Le collectif Langevin-Wallon signe un riche ouvrage sur l’éducation prioritaire. Un mot sur ce nom du collectif pour commencer : pour vous, le plan et projet Langevin-Wallon est donc toujours d’actualité ?
La politique éducative depuis 2017, portée par une idéologie néolibérale autoritaire, remet en question très progressivement et insidieusement, le service public : elle en promeut davantage le secteur privé, insiste sur l’individualisation des réponses pédagogiques et affaiblit l’autonomie et la responsabilité pédagogique des enseignants.
Comme nous l’avons écrit dans une tribune de décembre 2023, nous voyons là une destruction des conquêtes issues du conseil national de la résistance de 1945. Le plan Langevin Wallon était centré sur le souci de l’égalité et de la réussite de tous, et non sur la sélection des meilleurs élèves des milieux populaires. Cette vision de l’école est encore parfaitement actuelle. La démocratisation de la réussite reste l’horizon indépassable de tout combat pour l’école.
Que nous dit l’histoire de l’Éducation prioritaire, portée depuis plus de 40 ans au gré des différents gouvernements ?
L’éducation prioritaire a été reconnue, notamment par la cour des comptes en 2018, comme la seule politique publique de lutte contre les inégalités scolaires d’origine sociale. Malheureusement, elle n’a bénéficié d’un engagement gouvernemental qu’à certaines périodes (1981-1984, 1990-1993,1997-2002,2006-2007,2013-2017). L’histoire nous enseigne donc que soutenir prioritairement les élèves les plus pauvres scolarisés dans les écoles et les collèges des mêmes quartiers n’est pas une vision partagée. Par ailleurs, des visées contraires ont parfois détruit les avancées antérieures. La suppression en 2017 du dispositif « Plus de maîtres que de classe » et la réduction de l’accueil des deux ans en maternelle en sont quelques exemples récents.
L’histoire nous apprend également que cette politique est souvent mal connue, réduite à quelques mesures emblématiques. Elle est également souvent mal comprise et confondue avec une politique globale de justice sociale (faire en sorte que tous les élèves des milieux populaires réussissent partout sur le territoire) quand son objet est de contrer les effets délétères sur les élèves de la ségrégation sociale qui sévit dans certains quartiers. Ces confusions et approximations sont à l’origine de nombreux malentendus.
Quel bilan de cette politique menée ?
Comment évaluer une politique qui n’a pas été mise en œuvre de manière complète et constante ? Et surtout qui, avant 2013, a toujours été très limitée dans les moyens qui lui étaient consacrés ? On peut grandement douter de toutes les évaluations qui concluent le plus souvent à une absence d’efficacité. Qu’évaluent-elles ? L’éducation prioritaire ou l’absence de volonté politique ?
En revanche, cette politique a toujours été accompagnée par les inspections générales et la recherche. Des équipes engagées ont aussi très souvent mené des pratiques pertinentes pour faire réussir leurs élèves. Ce travail patient et solide de l’institution dans son ensemble, malgré les errements politiques, a permis, au fil du temps, de préciser ce qu’il convient de faire pour faire réussir les élèves des milieux populaires. Notre ouvrage, en s’appuyant sur une bibliographie très importante vise à rassembler ce que l’on sait aujourd’hui pour tracer des perspectives étayées.
En quoi « la politique d’éducation prioritaire conduite depuis 1981 est une sorte de miroir grossissant d’un problème dont notre pays peine à sortir : l’insupportable échec à l’école d’enfants majoritairement issus des milieux populaires », comme l’écrit Jean-Paul Delahaye dans l’introduction à votre ouvrage ?
C’est en effet le principal problème de notre pays, qui est rappelé à chaque évaluation internationale ou nationale. Vous noterez toutefois que lorsqu’un des récents gouvernements a reçu les résultats de PISA en décembre 2023, il en a résulté le « choc des savoirs » qui propose, sans aucune concertation, des solutions contraires à ce qui est souhaitable pour les élèves des milieux populaires, notamment les groupes de niveau qui ont été, à juste titre, refusés par la profession. Nous opposons à ces choix politiques autoritaires l’idée que l’on ne pourra faire évoluer le système éducatif qu’en s’appuyant de manière raisonnable sur les données de toute la recherche en sociologie, en psychologie sociale, en sciences de l’éducation. En permettant surtout aux collectifs professionnels de s’emparer des questions de travail en appui sur ces savoirs de manière pleinement responsable en étant accompagnés, dans le cadre de formations, tant initiale que continue, qui répondent à ce dont les professionnels ont besoin pour comprendre ce qui fait obstacle aux apprentissages des élèves des milieux populaires. La politique d’éducation prioritaire est une source essentielle de savoirs et d’expertises pour l’ensemble du système si l’on veut bien s’en inspirer.
Pour une politique d’éducation prioritaire ou d’éducation égalitaire ? quel lien entre politique de mixité sociale et scolaire et politique d’éducation prioritaire ?
Tout d’abord, la politique de mixité sociale, inscrite dans le code de l’éducation depuis 2013, est indissociable d’une politique de mixité scolaire à l’intérieur des établissements sans laquelle le risque est grand de dériver vers une logique de « l’excellence » et/ou du « mérite » pour des élèves de milieux populaires « admis » dans des établissements socialement privilégiés.
En outre, le développement de la mixité sociale et scolaire, tout en étant un des éléments importants d’une politique publique d’ensemble pour la démocratisation de l’école, ne saurait suffire. La politique d’éducation prioritaire reste nécessaire tant que les ghettos urbains qui l’ont justifiée n’auront pas disparu.
Faut-il refonder la politique d’éducation prioritaire et faire un nouveau référentiel ?
Il faut faire attention au sens que l’on peut donner au mot « refonder » qui a été dernièrement dévoyé par des artifices de communication. Ce qu’il faut surtout, c’est une politique qui maintient, accompagne une dynamique collective qui permette de penser les besoins du système éducatif et de travailler dans une perspective d’amélioration de la politique éducative et des pratiques professionnelles qui portent haut les ambitions pour les élèves des milieux populaires à l’opposé de l’école à plusieurs vitesses que l’on voit actuellement se structurer et qui entérine les inégalités.
Toujours vouloir faire du neuf, ou du prétendument tel, est un des traits d’une idéologie néolibérale qui prétend toujours tout changer. Alors non, il ne faut pas faire un nouveau référentiel. Mais il faut continuer à le faire évoluer et l’enrichir dans le cadre d’un pilotage consistant et durable qui s’appuie sur les réussites de terrain et sur les données de la recherche pertinentes pour la démocratisation de la réussite en assurant un accompagnement fort des acteurs, respectueux de leur professionnalisme. Ce n’est pas ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
L’éducation prioritaire. Une politique féconde pour le système éducatif. Collectif Langevin Wallon. Editions du Croquant, 2025
Pour recevoir notre newsletter chaque jour, gratuitement, cliquez ici.
