacités d’analyse, et qui relève de connaissances spécifiques.
La note de service se propose de répondre au déficit de formation initiale au moyen d’un plan de formation continue sur six ans. Trois points cruciaux sont évoqués dans cette note : le lien de l’école maternelle avec les autres instances s’occupant des jeunes enfants, la formation que reçoivent les élèves et la formation des enseignants.
L’importance du lien entre l’école maternelle et les autres instances éducatives était soulignée dans les programmes 2015 qui insistaient sur la nécessaire transition entre les différents lieux d’accueil du jeune enfant. La note de service en tient compte et prévoit des rencontres des enseignants avec les parents. Il y sera notamment question d’évaluation, de bilan. On ne s’y prend jamais assez à l’avance pour stresser les parents d’enfants de trois ou quatre ans. Il est prévu également des formations communes entre les enseignants et les différents personnels de la petite enfance et des visites réciproques des lieux d’éducation. Pourquoi pas ? Cela dit, il s’agit juste de la connaissance des instances concernées et de leur mode de travail et non pas de continuité dans la prise en charge des enfants eux-mêmes. Notons qu’il n’est fait aucune allusion aux ludothèques. Mais il est vrai que le jeu n’a pas sa place dans l’école maternelle telle que la note de service l’évoque : l’important c’est de préparer les élèves au CP.
» Tous les savoirs que la recherche en éducation, en linguistique, en psychologie a développés sont passées à la trappe »
Dans cette note de service, la formation que doivent recevoir les élèves de maternelle, et qui dessine les contenus de la formation didactique que recevront les enseignants, porte sur deux points, l’un improprement appelé « langage », l’autre appelé « notions de mathématiques ». Une évocation de l’EPS apparait également au détour d’un paragraphe portant sur les heures de formation. Le « langage » est réduit à l’apprentissage du vocabulaire et à celui des associations graphèmes-phonèmes dans la perspective de préparer aux épreuves d’entrée de CP : on va pouvoir recycler dans la formation des enseignants le petit livre vert (vocabulaire) et le petit livre orange (lecture) publiés sous Blanquer. En revanche, il n’est pas question de littérature de jeunesse, d’entrée dans l’écriture, d’entrée dans la compréhension des récits, de développement des compétences de communication… Tous les savoirs que la recherche en éducation, en linguistique, en psychologie a développés sur la manière dont le langage du jeune enfant se développe, sur l’importance du jeu et des apprentissages informels, tout cela est passé à la trappe. Alors que de nombreux travaux de recherche se sont intéressés à la diversité des pratiques employées par les enseignants de maternelle, notamment en matière d’étayage, de recours à l’exemple, de définition des tâches et ont montré leurs intérêts et leurs limites, la note de service considère, à l’instar du ministère précédent, qu’il existe UNE bonne pratique, et que la formation des enseignants doit s’employer à faire adopter.
Un protocole d’entreprise
La note de service développe des aspects administratifs et en le faisant elle est dans son rôle. Mais en lisant ce texte, on a l’impression qu’il s’agit d’un protocole d’entreprise avec des responsables de secteurs qui devraient encadrer des responsables de succursales de façon à ce que tous les agents exécutent bien les mêmes gestes au même moment. Ajoutons que le texte est ponctué régulièrement par un mantra qui rappelle le « Conseil National de la Refondation » auquel sont censés participer les directeurs et directrices d’école, dans des concertations à leur échelon. Ce texte est aussi l’occasion de découvrir une nouveauté, le « Conseil académique des savoirs fondamentaux », dont la création m’avait échappé.
Au moment où la Corée constatant les dégâts causés par la précocité de la pression scolaire revoit son dispositif scolaire, il est paradoxal que le nouveau ministre poursuive dans cette voie et ne profite pas de la possibilité d’ouvrir un nouveau chantier pour se débarrasser de l’encombrant héritage que lui a laissé son prédécesseur.
Sylvie Plane
Professeure émérite de sciences du langage Université Paris-Sorbonne
Ancienne vice-présidente du Conseil supérieur des programmes