» Alors moi déjà, j’ai appris que les maths ça sert dans toute la vie ». Ils en pensent quoi des maths, les élèves ? Claire Lomé interroge ses sixièmes. Les maths ça sert à apprendre à réfléchir. Et puis il y en a partout. Et aussi ça développe l’imagination. Tout cela les profs de maths le savent. Mais quand c’est des élèves de 6ème qui le disent…
« Les maths ça sert dans toute la vie »
Aujourd’hui, j’ai une heure libre. Je vais pouvoir écrire tranquillement mon article de la quinzaine pour le Café. Mais à peine ai-je le temps de m’en réjouir qu’on toque à la porte : « madame, on a perm, est-ce qu’on peut venir. On est sept ». Mes élèves (et aussi des élèves que je ne connais pas, manifestement) savent qu’ils peuvent toujours tenter leur chance. Que j’aie cours ou pas, ils peuvent venir dans ma très grande salle et rester au fond si j’ai classe, profiter de la bibliothèque, de la ludothèque, de la table à bricolage ; et si je n’ai pas d’élèves, ils peuvent investir l’espace comme bon leur semble. Seule consigne : ne pas me casser les oreilles et se parler avec respect. Parfois je joue avec eux, parfois je les aide à faire leurs devoirs, souvent je cherche à leur faire comprendre quelque chose qui coince en maths. Presque toujours, j’abandonne ce que je faisais pour me consacrer à eux.
Aujourd’hui, ce sont eux qui vont m’aider. Je leur explique que j’ai un article à écrire, que cet article doit parler de maths, d’élèves, de la vraie vie, et que je n’ai pas d’inspiration là tout de suite.
Amina : Hé bien madame, on va vous aider. On va vous expliquer comment c’est les maths au collège, ce que vous nous apprenez et tout.
Moi : Heu, d’accord.
Amina : Alors moi déjà, j’ai appris que les maths ça sert dans toute la vie. Pour moi les maths c’est important, parce que les divisions, les multiplications, les nombres à virgule, c’est utile partout. Par exemple ce que j’aime moi c’est le basket. Hé bin des maths on en fait quand on prépare nos stratégies : on dessine la courbe de nos déplacements, on parle de vitesse et de la direction de la balle, pour marquer, et c’est hyper précis. Et aussi par exemple quand je serai grande, pour les agents immobiliers, les maths ça sert avec les mètres carrés et les prix et les pourcentages tout ça. Quand on fait de la couture, qu’on fait des vêtements, c’est des maths aussi. Je ne pense pas qu’il existe un métier où il existe pas de maths. Les gens qui disent que ça existe c’est parce qu’en fait ils savent pas que ça existe. Ils savent même pas que ça leur manque.
Salia : moi, j’ai appris que les maths c’est pas que les nombres. Déjà les nombres c’est compliqué : c’est pas juste des chiffres, c’est pas juste des caractères, c’est même pas juste des quantités. Un nombre, c’est quelque chose de numérique qui sert à calculer dans sa tête et on peut écrire ses calculs du coup, mais on n’est pas obligé. Faire des maths, c’est apprendre comment ça marche les maths, d’où ça vient tout ça. C’est intéressant, parce que même si on ne sait pas qui a créé les maths, on comprend comment ça se construit. C’est toute une histoire.
Leny : et puis les maths c’est aussi la géométrie : on étudie les formes, les distances, les droites, les points. On croit que ça sert à rien, à part avoir le vocabulaire pour se comprendre quand on parle, mais en fait ça sert à visualiser dans sa tête. En dessin finalement la géométrie c’est pas ce qu’on utilise le plus. Dans la vraie vie on n’est pas symétrique par exemple. Mais ce n’est pas ça qui compte : ce qui compte c’est que ça nous fait comprendre dans notre tête à nous. Enfin dans ma tête à moi, en tout cas. J’ai l’impression qu’elle s’agrandit du dedans.
Salia : on fait aussi des maths quand on fait des concours de programmation. Ça fait réfléchir, on doit faire des stratégies et tout et deviner des choses. Et on croit qu’on joue au départ, et puis quand c’est fini on est si fatigués, et après on comprend que c’est parce qu’on a beaucoup cherché, beaucoup réfléchi, et il fallait être logique, chercher les indices, essayer, recommencer, corriger.
Les maths c’est magique
Leny : c’est comme quand on fait des tours de magie, c’est très mathématique derrière. On trouve le bon résultat à chaque fois, parce qu’en fait on peut prévoir, parce qu’on a compris. Moi je trouve que les maths et la magie c’est un peu pareil : on ne comprend pas au départ, et au final hé bien tout s’explique. Mais ça reste fascinant, enfin moi ça me fascine. Les maths, c’est logique. C’est toujours logique. J’aime bien ça, parce que ça me rassure. Et en même temps ça m’énerve quand j’y arrive pas parce que je sais que je devrais comprendre puisque c’est logique.
Salia : donc en fait les maths ça sert surtout à apprendre à réfléchir. On réfléchit aussi dans les autres matières, mais en maths c’est pas pareil parce que c’est beaucoup plus dans notre tête. Des fois c’est dur parce que quand on sait pas calculer par exemple, on peut réfléchir quand même mais on bloque. On a une idée et on peut pas forcément en faire quelque chose. C’est énervant, parce qu’on sait qu’on a une piste, mais on n’est pas capable d’avancer. C’est pour ça qu’il faut apprendre aussi, c’est parce que sinon…
Amina : c’est comme au basket. Même avec notre super stratégie, si on n’est pas capable de tenir physiquement, on n’y arrivera pas.
Salia : quand même les maths c’est spécial. Quand un prof explique mal, on ne comprend rien. Pourtant c’est facile quand c’est bien expliqué.
Amina : un truc que vous m’avez appris, c’est à voir des maths partout partout. Ce weekend dans un magasin j’ai vu des tas d’objets avec des mathématiques. Je ne sais pas si c’était vraiment voulu, que ce soit des mathématiques, mais moi je les voyais.
Salia : moi ce que j’aime bien c’est le monsieur que vous nous avez montré qui fait des formes dans le sable. Dès que je suis sur une plage je fais de la géométrie du coup. Moi avant je voyais pas non plus des maths partout. Mais comme au collège les profs ils sont spécialisés, ils nous expliquent différemment. Et puis on est plus grands, on comprend mieux.
En maths il faut imaginer
Leny : au collège, les maths c’est plus difficile mais en même temps plus on avance, plus on y arrive et ça devient plus facile. En primaire on n’apprend pas de la même manière. Moi en primaire j’ai appris à faire plein de choses mais je n’avais pas compris pourquoi je les faisais comme ça. On était trop petit pour comprendre, je crois, du coup c’est bien comme ça. Au collège, on nous explique comment ça marche.
Salia : en primaire je ne réfléchissais pas trop parce que je n’étais pas attirée par les choses mathématiques. J’ai changé. En mathématiques on peut vraiment faire des maths et en même faire des choses amusantes : on fait de l’art, on voit des maths dans la musique, dans les BD, à la télé, tout ça, j’aime bien.
Amina : en maths, il faut beaucoup imaginer. Déjà il faut avoir plusieurs idées pour pouvoir avancer sans se bloquer. On peut avoir des idées rigolotes, ça demande de l’imagination et même de la créativité. Dans un problème c’est pareil. Parfois c’est pas bon. Mais se tromper en maths, c’est normal. Ce n’est pas grave, c’est parce qu’on apprend. Il faut réessayer et ne pas lâcher l’affaire. L’erreur est humaine.
Amina : moi je me dis c’est pas normal, c’est pas bien, j’aurais dû y arriver. Je me dis je suis nulle. Mais ça me fait ça aussi dans les autres matières. Quand j’écris quelque chose de faux, j’ai besoin de gribouiller dessus parce que je ne veux plus voir ce qui est faux. En maths on a du brouillon parce qu’il faut chercher pour trouver, et j’aime bien parce que après je le jette et je ne le vois plus.
Moi : qu’est-ce que vous avez aimé, comme activité, jusqu’ici, en maths ?
Salia : moi j’ai aimé quand on a dessiné par terre dehors parce qu’on était autonome et c’était drôle. En même temps c’était compliqué, il avait fallu qu’on s’entraîne et tout. Et puis on ne fait pas des maths dans la cour tous les jours. On a appris des choses et en même temps on a appris aux autres parce qu’après dans la cour les autres classes ils demandaient et on pouvait leur expliquer. Ca donnait l’impression qu’on était très forts, qu’on était des savants, un peu.
Amina : quand on travaille sur les anamorphoses aussi c’est super. En plus il y a de la musique. Et faire le film sur la divisibilité j’ai envie. Les maths c’est pas juste calculer, c’est des projets à faire, apprendre en s’amusant, c’est plusieurs trucs à la fois. C’est pas une seule chose. Moi quand j’étais petite je croyais que les maths c’était calculer, calculer, calculer. Mais en fait c’est plus que ça. En primaire on nous prépare pour savoir faire les choses, et au collège on devient comme des chercheurs. On s’amuse parce qu’on fait vraiment des maths, c’est nous qui les créons, vous voyez, madame ?
Oui, très bien. Je vois très bien.
Trois élèves de sixième un lundi matin, m’ont épatée, donné de l’énergie, et mon article est écrit. Magnifique.
Claire Lommé