JM Blanquer a beau dire que la rentrée s’est faite « dans la joie » et que « tout est prêt » pour assurer l’enseignement, la réalité est toute autre. Les allégations selon lesquelles la France a fait « la meilleure rentrée » d’Europe sont du même tonneau. L’Ecole française termine ces six premières semaines de classe au bout du rouleau. La Covid y a sa part. Mais il est surtout l’élément imprévu qui révèle toutes les crises et les faiblesses qui s’accumulent depuis 2017.
Pour connaître l’état d’esprit des enseignants en cette fin de mi trimestre on dispose du sondage réalisé par Opinion Way pour le Snes. L’échantillon d’enseignants qui a été sondé a été exposé à une liste d’adjectifs sur leur humeur du moment. Il s’en détache trois mots : inquiet, fatigué, désabusé.
Fatigués
Fatigués, les professeurs le sont comme jamais. Il y a la fatigue liée à la gestion sanitaire. Porter le masque toute la journée, avoir du mal à entendre les élèves, être obligé de forcer sa voix. Le masque brouille aussi les messages non verbaux qui sont indispensables pour se comprendre. André Tricot raconte une belle anecdote à ce sujet. Des chercheurs de l’Illinois ont évalué la compréhension d’un cours de maths selon que le professeur pouvait se servir librement de ses mains pour s’exprimer ou devait les tenir dans son dos. Quand le professeur parle sans ses mains son cours et nettement moins compréhensible. Alors imaginez sans la mimique du visage, avec une voix altérée.
Cette fatigue physique est aussi une fatigue morale. Celle du « beau travail » que l’on ne peut plus faire parce que la sécurité sanitaire bloque les élans, occupe les esprits, empêche des initiatives, génère des tensions. Celle de l’isolement parce qu’on ne peut plus autant fréquenter les collègues, déjeuner avec eux et qu’on est davantage seul avec ses problèmes. Cette fatigue ne touche pas que les enseignants. La moitié des chefs d’établissement sont déprimés selon une étude récente.
La fatigue morale vient aussi du déni que vivent les professeurs. Alors que le gouvernement prône les « gestes barrières » avec raison, il les a supprimés dans les écoles. Le nettoyage est limité au maximum voire moins parce que le personnel tombe malade. Le lavage régulier des mains est impossible dans de nombreux établissements. La distanciation, n’en parlons même pas. Il ne reste que le masque éducation nationale qui n’inspire pas la confiance. Mais il y a pire. Pour pouvoir maintenir les écoles et établissements ouverts, le ministère a revu les consignes de fermeture et la détection des cas contacts. Comme le brassage des élèves est la situation ordinaire celle-ci de toute façon est impossible. Les enseignants touchent du doigt une réalité affichée moins brutalement jusque là : ils ne comptent pas au regard de leur institution.
Désabusés
Désabusés, les enseignants ont des motifs de l’être. Certes le ministre lâche un peu de lest. Les directeurs toucheront une prime exceptionnelle (qu’ils n’y reviennent pas !). On reprend le jeu des propositions de revalorisation qui avait disparu depuis février. Mais celle ci ne devrait concerner qu’une minorité, peut-être une infime minorité, d’entre eux. Certes le ministre lâche un mot aimable à leur égard de temps à autre. Mais les promesses ne sont toujours pas tenues, même celles qui ne coutent pas grand chose comme assurer aux directeurs le temps libre auquel ils ont droit. Le style de gouvernance est resté le même. De belle formules à la véracité fort variable devant les caméras. Et l’ignorance complète des demandes des représentants des enseignants. Un bel exemple en a été donné récemment avec le bac : tous les syndicats veulent un autre calendrier, d’autres épreuves, un autre programme de français au lycée, mais le ministre ne tient aucun compte de ces refus unanimes.
Inquiets
C’est cela qui alimente l’inquiétude bien plus que la Covid. Depuis mars, les enseignants constatent l’impréparation de l’Ecole à la crise sanitaire et à la crise sociale. Après l’été perdu, où rien n’a été fait pour trouver des locaux, mettre en place des points d’eau obligeant les élèves à travailler dans des conditions sanitaires médiocres, l’automne a lui aussi été perdu. L’hiver arrive avec de nouveaux problèmes comme l’aération. Apparemment seule la région Auvergne Rhône Alpes semble s’en être aperçue et propose des purificateurs d’atmosphère.
Rien n’a été prévu sur le plan pédagogique. Le ministre a beau dire que 100 000 professeurs ont été formés à l’enseignement à distance, on e les rencontre pas sur le terrain. Les enseignants craignent à juste titre de se retrouver à nouveau à improviser et à faire face à des situations pédagogiques difficiles en cas de reconfinement. Au lieu d’alléger les programmes et les examens, le ministère a quasi maintenu ceux ci et se paye même le luxe de charger la barque du français. Les élèves doivent travailler plus vite, sur des programmes très lourds alors qu’ils ont sauté une partie des acquisitions de l’année dernière. De fait la fonction de tri de l’école s’accélère. Même les mauvais résultats du système (en maths mais aussi dans les classes dédoublées) ne sont pas pris en compte par le ministère qui les nie ou les ignore.
Tout cela commence à prendre la forme d’une crise. Jamais on n’a vu un ministre de l’Education aussi rejeté par les enseignants. Après le baromètre Unsa qui montrait que seulement 6% des enseignants adhéraient aux réformes, le sondage du Snes trouve 80% d’enseignants insatisfaits de la gestion de la crise sanitaire. Le ministre est clairement dans une impasse sur ses résultats et sur sa relation avec les enseignants. Le budget 2021 reste un budget d’austérité tempéré par l’annonce de la petite revalorisation promise. Rappelons que les accords PPCR représentaient 700 millions de revalorisation, le double de ce qui est au budget 2021. L’inquiétude c’est de vivre une année dans une relation insatisfaisante avec les élèves, dans l’angoisse des mauvais jours à venir, dans des difficultés pédagogiques insolubles. Une année terrible.
François Jarraud