Les CP dédoublés ça marche ? Ils sont l’une des mesures phares du gouvernement actuel. Elle est inscrite dans un plan pluriannuel : CP dédoublés en REP+ dès la rentrée 2017, CP dédoublés en REP et CE1 en REP+ en septembre 2018 et pour finir tous les CP et CE1 de REP et REP+ seront concernés par ce nouvel aménagement. Sur le site ministériel l’enjeu est clairement affiché : « Pour combattre la difficulté scolaire, il faut agir à la racine, c’est-à-dire dès les premières années des apprentissages des savoirs fondamentaux (CP et CE1) ». Ce dispositif s’appuie sur les résultats de recherches menées à grande échelle en 2011 par Pascal Bressoux et Laurent Lima. Un document disponible sur Eduscol, site de ressources pour les enseignants, indique l’objectif principal de cette mesure : « garantir pour chaque élève, l’acquisition des savoirs fondamentaux – lire, écrire, compter, respecter autrui ». Après plusieurs mois, quels sont les premiers constats ? Nous avons donné la parole aux principaux concernés : les équipes pédagogiques.
Nouzha Rebai : Ma démarche a changé
Nouzha Rebai enseigne en cours préparatoire dans l’école REP+ Anatole France de Stains depuis plusieurs années. Déjà enseignante en CP depuis plusieurs années, elle s’est immédiatement portée volontaire à l’annonce de la mesure « CP à 12 ».
Comment avez-vous appréhendé la rentrée scolaire ?
« J’avais, pour ma part, beaucoup d’appréhension et de questionnements. Que me demande-t-on de changer ? Comment organiser ma classe ? Quels sont les résultats attendus ? Et si un enfant reste en difficulté, serons-nous jugés, nous, enseignants ? » L’inspecteur de circonscription a très rapidement organisé une réunion avec les enseignants de CP en REP+ où différentes pistes de réflexion ont été proposées : comment engager le travail en équipe ? Comment aménager la salle de classe ? Quelle méthode de lecture choisir ? Il a aussi rappelé l’importance de la manipulation et du langage, et des possibilités de pratiques pédagogiques avec un effectif réduit. « J’ai beaucoup réfléchi à l’aménagement de l’espace de la classe, l’effectif réduit m’a permis d’aménager plusieurs espaces distincts et clairement identifiables par les élèves ». À la rentrée, il a aussi fallu expliciter le fonctionnement des CP à 12 aux parents, qui sont invités à participer à certains ateliers au cours de l’année.
Est-ce que votre démarche pédagogique a évolué ? Est -ce que votre posture a changé ?
« Ma démarche pédagogique a complètement changé. J’ai mis des choses en place que je n’ai pu faire avec mes anciennes classes de CP, comme par exemple :
– Mise en place de groupes de besoins en décloisonnant avec les autres CP de l’école. Nous ciblons les compétences à travailler selon le besoin de chacun des élèves.
– Mise en place d’atelier au sein de la classe, comme en maternelle.
– Mise en place de coins de regroupement. Je le faisais déjà dans mes anciennes classes mais là c’est différent car c’est un vrai coin d’échanges langagiers où chaque élève peut s’exprimer. »
L’aménagement de la classe de Nouzha rappelle beaucoup celui des classes de maternelle avec des coins dédiés à la lecture, au jeu, à l’écriture, ou encore au dessin. On y trouve même un coin « expression libre » et un coin : « je suis fatigué », où l’élève a la possibilité de se retirer s’il se sent fatigué. Les affichages aussi sont nombreux et, nouveauté, à la hauteur des élèves ce qui les rend accessibles lorsqu’ils en ont besoin. La posture de l’enseignant évolue elle aussi, même si les objectifs restent les mêmes pour un CP à 12 qu’à 23, la posture en classe évolue, l’enseignement est beaucoup moins frontal avec des temps d’échanges et d’accompagnement différenciés et plus individuels.
Selon vous, quels sont les avantages de cette mesure ?
« Nous ciblons beaucoup plus rapidement les difficultés des élèves, ce qui nous permet d’y remédier plus vite et de ne pas laisser l’erreur s’installer ». Nouzha pointe beaucoup d’autres avantages tels que :
– Des temps de parole plus importants permettant un travail plus riche sur le langage et la compréhension orale,
– Les élèves seraient moins inhibés et plus à l’aise en classe avec des espaces qu’ils investissent réellement,
– La possibilité de passer par le jeu et la manipulation, ce qui permet de passer par le plaisir d’apprendre,
– L’aménagement de la classe évite certaines ruptures que peuvent ressentir les élèves en passant de la maternelle à l’élémentaire : ils trouvent leurs repères dans une organisation qu’ils connaissent déjà,
– Un travail de coéducation est plus facilement enclenché avec 12 élèves, les parents sont invités, tour à tour, à venir passer des matinées en classe où ils animent des ateliers.
Elle s’interroge néanmoins sur certains risques : « Les élèves sont fatigués, et donc excités, car ils sont vraiment sollicités constamment », « Innover, innover, innover : je suis toujours à la recherche d’un jeu pour travailler telle ou telle compétence, cela demande beaucoup de travail. J’ai dû revoir totalement mon organisation, c’est intéressant mais sans se mentir, c’est fatiguant. Et puis l’organisation de nos groups de besoin nous demande beaucoup de temps de concertation ».
Face à ce bilan, renouvèleriez-vous cette expérience ?
« OUI bien évidemment MAIS avec les mêmes conditions que maintenant, c’est-à-dire une salle de classe pour 12 élèves et non dans une salle de classe avec 26 élèves et 2 maîtresses. Cette organisation avec deux enseignants est complexe car il faut déjà une entente professionnelle sans faille avec son binôme et le nombre d’élève ne permettra pas d’avoir un agencement comme celui que j’ai actuellement. J’ai donc des doutes quant aux bénéfices des effectifs réduits dans ces conditions. »
Elle ajoute : « Dans l’idéal du CP à 12, serait aussi d’avoir un mobilier roulant pour agencer les tables selon nos modalités pédagogiques ».
Yves Citerne : Les conditions du succès
Yves Citerne est le directeur de l’école dans laquelle enseigne Nouzha Rebai. Il nous explique que ces dispositifs ont bénéficié de bonnes conditions d’accueil avec un local par classe, des préaux et un gymnase permettant des temps de regroupement pour les activités sportives. « Au début, cela a été un peu compliqué, car nous manquions de mobilier. Nous avons dû réaménager les classes avec ce que nous avions. Alors nous avons privilégié les CP, en laissant du mobilier dépareillé aux CE1 ».
Les enseignants volontaires étaient aussi des enseignants chevronnés et fonctionnaient déjà dans une dynamique de travail d’équipe, les CP dédoublés ont donc permis d’approfondir ce travail et de l’enrichir par des temps de regroupement ou de décloisonnement. Le directeur pointe, lui aussi, cette « hyperstimulation » qui excite les élèves mais aussi les conditions d’enseignement – avec des élèves qui bénéficient de plus de liberté avec des enseignants moins stricts quant au cadre de prise de parole, par exemple – qui pourraient poser des problèmes lorsque ces mêmes élèves réintégreront des classes à effectif classique. Il peut déjà commencer à évaluer le dispositif en constatant qu’aucune élève n’aura de « CP blanc », qu’ils sont tous rentrés dans les apprentissages. Le climat de classe, qui est plus apaisé, y a sûrement contribué.
Eric Brichot : Préparer les enseignants
Eric Brichot est le directeur de l’école Jean Jaurès à Pierrefitte – Sur – Seine classée en REP. Il prépare donc la rentrée prochaine et les modalités d’accueil des futurs CP. Il nous explique que l’expérience des REP+ permet d’entrer plus sereinement dans le dispositif. Ses futurs effectifs permettront l’accueil des futurs CP dans six classes, six locaux, accueillant 12 à 14 élèves.
« Les commandes de mobilier ont pu aussi être anticipée grâce au travail conjoint de l’inspectrice de circonscription et de la mairie. L’idée avait été soulevée d’un mobilier mobile et/ou spécifique qui permettrait de faire évoluer l’aménagement de la classe en fonction de l’activité ». Il bénéficiera donc de très bonnes conditions matérielles pour la mise en place de la mesure.
Quant aux enseignants volontaires pour ce niveau, il en a déjà cinq sur les six nécessaires. Les enseignants sont habitués à travailler ensemble dans le cadre du dispositif PDMQDC (plus de maîtres que de classes), amené à disparaître à la suite du redéploiement des moyens , cela se fera donc dans la continuité. « Les habitudes de travail avec les PDMQDC ont permis de faire évoluer les pratiques enseignantes. Dans les faits de petits changements se sont opérés comme la tenue de classe avec la mise en place d’ateliers. Ces petites modifications vont permettre une entrée plus sereine, avec moins de chamboulement dans le quotidien des enseignants ».
Eric prépare aussi les futurs enseignants en leur proposant des observations croisées afin d’appréhender comment l’autre fonctionne. Les commandes de matériel ont aussi permis une réflexion sur l’aménagement de la classe. La constitution des classes nécessite là aussi un regard vigilant. Il va proposer des évaluations de fin de GS (grande section) pour prévoir des groupes d’élèves plus cohérents. « On peut se retrouver avec des groupes déséquilibrés ». Ainsi, l’expérience des REP+ a permis à Eric de penser et d’anticiper très tôt les CP 100% réussite afin de « se prémunir de certains dysfonctionnements », nous dit-il.
Le SNUipp-FSU a, quant à lui, rappelle la liberté d’organisation des équipes pour la mise en place de ces mesures. Il demande aux directions académiques de faire confiance au conseil des maîtres en leur laissant, une fois les moyens distribués, la responsabilité de l’organisation pédagogique de l’école, qui tiendra compte de la priorité ministérielle. Ainsi, ils demandent que l’application des dédoublements tiennent bien compte des réalités de terrain telles que les locaux, les besoins des élèves, la composition des équipes pédagogiques.
Lilia Ben Hamouda