Comment mener une démarche de transition écologique qui va au delà des écogestes ? Une fois n’est pas coutume, c’est la principale d’un établissement qui explique le projet de forêt comestible mis en terre en Haute-Garonne. Marie-Christine Delpal, principale du collège de Cintegabelle, consacre 2700 m² de son établissement pour une « mini-forêt gourmande . Des trios de jeunes fruitiers ont été associés à des arbustes comestibles et fixateurs d’azote », explique la principale qui propose qu’à « chaque automne, les nouveaux venus au collège planteront eux aussi leur arbuste ». Ce projet durable vise à devenir une aire éducative terrestre pour être exploitée par toutes les disciplines.
Pourquoi cette « forêt comestible » dans votre établissement ?
Le collège de Cintegabelle a ouvert à la rentrée 2021 dans des locaux provisoires. La première cohorte de 80 élèves de 6ème et les personnels se sont installés dans le collège définitif en janvier 2022. Le nouveau collège est un bâtiment HQE (Haute Qualité Environnementale). De plus, il est situé dans un environnement agricole, à proximité de l’Ariège et d’une zone Natura 2000. Inspirée par cet environnement, l’équipe de personnels s’est vite mobilisée pour développer une démarche de transition écologique qui irait au-delà des éco-gestes habituels.
En septembre 2021, les espaces verts étaient en cours de finalisation. Des négociations ont été conduites entre la direction de l’établissement et la collectivité territoriale afin d’identifier des espaces extérieurs réservés à des utilisations pédagogiques. L’objectif est de rendre accessibles des aires végétales qui ne soient pas uniquement à visée ornementale. Nos interlocuteurs se sont montrés réceptifs à une démarche innovante : créer une zone d’exploitation en agroforesterie sur le site d’un collège en Haute-Garonne. Ainsi, 2700 m2 ont été réservés et préparés en conséquence par la collectivité. Des arbres et arbustes fruitiers ont été intégrés dans la dotation végétale. Enfin, le conseil d’administration a approuvé le fléchage de moyens financiers, sur la part d’autonomie, pour la transition écologique.
Toutefois, se posait la question de l’entretien de cette zone. L’expérience de création de potagers ou jardins pédagogiques en établissement scolaire montre que leur pérennité repose sur les bonnes volontés de personnels enseignants. Or, leur métier premier et leurs nombreuses activités ne permettent pas de dégager le temps et ressources pour un suivi de long terme. Par ailleurs, il ne s’agit pas de faire reposer l’entretien des espaces sur les seules épaules des agents de collectivité.
Pour contourner cette difficulté, il est prévu de confier l’exploitation des terrains à des professionnels de l’agroforesterie. Ces professionnels seront organisés en structure associative, car intervenant sur un espace public. En cela, nous suivons l’exemple donné par Veni Verdi, opérateur depuis de nombreuses années au collège Pierre Mendès France, à Paris. Pour le collège de Cintegabelle, l’identification de l’association partenaire, la recherche de financements publics pour la création d’emplois, ainsi que la contractualisation de l’utilisation des terrains est en cours.
Par ailleurs, afin de favoriser une restauration du terrain sans intrants chimiques, le choix de la permaculture s’est « naturellement » imposé. L’implantation de la mini-forêt gourmande (aussi appelée forêt jardin ou forêt comestible) constitue, en quelque sorte, la base, le socle d’une exploitation ultérieure en agroforesterie.
Comment s’est organisée la plantation ?
Le 10 mars 2022, toute l’équipe du collège, aidée de partenaires extérieurs, s’est retrouvée au collège pour mettre les mains dans la terre aux côtés des élèves de 6ème. En amont, les éco-délégués avaient présenté à leurs camarades le principe d’une mini forêt gourmande. Ils ont également contribué à planifier la préparation du terrain : sur une demi-journée, les élèves ont enlevé les résidus de chantier et les nombreuses pierres qui jonchent un terrain argileux.
Ensuite, une très grande diversité de végétaux a été plantée, végétaux qui grandiront en structure multi-étagée, comme on peut le voir dans les rares forêts nourricières existantes en Europe (Grande Bretagne, Espagne et France). Des trios de jeunes fruitiers (pommiers , poiriers, pêchers de vigne, plaqueminier, noisetiers, cerisiers, tilleul, figuiers, arbre-mûre etc..) ont été associés à des arbustes comestibles (plus de 60 plans de framboisiers et autres groseilliers, cassis, arbousiers) et arbustes fixateurs d’azote. La strate herbacée est constituée pour l’instant d’aromatiques et la rhizosphère de fraisiers, menthe, consoude, épiaire. S’y ajoutent des plantes grimpantes telles que kiwi, vigne, chèvrefeuille et passiflore, qui s’accrocheront aux grillages bordant les extérieurs du collège. Il est aussi prévu de semer des engrais verts sur de petites zones non paillées.
Organisés en groupe de 12 à 15, les élèves ont été encadrés par les personnels enseignants, de vie scolaire, AESH et agents de la collectivité territoriale, chaque personne présente plantant de concert un minimum de 2 végétaux. La zone plantée est actuellement recouverte de paille et BRF , éléments essentiels à la régénérescence d’un sol très appauvri par les travaux de construction, et à une utilisation raisonnée de l’arrosage.
La mobilisation de la communauté éducative a été extraordinaire : parents d’élèves, grands-parents, agriculteurs locaux, banque locale partenaire, voisins, ce sont près de 30 personnes qui se sont relayées auprès des élèves et personnels. En plus du temps donné pour aider à pour creuser les trous ou montrer comment planter un arbre, les dons ont été abondants : arbres, arbustes et graines, prêt de matériel de plantation, don de paille par des parents agriculteurs, don de BRF par la municipalité. Élèves et personnels se sont sentis soutenus par des adultes habituellement extérieurs au quotidien d’un collège. Ceci a été l’occasion d’échanges nourris entre tous et les premiers changements dans les relations internes à l’établissement se font d’ores et déjà sentir, notamment entre agents et élèves. Il est maintenant entériné qu’à chaque automne, les nouveaux venus au collège (élève comme personnel) planteront eux aussi leur arbuste.
Au final, 1550 m2 ont été utilisés pour installer plus de 200 végétaux -alors qu’au départ, nous avions prévu une plantation sur 650 m2 ! Ce moment fort, très fédérateur, a eu un coût qui nous semble très raisonnable autour de 2000 euros.
En quoi créez-vous une aide éducative terrestre ?
Si on prend le référentiel des aires éducatives terrestres, nous n’y sommes pas encore -en particulier sur la procédure de participation des élèves, car les zones implantées ont été choisies par la collectivité et la direction. Ceci étant, un des objectifs de la création de cette mini-forêt gourmande est qu’élèves et personnels s’approprient des zones d’étude en dehors de la classe (le fameux « faire cours dehors »), pour développer leurs connaissance in situ. Mais plus profondément, il s’agit aussi de montrer à tous les acteurs de la communauté éducative qu’ils détiennent, par des gestes simples, une véritable capacité d’agir pour la protection de la biodiversité. La reconquête de cette capacité à agir nous semble tout aussi essentielle que les dimensions pédagogiques et éducatives qui structurent cette action.
Comment cette zone va être exploitée dans le cadre de travail scolaire ?
Il va sans dire que les propositions de travail scolaire sont nombreuses et, à cet égard, il n’y a pas que le professeur de SVT qui prépare des séances sur transition écologique, loin s’en faut !
Un conseil pédagogique sur ce thème a permis de dégager les premiers axes de travail comme le suivi de plantation : réalisation de schémas de plantation par zones. A cet inventaire de plantation, s’ajoutera l’inventaire des arbres et arbustes ornementaux. Les années suivantes, les travaux pédagogiques seront centrés sur l’étude de l’évolution des sols, de la décomposition de la matière, de la croissance des végétaux et l’observation d’une faune diversifiée, d’un vivant non-humain auquel nous ouvrons grand les portes du collège.
En mathématiques, calculs de surfaces, de hauteurs, et empreinte carbone de l’établissement ; mais aussi la réalisation d’une exposition associant des réalisations en arts plastiques sur le thème de la forêt, des herbiers en SVT et les photos prises lors de la plantation.
Nous pensons aussi au printemps des poètes in situ, à partir de poésies écrites par les élèves de 6ème sur la thème de la Nature ; au carnaval des buissons, ateliers de préparation des desserts à partir des fruits récoltés, avec le service de restauration et aussi à des visites locales : zone Natura 2000, jardins partagés du village, exploitation agricoles en conventionnelle et maraîchage en permaculture.
Comment un chef d’établissement peut-il influer sur l’ambition écologique d’un collège ou d’un lycée ?
De mon point de vue, la création du collège de Cintegabelle représentait une opportunité unique pour dessiner, sur une page blanche, les grandes lignes d’un projet d’établissement axé sur la transition écologique (environnement rural et bâtiment HQE). D’ailleurs, toute l’équipe partage le sentiment d’être sur un site à « énergie positive » ! Par ailleurs, j’avais pu mesurer, sur un précédent établissement, que rendre une capacité d’agir aux acteurs locaux était possible. Et que cela correspondait à un désir profond de « faire quelque chose de concret » pour l’écologie, chacun à son échelle.
Ainsi, élus locaux et associations de quartier avaient soutenu l’équipe de ce collège REP+ pour implanter une micro-forêt sur une parcelle de 200m² d’espaces extérieurs. A Cintegabelle, les élèves, déjà sensibilisés aux notions de développement durable en primaire, montrent aussi un intérêt sincère, authentique pour les questions écologiques, comme les adultes d’ailleurs. Partant de là, la mobilisation a été aisée, d’autant qu’il fut décidé de lui donner corps dès l’installation dans les nouveaux locaux.
Au départ, nous envisagions de créer une micro-forêt, car il y a finalement très peu de bois ou forêts aux environs (le collège est situé dans une zone d’agriculture céréalière conventionnelle). Puis, après recherches, nous avons évolué vers une «mini forêt gourmande », plus appétissante ! Un appel aux contributions auprès des parents, appel relayé par la mairie auprès des habitants du village, a porté des fruits qui ont dépassé nos espérances.
La tâche est loin d’être finie, bien sûr, car au-delà de la labellisation E3D et la création éventuelle d’une aire terrestre éducative dans le cadre de la liaison école-collège, il s’agit de donner une identité pérenne, une coloration résolument « verte » à cet établissement, au travers d’action concrètes renouvelées tous les ans. Peut-être que ceci facilitera une diversification des parcours d’orientation vers les filières de l’écologie et du développement durable ? C’est notre pari collectif, en tout cas…En plus de la récolte des fruits et du recensement des oiseaux, papillons et vers de terre.
Propos recueillis par Julien Cabioch
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