La scolarisation jusqu’à 18 ans qui est contre ? En tous cas pas le Snes qui réunissait le 29 mars un colloque à Paris sur le thème du « lycée pour tous ». Une revendication ancienne du syndicat qui reste très avancée par rapport aux enseignants du secondaire parce qu’elle pose la question des pratiques enseignantes et de la place des disciplines. Le Snes reste attaché aux contenus disciplinaires. Comment adapter le lycée et ses disciplines aux jeunes qui fuient le lycée ? C’est toute la question…
Comment les disciplines ont construit le lycée
Ce sont les disciplines que le colloque du Snes met au centre de son raisonnement avec deux interventions sur la naissance des disciplines scolaires et sur les choix d’orientation des familles populaires.
Renaud d’Enfert, université de Picardie, retrace l’histoire des disciplines depuis la naissance du lycée en 1802. Les disciplines naissent peu à peu tout en se hiérarchisant. Alors qu’au début du lycée il n’y a que deux blocs , petit a petit il se fracturent pour donner naissance à des disciplines qui entrent dans les emplois du temps : la physique en 1809, l’histoire géo en 1818, l’anglais et l’allemand en 1830.
Ces disciplines sont portées par des corps sociaux, principalement les agrégés et les agrégations se spécialisent aussi peu à peu. Même si les agrégés sont formés en université, ce qui leur donne une légitimité scientifique, les disciplines sont autonomes dès le début avec la recherche. Les différents groupes d’agrégés s’affrontent pour dessiner les frontières entre les disciplines. Certaines dominent et doivent faire face à des coalitions : les maths contre la physique alliée aux sciences naturelles à la fin du 19eme par exemple. Restent les disciplines dominées qui émergent lentement voire qui n’ont toujours pas d’agrégation. Et les filières d’enseignement en dehors du lycée où les professeurs, non agrégés, sont bivalents comme le primaire supérieur.
Les tentatives de dépasser les frontières disciplinaires sont rares. C’est el cas des « loisirs dirigés » sous le Front populaire, des classes nouvelles de la Libération, des IDD, TPE et EPI actuels.
Les milieux populaires acquis aux études longues
La seconde intervention traite des aspirations scolaires des classes populaires. Sont –elles demandeuses d’une scolarité longue jusqu’à 18 ans ? Pour Tristan Poullaouec, université de Nantes, 91% des parents interrogés en 6ème sont pour que leurs enfants poursuivent ses études au moins jusqu’à 18 ans. Mais les aspirations varient selon les catégories sociales. Entre un tiers (chez les cadres) et la moitié (chez les ouvriers non qualifiés) des parents ne savent pas jusqu’à quel niveau leur enfant doit aller. Par contre deux fois plus de parents cadres visent le bac général que chez les parents ouvriers non qualifiés. A note égale, et faible, deux fois plus de parents cadres vont demander une orientation en seconde générale que de parents ouvriers non qualifiés.
Et les professeurs que pensent-ils de ce lycée pour tous ? Le lycée actuel est vivement critiqué. Pour une professeure d’anglais les modes d’évaluation actuels (CCF, épreuve en cours d’année) créent de l’inégalité entre les élèves. Un enseignant d’histoire géo revendique « le plaisir du cours magistral » et le narcissisme enseignant. Il dénonce « la prolétarisation des enseignants » à travers le numérique. Un professeur de STI rappelle comment des disciplines ont été supprimées ce qui fabrique de la souffrance. Un enseignant de SES montre comment la relation aux élèves est affectée par les nouvelles demandes : orientation, réunions multipliées pour mettre en place les nouveaux enseignements…
La faute au primaire ?
« Il y a un déni de la nécessité d’élever le niveau éducatif des élèves », estime Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe. Le lycée pour tous suppose la scolarisation obligatoire jusqu’à 18 ans et d’améliorer les contenus et la structure du lycée. T Poullaouec pose la question du niveau de fin de primaire : comment faire réussir les élèves qui ont un niveau faible à la fin de l’école primaire ?
Interrogée par le Café pédagogique, Frédérique Rolet affirme la nécessité de mettre le lycée dans la campagne électorale. « Il y a une demande sociale pour la scolarisation jusqu’à 18 ans et le lycée est absent de la campagne », nous dit-elle. « Le scolarisation jusqu’à 18 ans suppose de revoir l’offre de formation , de travailler les transitions par exemple 3ème – 2de ».
Les professeurs sont-ils acquis à cette scolarisation étendue ? « Ils ne sont pas réticents sur l’idée », explique-t-elle. « Mais ils pensent que c’est une utopie dans les conditions actuelles, avec des élèves qui arrivent en seconde sans grande autonomie. Cela suppose une transformation profonde du système éducatif, un effort de formation des enseignants, la mesure de l’effet des maitres surnuméraires au primaire pour que les élèves arrivent en 6ème mieux formés ». Et aussi revoir l’évaluation des élèves et les programmes du lycée. « Cela prendra du temps ». Un nouveau quinquennat ?
François Jarraud