« On a voulu faire un livre qui reconnaisse le métier de professeur des écoles ». Françoise Carraud et André D Robert publient aux PUF « Professeurs des écoles au XXIème siècle ». Ce petit livre propose une analyse sociologique des enseignants du premier degré. Mais il va bien au-delà. Il montre aussi la diversité et même la segmentation de ces enseignants entre professeurs des villes et des campagnes, professeurs et chargés d’une autre mission (directeur par exemple). Il met aussi en évidence les différences intergénérationnelles. Mais c’est toujours pour nous ramener à ce qui fait l’unité de cette profession : le désir d’aider à grandir des enfants petits, de leur faire faire leurs premières découvertes. Un des apports de ce livre c’est de montrer que, de génération en génération, être professeur des écoles est toujours une histoire de vocation.
5 questions à Françoise Carraud
Enseignante chercheure en sciences de l’éducation à Lyon 2, Françoise Carraud publie avec André D. Robert (Lyon 2) « Professeurs des écoles au XXIème siècle » (PUF). Un livre qui fait le point sur la sociologie de ces enseignants et qui, en s’appuyant sur trois années d’entretiens et de travaux, s’intéresse aussi à la diversité et aux évolutions du métier, notamment dans ses pratiques.
Vous faites dans l’ouvrage une analyse sociologique, culturelle et professionnelle des professeurs des écoles. Vous montrez qu’il y a 3 générations : celle des écoles normales, celle des IUFM et celle des ESPE. Qu’est ce qui différencie ces 3 vagues ? Des sociologies différentes ? Des pédagogies différentes ?
Ce qui fait la complexité du métier de professeur des écoles c’est aussi le fait de travailler avec des collègues de générations différentes. Ceux qui ont eu 30 ans en 1980 n’ont pas les mêmes pratiques culturelles et sociales que les professeurs sortis des Espe. Il y a des continuités comme le fait que le choix du métier est toujours expliqué par la vocation. On rêve de faire ce métier depuis qu’on est tout petit et ça perdure dans le métier. Ce qui perdure aussi c’est le choix de travailler avec de jeunes enfants.
En revanche ce qui a changé c’est le milieu social d’origine qui est plus élevé sans qu’on sache si ça ne reflète pas l’élévation générale de la société. CE qui a changé à coup sur c’est la féminisation.
Peut-on dire qu’il y a des pédagogies différentes entre ces générations ? A partir de la formation en IUFM, on a eu une formation très didactique qui n’est pas d’une grande ressources pour faire face aux problèmes de gestion de classe quand on débute.
Il n’y a pas de fracture pédagogique profonde car on a pu observer qu’il y a beaucoup de transmission entre enseignants dans les écoles. Très rapidement les jeunes prennent le pli et font des choses qu’ils n’auraient pas cru pouvoir faire. Par exemple on se transmet des barèmes de punitions, les routines de la vie de l’école, la durée des récréations. En même temps les jeunes amènent des idées neuves aux anciens. Il y a vraiment échange.
Il faut souligner que ce qui a beaucoup changé dans la vie des enseignants c’est Internet. Les enseignants utilisent les blogs d’autres enseignants. Ils n’appliquent pas tel quel ce qu’ils trouvent. Ils transforment et échangent. Ainsi il y a une culture professionnelle qui se crée dans les écoles mais qui ne se fige pas.
C’est de cette façon aussi que se transmet aussi souvent la connaissance des mouvements pédagogiques comme le mouvement Freinet..
Vous mettez en évidence un phénomène de « secondarisation » de l’enseignement primaire. Est-ce porté par les générations récentes ? Est-ce une bonne chose ?
C’était là dès les écoles normales car les formateurs étaient des enseignants du second degré. Dans les IUFM les formateurs sont toujours des professeurs du second degré. Cela a eu un impact négatif. Car cela a segmenté les disciplines. Elles se sont hiérarchisées et on a vu aussi apparaitre une nette délimitation entre elles. Jusque dans les années 1970 la polyvalence allait de soi. A partir de ce moment elle est devenue une difficulté.
Les enseignants du 1er degré sont attachés à la polyvalence. Mais ils ne l’appliquent pas. Ils font appel à des professionnels pour certains enseignements. Même si dans ce cas ils ne s’en désintéressent pas et construisent des projets interdisciplinaires. En fait on est arrivé à formater l’école sur le modèle disciplinaire. Et ce n’est pas positif pour tous les enfants.
Vous montrez aussi que le métier de professeur des écoles se segmente. Qu’est ce qui sépare le professeur des villes de celui des champs ?
Il y a bien sur une segmentation entre les différents métiers : directeur, maitre formateur etc. La frontière entre rural et urbain par contre n’est pas toujours très nette. Ce qui est net c’est les différences de taille d’école. Travailler dans une école de 8 classes est très différent d’être dans une école de 3 classes.
Dans une petite école on a moins de risque de désaccord avec les collègues. On a aussi une relation plus tranquille avec les parents. Dans une grosse école tout se complique dans la vie quotidienne : gérer les déplacements, les horaires de récréation. Il y aura une moins bonne connaissances des élèves et entre élèves. Dans une grande école on aura aussi des enseignants avec des temps de service différents.
Finalement qu’est ce qui fait l’identité professionnelle des professeurs des écoles ?
C’est un métier difficile qui demande de choisir souvent entre des solutions peu satisfaisantes. On n’imagine pas le nombre de dilemmes qu’un professeur des écoles a à résoudre en quelques minutes. Les enfants ont changé. Ils ont des relations différentes aux adultes. Les parents aussi parce qu’ils ont souvent fait une scolarité longue et qu’ils ont des opinions sur les apprentissages. Les enseignants ont assimilé l’idée qu’il faut être bienveillant avec les élèves et en même temps être exigeant et faire réussir ses élèves mieux que les autres. Tout cela n’est pas facile à gérer. Un bon exemple est celui de la gestion des enfants handicapés. Tous les enseignants sont pour leur intégration dans l’école. Mais ils sont souvent dans des situations où ils n’arrivent plus à gérer. La société a des exigences très fortes envers l’école. Mais pour les enseignants ça peut devenir intenable.
Ce qui fait vraiment l’unité du métier c’est l’amour des enfants. Il faut arrêter de dénigrer cela. C’est quelque chose de nécessaire pour tenir avec les enfants 6 heures par jour. Cet amour est indissociable du désir de transmettre, de faire découvrir des choses à de jeunes enfants.
Les futurs enseignants pourraient opter pour le second degré. Quand on leur demande pourquoi ils optent pour le premier degré , ils disent qu’il préfèrent être avec de jeunes enfants qui découvrent tout. Etre cette figure d’adulte qui fait découvrir c’est aussi ne pas se cloisonner dans une seule discipline. C’est le choix d’un métier où on s’épanouit et où on se développe professionnellement.
Propos recueillis par François Jarraud
André D. Robert, Françoise Carraud, Professeurs des écoles au XXIe siècle. Portraits socioprofessionnels. PUF 2018. ISBN 978-2-13-073395-9 . 24€