Pour Jean-Michel Blanquer, « c’est un moment historique pour l’école ». Selon les données de la Depp qu’il a révélé au Journal du dimanche du 3 novembre, le niveau remonte. Or l’analyse des données est nettement moins positive. Globalement la couteuse politique de dédoublement porte des fruits bien maigres. Pire encore l’écart entre les élèves de Rep+ et les autres augmente. Comme en 2018, la communication triomphante du ministre tente d’occulter l’échec de sa politique. Pour Roland Goigoux, « on n’a pas du tout ce qu’on espérait ».
Des déclarations ministérielles non confirmées par les faits
« Les évaluations réalisées en cette rentrée – les deuxièmes complètes après celles de 2018 – montrent des progrès significatifs sur les points clés : la fluidité de lecture et la capacité de calcul. Nous vivons un moment historique pour l’école : d’une part, la maîtrise des savoirs fondamentaux est en hausse – autrement dit : le niveau des élèves remonte – et d’autre part, l’amélioration est plus forte pour ceux qui viennent des territoires les plus défavorisés. Ça répond à mes deux objectifs principaux : hausser le niveau général, assurer plus de justice sociale », affirme JM BLanquer dans le Journal du Dimanche du 3 novembre.
Le communiqué de presse du ministère va dans le même sens mais plus prudemment. « Entre 2018 et 2019 le niveau des élèves de CP est resté stable. En revanche en CE1 on observe des progrès en français dans 5 domaines sur 6 et en mathématiques dans 5 domaines sur 7. En outre, l’écart entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux hors de l’éducation prioritaire décroit en début de Ce1 ».
Pas de progrès en CP, peu en CE1
Mais l’étude réalisée par la Depp sur ces évaluations 2019 apporte un éclairage qui ne confirme pas ce succès « historique ». En CP la comparaison entre les résultats 2018 et 2019 montre très peu de changements en français si ce ne sont des régressions comme en compréhension de mots et en reconnaissance de lettres, que moins d’élèves réussissent. En maths on ne constate de réel progrès qu’en écriture de nombres. Au CE1, en français les progrès sont modestes : 71% d’élèves réussissent en lecture à voix haute de texte en 2019 contre 70% en 2018; 82 contre 77% en compréhension de phrase. En maths un item régresse (représenter des nombres) , beaucoup sont stables et on observe quelques progrès le plus fort étant dans la position d’un nombre (86% de réussite contre 81%).
Une réduction de l’écart entre éducation prioritaire et hors éducation prioritaire…
Malgré les progrès dans l’écart entre éducation prioritaire et ordinaire, l’écart entre Rep+ et hors EP reste de 33 points en compréhension en français et 25 points en résolution de problème en CP. En CE1 l’écart reste de 33 points en français et 21 en maths.
« En CP, pour les exercices directement comparables, les écarts évoluent très peu en 2019 par rapport à 2018. En revanche en CE1, en 2019, en français, ces écarts public hors EP/ EP diminuent dans tous les domaines sauf pour la compréhension orale de mots (+ 0.5 point) où ils n’évoluent pas significativement. La réduction de ces écarts est particulièrement forte à l’entrée en CE1 par rapport à 2018 pour la lecture de mots (- 3 points), l’écriture de syllabes (-3 points), l’écriture de mots (-2.6 points) et la lecture de textes (-2.2 points) », note la Depp.
Mais une dégradation de la situation en Rep+
Mais si les écarts se réduisent faiblement entre éducation prioritaire (EP) et non EP, l’écart entre Rep et Rep+ augmente. Le document Depp ne s’étend pas sur cette réalité. Mais les données de la Depp le donnent à voir. Ainsi en lecture de texte 70% des élèves ont un niveau satisfaisant en Ce1 en 2017, 72% en 2019. En Rep c’est 59 et 65 ce qui montre une nette progression. En Rep+ on passe de 56 à 57%. En calcul mental, on passe de 71 à 77% en hors E.P., de 69 à 70% en Rep de 66 à 66 en Rep+.
Roland Goigoux : » on n’a pas du tout ce qu’on espérait »
« Quand le ministre dit que le niveau monte, il parle du niveau moyen. Mais quand on regarde entre Rep et Rep+ c’est le fiasco », nous a dit Roland Goigoux, un spécialiste reconnu des apprentissages qui avait déjà analysé les résultats de 2018. « En Rep+ les performances sont toujours aussi mauvaises. S’il y a une réduction entre éducation prioritaire et hors éducation prioritaire, elle est légère. L’effet des dédoublements est positif mais faible. Les dédoublements ne fonctionnent pas ».
R Goigoux souligne par exemple qu’en lecture à haute voix, « la mesure fétiche de la fluence », 15% des élèves sont sous le seuil 1 (en grande difficulté) en éducation prioritaire et 21% en Rep+. En Rep+ 43% des élèves sont en difficulté en début de Ce1 : ce n’est pas un progrès du tout ». Pour lui, « on n’a pas du tout ce qu’on espérait malgré l’énorme effort budgétaire ».
Des évaluations qui n’aident pas les enseignants
Cette réalité se lit aussi dans l’accueil fait par les enseignants aux évaluations. Seulement un tiers juge qu’elles influencent leurs pratiques. Seulement 18% des enseignants estiment que les évaluations les ont aidé à déceler des difficultés chez leurs élèves. Là aussi le décalage est de taille avec la rhétorique ministérielle qui affirme que les évaluations apportent des réponses aux enseignants.
Une communication biaisée en 2019 comme en 2018
Déjà en janvier 2019 JM BLanquer était venu à TF1 pour vanter les résultats des dédoublements. « C’est un résultat très bon… Les élèves concernés ont fait des progrès importants. On a réussi à monter le niveau de ceux qui sont dans la plus grande difficulté », disait-il. Le ministre jugeait très significatifs des résultats de 8 % d’écart-type en français et de 13% en mathématiques, en faveur des élèves de REP+. Or une note synthétique de l’IPP sur l’effet de la réduction des classes, rédigée par Adrien Bouguen, Julien Grenet et Marc Gurgand, annonçait de tous autres résultats. » Le dédoublement de la taille des classes (de 24 à 12 élèves par classe) conduirait, d’après les études recensées dans cette note, à une amélioration des performances scolaires comprise entre 20 % et 30 % d’un écart-type ».
C’est cette promesse d’un impact important qui, d’après les auteurs, justifiait un investissement financier aussi important. De 2017 à 2019 ce sont près de 12 000 postes qui ont été investis dans les dédoublements. Le gouvernement s’apprête à réduire aussi les effectifs des classes de GS, CP et Ce1 avec 10 000 postes supplémentaires. Ces postes sont trouvés en supprimant des dispositifs comme les maitres +, en remplissant les classes des autres niveaux ou en supprimant des emplois dans le second degré.
Echec d’une politique
Il s’avère que cette politique porte des fruits bien maigres et qu’elle est incapable de réduire les écarts entre les enfants de l’éducation prioritaire renforcée et les autres. En 2019 une étude danoise a confirmé la faible efficacité des dédoublements par rapport aux maitres surnuméraires (maitres +). Les chiffres diffusés le 3 novembre ne font que confirmer le peu de progrès et la régression sociale portée par la politique ministérielle.
François Jarraud
R Goigoux : Faire mentir les chiffres
Etude danoise sur les dédoublements par rapport aux maitres +