La préhistoire est sans cesse en évolution. Chaque nouvelle découverte de squelette relance les discussions non seulement entre spécialistes, mais également au sein du grand public. Par ailleurs, la préhistoire reste largement fondée sur des clichés fort tenaces.
Dans les programmes scolaires, la préhistoire est peu présente et étudiée dans les premières années de la scolarité. En outre, la perpétuelle évolution des connaissances à propos de la préhistoire s’accorde mal avec les logiques et les traditions scolaires, sans parler des frises chronologiques des manuels scolaires. Il faut donc se réjouir de l’initiative de Philippe de Carlos avec son carnet Didactica Préhistorica hébergé sur Hypothèse.org.
Préalablement, concernant les aléas de la recherche en matière préhistorique, je vous invite à lire le journal de bord d’une équipe de recherche du CNRS en Afrique du Sud (À la poursuite des origines de l’humanité). De manière générale, l’Internet se révèle être un lieu privilégié pour l’enseignant pour rester au courant de l’évolution des recherches en la matière. L’enseignant s’abonnera avec profit au blog Décourvertes archéologiques ou au site Hominidés.com.
Pour en revenir à Didactica préhistorica, Philippe de Carlos présente son projet de la manière suivante :
« Passionné par l’archéologie et l’éducation, je me dédie au développement d’un nouveau champ de recherche dont l’objet est une didactique de l’archéologie applicable à toutes les disciplines scolaires (histoire, géographie, français, langues, mathématiques, sciences).
J’ai commencé par la préhistoire…
Ce carnet présente les travaux de recherche réalisés sur les représentations sociales des enfants du primaire sur le thème de la préhistoire. Les résultats des analyses présentées sont situés au croisement du modèle intermédiaire d’appropriation de l’histoire (Lautier, Cariou) en didactique de l’histoire et de la théorie des représentations sociales ( Moscovici, Abric, Doise…) en psychologie sociale. Ces travaux ont pour objectif de contribuer à la mise en oeuvre d’une didactique de la préhistoire intégrée au sein d’une didactique de l’archéologie. »
Les titres de ces premiers articles indiquent très clairement l’intérêt de son blog pour les enseignants d’histoire :
– L’Homme préhistorique et l’évolution
– L’Homme préhistorique et le temps
– La fouille archéologique
– Quelle didactique pour la préhistoire ?
– Les représentations des élèves sur la préhistoire
– Scènes de vie préhistoriques dans les manuels de cycle 3.
Le rythme de publication est tout à fait supportable puisque Philippe de Carlos prévoit la publication d’un article par mois. Après l’Homme et le temps, l’Homme et l’évolution, les prochaines thématiques prévues concerne l’Homme et l’environnement, l’Homme et la technique, l’Homme et l’habitat, l’Homme et les croyances, l’Homme et la science…
Concernant l’article l’Homme préhistorique et le temps, Philippe de Carlos souligne que les frises chronologiques des manuels scolaires posent de nombreux problèmes.
« Le temps est linéaire (pas de cycle, pas de simultanéité, pas de régression), orienté (de gauche à droite), compacté (effets accordéons des frises) et synthétique (des contenus de natures diverses concentrés sur une ligne) associé à une idée de progrès dirigé (la droite est synonyme du futur) et continu (vers une amélioration constante). La périodisation est partiale puisqu’elle ne prend en compte ni le mésolithique ni la protohistoire. Enfin, rien ne justifie la pertinence des faits préhistoriques proposés dans les manuels, qui varient au gré des éditeurs. »
Pour résoudre ces problèmes, il est suggéré que la frise chronologique préhistorique proposée devrait notamment l’être « verticalement en référence à la géologie et en particulier à la stratigraphie : chaque thème (climat, technique, habitat, fossiles humains, art) serait matérialisé par une bande» et «orientée du haut vers le bas : pour éviter toute association avec une idée de progrès ».
En consultant le site hominidés.com, le lecteur constatera que ce problème n’est de loin par propre aux manuels scolaires et déteint également dans les travaux de spécialistes de la question :
D’après des graphiques modifiés de Pascal Picq (Les origines de l’homme et Au commencement était l’homme). Schéma Copyright Neekoo pour Hominides.com. Dossier remis à jour le 27/09/12.
De même qu’une exposition actuelle comme celle du Natural History Museum de Londres (The orgin of your species) :
Le chemin souhaité par Philippe de Carlos s’annonce ardu et par ricochet les représentations des élèves à propos de la préhistoire, objet de son travail de thèse, longue à modifier. A ce dernier propos, les résultats de son travail mettent en évidence les éléments suivants relativement à ces représentations historiques pour des élèves de cycle 3 :
– La bête et l’humanité : c’est l’opposition classique entre nature et culture, représentée à travers l’enlèvement de la femme par le gorille (Frémiet, 1887).
– La technique : il faut se battre pour survivre et pour cela celui qui gagne est celui qui possède les outils, la technologie, l’industrie. Il s’agit d’une représentation qui remonte à l’Antiquité et qui sera particulièrement valorisée au XIXe siècle.
– L’homme supérieur : L’évolutionnisme détourné au service de la domination des classes ouvrières, de l’Européen civilisé face aux colonisés à qui il apporte ses bienfaits. C’est l’apparition du racisme (Gobineau 1816-1882).
– Le progrès : L’évolution est synonyme d’un progrès linéaire dont les Européens sont l’aboutissement. L’exposition universelle de 1867 où cours de laquelle les outils objets préhistoriques sont présentés en est la manifestation. Ces outils ont été trouvés en France ce qui légitime par ailleurs par filiation la supériorité de l’homme blanc.
– Les stéréotypes sexués : le l’homme est actif et dominant et la femme passive et dominée, à la fois mère et épouse.
– La survie : les préhistoriques doivent faire face aux intempéries, aux animaux et trouver un abri. Ils survivent dans des conditions de pénuries par opposition à la période suivante, le néolithique, présenté comme une période de progrès et d’abondance.
Synthèse graphique des résultats du questionnaire classique (Source : https://preistorik.hypotheses.org/767)
Au terme de ces analyses, la conclusion est que
« Les différentes analyses que nous avons effectuées montrent que le savoir appris des élèves est loin d’être conforme au savoir savant. Quel que soit le type d’analyse empirique, ce sont les mêmes éléments qui apparaissent (homme, mammouth, grotte, poilu, etc.) ce qui tend à confirmer leur centralité, c’est-à-dire leur aptitude à organiser les représentations des élèves. Celles-ci sont bien le reflet des représentations historiques et le produit de variables socioculturelles (comme la socialisation différenciée). L’influence du cours de préhistoire est indéniable (questionnaire classique). Mais elle ne s’opère pas de manière uniforme sur tous les thèmes et varie en fonction des variables. Le bilan reste toutefois mitigé parce que l’apport agit en périphérie et n’arrive qu’à de rares exceptions à modifier la représentation des élèves. Les manuels scolaires, s’ils ont eu une influence sur les élèves (ce que nous n’avons pas mesuré), n’ont fait que renforcer les représentations sociales dont ils sont très largement porteurs. » (Les représentations des élèves sur la préhistoire) :
Fort bien, mais alors sur quelles bases devraient reposer une didactique et un enseignement de la préhistoire ? Pour Philippe de Carlos, la démarche des sciences expérimentales et de la nature ainsi que la fouille archéologique doivent être à la base tant de cet enseignement scolaire (Quelle didactique de la préhistoire ?) :
« Le dernier paragraphe propose d’axer le projet didactique autour de la fouille, l’activité phare de l’archéologie, en situant cette proposition dans le cadre de la théorie de l’action conjointe de (Sensevy, 2011) mais aussi du modèle intermédiaire d’appropriation de l’histoire (Lautier, 1997 ; Cariou, 2012) sans oublier l’approche socioconstructiviste et problématisée à l’aide d’outils graphiques de Sylvain Doussot (2006, 2014). »
Le débat est ouvert. Bon été !
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)