Pourquoi changer l’orthographe ? Qui peut y gagner ? Autant demander aux enseignants qui sont en première ligne. Viviane Youx, présidente de l’Association française des enseignants de français, prend parti pour l’évolution de la langue et revient sur les modifications déjà enregistrées.
C’est quoi exactement la nouvelle orthographe ?
Plutôt que de parler de nouvelle orthographe, parlons d’orthographe rectifiée, qui applique les « rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française, approuvées par l’Académie française et publiées par le Journal Officiel de la République française le 6 décembre 1990 », on ne peut pas vraiment parler de nouveauté ! Ce qui est plus nouveau c’est que, enfin, l’École l’intègre totalement dans ses programmes. De premiers pas avaient été faits dans les programmes de 2008 du primaire et du collège qui faisaient de l’orthographe rectifiée la référence en français. Les programmes de 2015 sont logiquement allés plus loin, faisant de l’orthographe rectifiée la norme d’écriture de tous les programmes, dans toutes les disciplines, du cycle 2 au cycle 4. Une indication claire figurait dans le projet d’octobre 2015 en première page, elle figurait à nouveau en dernière page, dans la publication définitive des programmes. Ce qui peut surprendre, et montre bien que les modifications sont minimes, c’est qu’aucun lecteur des programmes dans aucune matière ne les ait relevées.
Cela entraine de grands changements ?
Les rectifications sont minimes, et portent sur quelques simplifications : enlever l’accent sur le i (ex. paraitre, maitre, connaitre…) et sur le u (ex. gout, aout…) ; simplifier certaines consonnes doubles (renouvèle au lieu de renouvelle…) ; simplifier les soudures et les accords de mots composés ; déplacer le tréma sur le u (ex. aigüe, ambigüité…) ; aligner relai sur délai… Ces changements ne sont guère plus importants que ceux de cuiller/cuillère, gaîté/gaieté intégrés au fil des réformes orthographiques du dictionnaire de l’Académie française. Et ils n’excluent pas l’orthographe traditionnelle qui ne constitue pas une erreur ; simplement les programmes stipulent que l’enseignement des élèves se fera en orthographe rectifiée, ce qui permettra une diffusion progressive.
A–on déjà changé l’orthographe française .
La question de l’orthographe a toujours été sensible en France, mais, étonnamment, ces rectifications de 1990 semblent avoir eu encore plus de mal à s’appliquer que les précédentes réformes de l’orthographe. Le projet élaboré par le Conseil supérieur de la langue française sur demande du Premier ministre, Michel Rocard, a été voté à l’unanimité par l’Académie et publié au Journal Officiel, avant de soulever un tollé dans la presse. La confusion provoquée retarda largement l’entrée des rectifications dans les dictionnaires. Il fallut attendre les années 2000 pour que le dictionnaire Hachette les intègre, puis 2012 pour le Larousse, et plus prudemment pour le Robert. L’AFEF et sa revue, Le Français Aujourd’hui, appliquent l’orthographe rectifiée depuis 1998, d’autres mouvements et revues pédagogiques (GFEN, CRAP…) depuis quelques années. Grâce aux notes intégrées dans les programmes de 2008, de nombreux professeurs des écoles, de conseillers pédagogiques et d’inspecteurs du premier degré se sont mobilisés pour enseigner les recommandations des programmes ; au secondaire, si la mobilisation a été moins grande, elle a néanmoins existé. Et sans vagues.
Faut-il ou non passer à la nouvelle orthographe ? Qui y gagne ?
La question peut surprendre. Beaucoup y sont passés sans que l’on s’en aperçoive ; et quand vous êtes vigilants à l’orthographe comme je le suis, vous vous apercevez que les pires détracteurs des rectifications en appliquent certaines sans le savoir. Je serais tentée de dire que l’on y gagne à la fois peu et beaucoup. Peu, parce que les rectifications sont minimes, et que pour faciliter vraiment le travail de nos élèves les plus en disgrâce avec l’orthographe il faudrait aller plus loin : simplifier l’accord du participe passé, notamment, et supprimer plus clairement les nombreux « ph » qui ne sont nullement des graphies historiques mais des inventions modernes ; beaucoup sont surpris quand ils apprennent que Proust écrivait nénufar !
Peu, mais aussi beaucoup parce que, accepter d’appliquer les rectifications c’est accepter une rénovation progressive et continue de l’orthographe, c’est refuser de faire de la langue un mausolée intouchable. La langue évolue, a toujours évolué, elle se nourrit de divers apports ; les entrées (et sorties) de nouveaux mots dans les dictionnaires font la une des médias tous les ans, mais les graphies seraient intouchables !!! Cette position n’est pas tenable ; d’autres langues ont simplifié leur orthographe et ne se portent pas plus mal que le français !
D’autres pays francophones ont-ils opté pour une nouvelle orthographe ?
En effet, il est question de la langue, le français, qui n’est pas notre propriété. D’autres pays francophones ont regretté ce rétropédalage des Français face aux changements orthographiques dont ils se sont emparé. En Belgique, le Soir a publié il y a déjà plusieurs années une édition en orthographe rectifiée ; les programmes scolaires la respectent, et le Conseil de la langue française et de la politique linguistique travaille à des simplifications plus importantes. En Suisse et au Québec, les deux orthographes traditionnelle et rectifiées sont acceptées sur recommandation officielle, mais le Ministère de l’éducation du Québec semblait attendre une prise de position de la France pour intégrer complètement l’orthographe rectifiée dans les programmes. En Afrique, les évolutions orthographiques du français sont plus lentes.
Pourquoi le changement est-il si difficile en France ?
En France aussi ces évolutions sont difficiles, tant l’orthographe tient du patrimoine national. Les élèves ont du mal avec l’orthographe parce qu’elle est difficile. La société les sanctionne sur ce critère, surtout ceux qui n’ont pas tété l’orthographe au biberon. Beaucoup s’accordent à dire qu’il faudrait faire quelque chose. Mais supprimez un accent et vous aurez la révolution ! Le rôle de l’École est de faire réussir tous les élèves, et si l’orthographe est un handicap majeur, il faut la simplifier. Ou alors donner des moyens énormes en temps que personne n’est prêt à concéder. Les Français peuvent accepter les rectifications orthographiques s’ils en comprennent l’enjeu ; les reconnaitre et les appliquer donnera un signal fort à beaucoup de francophones du monde. Et nous gagnerons tous à laisser à notre langue cette souplesse dont elle a besoin pour s’épandre.
Propos recueillis par François Jarraud