« On ne peut pas éternellement regarder un système se défaire », nous avait dit il y a juste un an François Dubet. L’alternance politique particulièrement inédite est-elle à même de changer la donne éducative ? Dans cet entretien ,le sociologue met en évidence l’écart entre les écrits et les actes du nouveau ministre. S’il lui semble trop tôt pour émettre un avis définitif, la nouvelle année scolaire devrait être déterminante pour savoir de quel coté va pencher JM Blanquer. Du coté des conservatismes et de ses amis de sens Commun, comme le donne à penser ses premières décisions, ou du coté d’une rénovation osée de l’Ecole, comme il le promet dans ses ouvrages…
Il y a un an vous avez publié , avec P. Merle, un livre qui prenait parti pour la réforme du collège. Aujourd’hui celle-ci est déjà détricotée par le nouveau ministre. Qu’en pensez vous ?
J’ai le sentiment que JM Blanquer a voulu faire plaisir à une grande partie de l’opinion de droite révulsée par la réforme de N Valllaud-Belkacem. Il a aussi voulu calmer le jeu avec le syndicat majoritaire, lui aussi hostile à la réforme. On revient à l’état antérieur, avec des classes spécifiques…
La réforme posait la question de l’autonomie des établissements. Comment voyez vous les choses ?
Il y a une conception de l’autonomie qui serait une extension du régime libéral avec des une carte scolaire qui explose et des établissements qui font ce qu’ils veulent. Et une vision, que défend JM Blanquer dans ses ouvrages sur l’Ecole, où si les établissements ont davantage d’autonome en ce qui concerne la pédagogie et le recrutement des enseignants, le ministère accroit sa capacité de contrôle.
Ce serait une révolution de modifier le mode d’affectation des enseignants. Cela impliquerait aussi une transformation de l’évaluation : passer de l’évaluation individuelle des enseignants à un audit des établissements. Ce serait aussi avoir des chefs d’établissements capables de gérer cette autonomie ce dont on est pas certain.
Pour le moment on est dans l’incertitude quand il s’agit de définir ce que fera le ministre. Qui va l’emporter des tenants de Sens Commun ou des idées des livres de JM Blanquer ? Quand je regarde les décisions prises depuis 3 mois je vois que ce sont plutôt celles du haut fonctionnaire qui a mis en place les décisions de N Sarkozy. Mais ce que JM Blanquer a écrit c’est plutôt ce que les chercheurs disent. Ce n’est pas pareil.
JM Blanquer dit vouloir lutter contre les inégalités. Que faudrait-il faire ?
Ce que dit Blanquer. D’abord les réduire en amont. C’est à dire faire glisser des moyens vers l’école élémentaire et accroitre le niveau de formation des enseignants.
Pour le collège je reste favorable à l’esprit de la réforme de N Vallaud-Belkacem. C’est à dire éviter de faire du collège une gare de triage avec des classes spéciales européennes et autres. Il y a aussi la question des inégalités dans l’espace et du jeu des parents qui accentue les inégalités. Ce n’est pas simple. Le retour à une carte scolaire rigide ne réglerait pas grand chose.
Quand on regarde les premiers choix de JM Blanquer on voit que les choix des parents ne sont pas contestés, qu’on remet les classes de latin ou les sections européennes. Ce sont de mauvais signes pour lutter contre les inégalités. Sans parler de la place du privé…
J’ai le sentiment que le ministre est coincé entre une politique qui se situe dans le prolongement de Sarkozy et un véritable projet de transformation de l’école. Les mesures qu’il prend sont contradictoires avec ce qu’il affirme par ailleurs. Par exemple, il dit s’appuyer sur la science mais dans ce cas il ne peut pas défendre le redoublement. On ne peut pas se dire pour l’égalité et laisser se reconstituer des filières qui vont contre elle. Le chantier du bac sera décisif sur ce point. Il faudra prendre des décisions et on verra ce qu’est la philosophie du ministre.
Les décisions prises pour le primaire vont elles dans le sens de la réduction des inégalités ?
On a la réduction des classes à 12 élèves dans les zones les plus difficiles ce qui reste marginal. Et à mon avis il faudra regarder de plus près pour vérifier que cette mesure n’est pas seulement un slogan.
La question de la formation des enseignants est patente. On ne peut pas considérer les ESPE comme un progrès considérable par rapport aux IUFM. Le mode de recrutement des enseignants n’est toujours pas à la hauteur des enjeux.
Le message envoyé sur les rythmes scolaires n’est pas des meilleurs. Le ministre a fait des cadeaux aux familles et aux syndicat majoritaire. On pourrait imaginer des journées moins lourdes cela aurait un effet sur les inégalités.
Là aussi entre les déclarations et les décisions il y a une distance. Finalement JM Blanquer est un homme politique. Et l’adresse en politique n’est pas un défaut…
Le ministre parle de l’école de la confiance, ce qui est un vrai sujet. Mais comment faire ?
Evidemment c’est une vraie question car la confiance dans l’école, sa justice, sa capacité éducative, baisse. Surtout la confiance entre le ministère et les enseignants est très faible. Comment peut-il avoir une capacité d’action sans se mettre à dos les groupes qui défendent leurs positions ? On constate que tous les styles ministériels, du flamboyant à la Allègre au modeste à la Fillon, ne marchent plus.
Il n’est pas exclu que JM Blanquer ait une stratégie, qu’il pense que la décentralisation peut accroitre la confiance en rapprochant les enseignants et les familles des interlocuteurs ministériels.
Cette crise de gouvernance est une crise de légitimité ou une crise technique ?
Il y a un problème technique lié à l’extrême centralisation et au mode d’affectation des enseignants devenu très lourd. Mais aussi une crise politique. Les Français sont très attachés à l’image d’une école qui intègre et rassemble. Mais en même temps l’école est devenue un enjeu décisif pour chacun pour trouver sa place dans la société. Cela alimente le sentiment de chute de l’Ecole et la montée des intérêts individuels. Sur ces questions le clivage n’est plus gauche droite. Le ministre joue sur le conservatisme y compris sur celui d’une partie de l’opinion enseignante.
Propos recueillis par François Jarraud
F Dubet P Merle : Réformer le collège
La déségrégation face à la logique du système