L’éducation émancipatrice a-t-elle un avenir ? La troisième biennale internationale de l’Éducation Nouvelle s’est déroulée du 29 octobre au 1er novembre à Bruxelles. Réunissant plus de 500 participants et participantes, l’évènement était porté par huit mouvements pédagogiques, dont les CEMEA, le GFEN, le CRAP, L’ICEM Freinet… Jacqueline Bonnard, secrétaire nationale du GFEN revient sur l’enjeu de ces trois journées et le Manifeste qu’ont signé douze mouvements ou associations souhaitant rejoindre le collectif « ConvergENce(s) pour l’Éducation Nouvelle ».
Pourquoi une biennale ?
Nous souhaitions célébrer le centenaire du congrès de Calais et de poursuivre l’œuvre de nos prédécesseurs par la mise en place du mouvement ConvergENce(s) pour l’Éducation Nouvelle qui accueillerait de nouveaux mouvements sur le principe d’une base commune : le Manifeste pour l’Éducation Nouvelle 2022, intitulé « Le monde que nous voulons, les valeurs que nous défendons » conçu comme l’un des éléments d’un projet politique partagé. La biennale 2022 s’est ainsi déplacée vers Bruxelles, accueillie par le CERIA – campus universitaire bruxellois. L’idée de cette biennale a vu le jour à la suite de deux grands événements, l’un en 2015 et l’autre 2019, ayant permis les habitudes d’un travail coopératif.
En 2015, il s’agissait d’organiser une rencontre entre cinq associations et mouvements impliqués dans l’éducation formelle, non-formelle et informelle se réclamant de l’éducation nouvelle : CEMEA, CRAP, ICEM, GFEN, FESPI. L’objectif était de se rencontrer et d’échanger sur un socle commun de valeurs partagées, de pratiques en fonction des domaines d’intervention des uns et des autres. Il fallait également renforcer la visibilité des pratiques d’Éducation Nouvelle par une dynamique militante pour une éducation émancipatrice face à la libéralisation de l’école installant l’individualisation des parcours et la mise en concurrence. La première biennale organisée en 2017 à Poitiers permit ces échanges entre nos militants. En intégrant les fédérations internationales de nos mouvements – FICEMEA, FIMEM et LIEN, la deuxième biennale – en 2019 – a vu se renforcer la dynamique internationale grâce à un projet Erasmus+ instituant des échanges entre travailleurs de jeunesse de différents pays encadrant des jeunes dans leur formation individuelle et l’apprentissage de la citoyenneté.
Plus de 500 participants issus de 24 pays se sont inscrits à cette troisième biennale introduite par une conférence de Bernard Charlot : « L’être humain est une aventure. Pour une anthropo-pédagogie contemporaine ». Ils y ont alterné des temps pour penser, des temps pour partager – ateliers échanges de pratiques, des temps pour débattre – enjeux de nos sociétés et des temps pour vivre ensemble -découverte de Bruxelles et nombreuses activités culturelles.
Quelle place a le GFEN dans cette initiative ?
Le GFEN a été créé en 1922, en filiation directe avec le congrès de Calais de 1921. Il ne pouvait que répondre positivement à l’initiative de 2015 prise par les CEMEA en la personne de Jean-Luc Cazaillon alors président de ce mouvement. Notre mouvement fait partie du comité de pilotage de ces biennales, apporte sa contribution à l’organisation de ces évènements, à la diffusion des informations en amont et en aval de l’évènement. Pour la biennale 2019, il a été le support du projet Erasmus+ qui a contribué à développer la partie internationale de l’évènement.
Par son expérience de la formation dans les milieux difficiles – REP+ et publics en grande précarité, son approche anthropologique du savoir, l’articulation entre théorie et pratique, le GFEN donne à voir sa singularité dans une culture commune mais multiforme.
Quel intérêt de ce type d’évènement ?
Lors de la séance d’ouverture, Bernard Charlot a posé cette question : « Qu’avons-nous à proposer aux jeunes face aux défis climatiques, environnementaux et sociaux ? ». Dans un monde de plus en plus dur où l’on voit la résurgence de l’intolérance, du rejet de l’autre, où l’individualisme et la rivalité compétitive sont érigés en vertu, il devient urgent de redonner à l’Éducation Nouvelle toute sa place dans les enjeux éducatifs à l’échelle internationale. Cent ans après le congrès de Calais, nos organisations sont là, vivantes, actives et essentielles, porteuses d’une vision émancipatrice de l’être humain.
Faire alliance, accueillir au sein de « ConvergENce(s) pour l’Éducation Nouvelle » les organisations de tous pays qui agissent au quotidien selon de mêmes principes et valeurs devient donc une nécessité politique majeure. C’est un des objectifs que se sont fixé les mouvements organisateurs de l’évènement.
L’Education Nouvelle, est-elle encore une réponse adaptée aux difficultés rencontrées par l’École ?
Le courant de pensée de l’Éducation Nouvelle se caractérise par la conception d’une éducation émancipatrice s’appuyant sur le principe d’éducabilité pour tous les élèves. Les militants et militantes de nos mouvements sont concepteurs de pratiques produisant de la pensée critique et complexe qui permettent la confrontation au réel tout en favorisant le débat et la controverse, qui articulent savoir, imaginaire et création, qui rapprochent au lieu d’isoler et qui donnent du sens aux apprentissages. Intégrer l’aventure humaine des savoirs participe du sentiment d’appartenance à l’espèce humaine tout en permettant de s’interroger sur les choix à opérer pour maintenir sa survie. Redonner du sens à apprendre pour l’élève est tout aussi important que de redonner du sens à enseigner pour l’enseignant. Cela passe par la mise en place de collectifs vivants et actifs pour réinventer en permanence une éducation en prise avec les réalités du monde contemporain et des sociétés au sein desquelles nous vivons. Le pari d’éducabilité se situe dans la force de nos pratiques. Leur modernité signe cette ambition éducative, sociale, politique et culturelle.
Une réponse aussi à la montée des extrêmes et aux différents défis que nos sociétés doivent relever ?
L‘éducation Nouvelle est politique au sens noble du terme. Elle choisit le camp de la transformation sociale et le refus des rapports de domination, parce qu’elle porte l’ambition de lutter contre toutes les formes de pauvreté, d’injustice sociale et de discrimination en promouvant une culture pour la paix. Quels que soient les lieux d’intervention – éducation formelle, informelle ou non-formelle – et dans le cadre d’une formation tout au long de la vie, l’approche que nous promouvons est celle d’une éducation globale travaillant sur les rapports entre les différents temps sociaux, entre discontinuité et complémentarité des espaces d’éducation. Ces enjeux sont présents, de façons différentes, dans beaucoup de pays du monde. Penser l’Éducation nouvelle ne peut se faire que dans une perspective internationale qui place l’humanisme au cœur du projet politique. L’apport d’expériences issues de contextes multiples contribue au développement d’une culture commune internationale sur les conditions d’une éducation émancipatrice.
A l’issue de trois jours de rencontres, que doit-on retenir de cet événement ?
Tout d’abord, la grande réussite de cette biennale : plus de 500 personnes représentant 24 pays, un climat particulièrement serein, des gens au travail mais aussi un accueil – géré par les associations belges – à la hauteur des enjeux et qui a très largement contribué à cette belle réussite.
Mais il faut surtout retenir la signature du Manifeste par douze mouvements ou associations souhaitant rejoindre « ConvergENce(s) pour l’Éducation Nouvelle ». L’idée principale de ce manifeste est que « Toute éducation est politique car elle contribue à forger la société à venir ». Nous sommes accordés sur quatre défis qu’il nous faut relever.
Le premier, construire un récit désirable. Notre pédagogie est peu connue, pas reconnue. Il nous faut affirmer une parole politique, dans nos pays respectifs, en Europe et dans le monde et définir de nouvelles modalités de coordination de cette parole.
Le second, militer pour une approche globale de l’Éducation qui « lutte contre la barbarie ». L’enjeu est grand de mieux travailler sur les complémentarités entre les temps éducatifs : de la place de la famille en passant par l’école, les loisirs, la culture.
Le troisième, Converger sans enfermer, accepter de diverger …. Tous unis mais tous différents ! Nous avons franchi une étape significative dans cette Biennale mais la route est longue et il est nécessaire de continuer à mieux nous connaître. Il nous faut identifier les points communs, mais aussi les divergences, les nœuds en nous inspirant les uns les autres dans nos façons de faire.
Et le dernier défi, c’est de faire de ConvergENce(s) l’affaire de toutes et de tous, partout, du local à l’International. Loin d’une logique d’appareil, ConvergENce(s) doit concerner chacune et chacun dans son territoire, dans son quotidien. La place des jeunes doit y être réfléchie, comme le fait que ConvergENce(s) puisse exister dans tous les territoires, sans négliger les territoires isolés.
La route est encore longue mais nous sommes engagés dans une dynamique ouverte qui doit donner envie au plus grand nombre.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda