C’est quoi faire des maths ? C’est pas forcément ce que vous attendez. Et pas forcément la même chose pour tout le monde. La preuve : cette expérience de Claire Lommé dans une classe de Ce1 qui croise un album jeunesse sur le thème de la mesure du temps…
Chez Christelle
Cette semaine, je suis allée dans la classe de mon amie Christelle. Christelle est professeure des écoles en CE1, dans une école urbaine de REP. Elle m’accueille dans sa classe depuis plusieurs années. Notre collaboration est née lorsque j’étais RMA (référente mathématique académique) pour le plan Villani-Torossian : je cherchais des enseignants du premier degré qui m’accueilleraient dans leurs classes, pour y tester des activités que j’avais imaginées. Avant de les présenter en formation, je voulais les éprouver. J’ai ainsi rencontré des collègues incroyables, toujours partants, avec qui travailler est simple et efficace.
Aujourd’hui, je n’exerce plus cette fonction, mais je continue d’aller dans des écoles, de façon régulière. Je suis en temps plein dans mon collège. Mais mon jeudi est libre pour me permettre de parcourir l’académie, voire plus, en quête de découvertes et de diffusion des mathématiques.
Jeudi dernier, j’étais donc dans cette classe de CE1. J’ai fait connaissance avec ces enfants qui dès notre rencontre m’ont impressionnée. Leur parole est naturelle, libre, maîtrisée. Ils m’attendaient, prévenus par Christelle que nous allions faire des maths, autrement. Ils voulaient en savoir plus : qu’allions-nous faire ? Des maths, bien sûr. Alors je leur ai posé ma question rituelle, que je pose lorsque je suis face à un nouveau groupe avec qui je vais passer du temps : « faire des mathématiques, d’accord. Mais c’est quoi, pour vous, les mathématiques ? »
Un enfant m’a répondu, spontanément : « les maths, c’est drôle ! ». Un autre a renchéri : « Oui, c’est rigolo, on aime, nous. » Une de leur camarade a ajouté : « et c’est facile ! » Christelle a réagi immédiatement : « Ah, j’aime bien entendre ça. Tu disais que c’était difficile, au début de l’année, et que tu n’y arriverais pas. C’est facile, aujourd’hui, pour toi, les mathématiques ? » ; « Oui, c’est qu’en CP, c’était compliqué, j’y arrivais pas. Cette année, c’est facile, je comprends tout. »
J’ai rebondi : « moi aussi, je trouve ça chouette et rigolo, les mathématiques. Je ne trouve pas toujours ça facile, ça dépend : les mathématiques sont un univers avec dedans des choses trèèèès différentes les unes des autres. Mais même quand c’est difficile j’aime quand même : faire des maths, c’est chercher, réfléchir, grandir dans sa tête, mais pas toujours trouver ce qu’on cherche. Et ce n’est pas grave : on apprend déjà beaucoup en cherchant. »
Comparaisons, mesures et grandeurs
Et sinon, faire des maths, c’est quoi, quand on est élève en CE1 ? Pour toutes et tous, c’est faire des calculs, manipuler des nombres, jouer avec les opérations, et résoudre des problèmes. C’est déjà très bien, ça, particulièrement résoudre des problèmes.
Mais je n’étais pas venue juste pour papoter : j’étais là pour développer une activité mathématique. Alors j’ai dégainé mon album jeunesse « Encore cinq minutes », de Maria Altés, aux éditions Circonflexe. J’ai lu l’histoire aux enfants, en faisant des pauses pour vérifier la compréhension, pour partager des évocations, pour chercher des détails dans les images. Le livre a pour thème la perception du temps pour papa renard, pour ses fils renardeaux, selon les contextes. Après la lecture, j’ai fait émerger le thème, ce qui n’a pas été spontané. Mais j’avais le temps, moi : avec Christelle, je me sens toujours la bienvenue et je n’ai pas de pression. Elle est là, avec nous, elle rebondit, enrichit, prend des tas de notes pour moi, et me permet de travailler en confiance. C’est important, car ainsi, je peux aussi me « planter » en toute confiance. C’est à ce prix que je crée de nouveaux outils.
Une fois le thème du livre (et de ma séquence) dégagé, j’ai choisi des pages et j’ai demandé aux enfants de trouver les mots du temps. Ils en ont trouvé beaucoup, presque tous en fait, et n’en ont pas cité qui n’étaient pas pertinents. Puis chacun a quitté le coin lecture et rejoint sa place pour la deuxième séance, que j’enchainais directement à la suite de la première.
« Alors, ce papa, comment perçoit-il le temps ? » Les élèves ont répondu : « il est toujours en retard », « il est toujours pressé », « c’est comme maman », « c’est comme les adultes ». « Et vous, vous percevez le temps de la même façon ? », ai-je demandé. Alors là, « non » a été la réponse commune : non, parce que ça dépend de ce qu’on fait. Bien, nous y voilà.
J’ai énoncé la consigne : « Je vais vous proposer des situations. Pour chacune, vous allez écrire, sur votre ardoise, « long » ou « court ». Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, je voudrais juste votre avis à vous. Alors pas la peine de regarder les réponses des autres élèves : c’est chacun de vous qui m’intéresse ». Autant vous dire que la situation « se brosser les dents » est vécue majoritairement comme « longue », alors que la situation « la récré du midi » est jugée courte. Nous avons recensé toutes les réponses, Christelle et moi, puis nous avons synthétisé : nous-mêmes n’avions pas le même ressenti sur des situations identiques, pour des arguments pourtant communs. Par exemple, Christelle a trouvé les vacances d’été longues, car elle a fait des tas de choses. Exactement pour la même raison, mes vacances m’ont semblé courtes. J’avais besoin de cette étape pour y revenir plus tard : je voudrais montrer l’importance de la mesure comme élément objectif, qui permet d’identifier interprétation et réalité.
Pour la suite de mon activité, nous avons écouté des musiques et les élèves les ont classées de la plus courte à la plus longue, selon eux. Nous avons comparé les réponses, un peu parlé de la mesure des durées, et de leurs stratégies. Et nous nous sommes arrêtés là, car la troisième séance est très différente et exige que je ramène du matériel.
De mon point de vue, nous avions eu une véritable activité mathématique : verbalisation autour des durées, résolution de problèmes, comparaisons, mesures et grandeurs. Et tout avait super bien roulé : les enfants ont été plus rapides que prévu. J’ai fait quelques erreurs de vocabulaire, que j’ai identifiées ; c’est bien pour éliminer cela que j’étais là. Pour le reste, les deux premières séances ont bien fonctionné. J’étais donc guillerette et satisfaite. J’ai enfilé joyeusement mon manteau, je me suis tournée vers les enfants, et je leur ai dit : « merci, les enfants. Je suis vraiment contente d’avoir fait votre connaissance. Je reviendrai bientôt. » Un petit garçon m’a répondu : « Ouaaaais, super ! Et on fera des maths, cette fois-là ? »
Claire Lommé